Le prince, le chevalier & le dragon capitaliste | Elikia

Par un beau matin de printemps,
Suivant de longs chemins éreintant.
Hildred, dit ''le chevalier géant'' dans son jargon,
Était venu chercher la demeure du dragon.

A ses coté, d'un pas léger,
Marchait un jeune écuyer,
Dont le nom aura été oublié,
Tant son importance sera limitée.

Arrivée au pied de la tour,
Que la foret cachait dans ses atours,
Le chevalier vit le dragon,
Endormi d'un sommeil profond.

S'exclamant, Hildred leva son arme avec aisance,
"Sennns la puissance !" *
Son écuyer répondit, un brin taquin,
"Oh, on la sent bien."
Faisant fi de ses moqueries, elle chargea la bête toute proche.
"L’heure de notre triomphe approche !"

Épée en main, elle court, vole et attaque,
Tandis que la bête se relève en hâte,
crachant ses flammes mortelles sur le chevalier
qui dans sa quête ne se laissa point impressionner.

Les riches aiment à être dépouillés dans les formes,
C'est ce dont cette mésaventure nous informe,
Car cela les irrite et les vexe qu'on danse
Autour de leur porte monnaie, si par malchance,
L'on divergeait
Sur l'emploi du budget.

Après avoir larmoyé longtemps sur sa fortune,
Le Patronnat eut l'idée d'exprimer sa rancune
En enfermant le meneur des socialistes
Dans une tour au confort minimaliste.

Sous l’œil du dragon, il attendait jour et nuit
Qu'un syndicaliste en armure, fort et hardi,
Ne vînt éventrer le monstre infâme
Partisan capitaliste sans âme.

Un matin, éveillé par un grand vacarme,
Le Prince sortit de son lit avec alarme.
Ouvrant la fenêtre, il découvrit, enchanté,
Qu'arrivait un preux chevalier pour le sauver.

Poing levé, il l'encouragea à charger la bête
En criant férocement : « Frappe lui sur la tête ! »
Mais le dragon crachant colère et flammes,
Se rua sur l'écuyer et la dame.
« Périssez, êtres inférieurs ! »

Saisissant son mousquet, sa sauveuse
S'exclama : « Fusillons-le ! »
L'écuyer ajouta : « Coupez lui la langue ! »
Elikia vociféra :
« Fusillez-le ! Coupez-lui la langue !
Fusillez sa langue ! »

Craignant toutefois l'issue du combat,
Les yeux il se cacha
Et courut se réfugier sous ses draps.

Commence alors cette lutte capitale,
Danse macabre de feu et de métal,
Où l'avantage ne semble être qu'illusion.

Le dragon attaque majestueux, fier et orgueilleux,
Heureusement, nos syndiqués répliquent, hésitants mais courageux,
Amenant ainsi cette rencontre à sa conclusion.

La bête s'écroule, inerte, sur sa montagne de richesses,
Libérant le passage que l’héroïne emprunte avec hardiesse.
Montant la tour où son prince attend l'éveil...

La montée est rude, si bien que c'est essoufflée
Qu'enfin le chevalier atteint les sommets.
"Allez on se réveille !"*

Surpris par cet avertissement un poil perçant,
Le prince ouvre les yeux en hâte. "Quoi ??"* Il se reprend.
"Je me languis qu’un preux chevalier s’enhardisse à me sauver !"*

Hélas, c'est à peine si le chevalier l'écoute...
"Oh comme c’est touchant. Allez en route !"*
Répond-t-elle, attrapant le prince pour mieux le tirer.

L’écuyer, dont on taira toujours le nom,
Regardant la scène, en rit sous capuchon.
"J'les adore, ces moments, je les salue de la main quand je les vois passer"*

Satisfaite, l’héroïne sourit. Voilà qu'arrive la fin de son affaire.
Le dragon terrassé, le prince sauvé, tout ce qu'il lui reste à faire,
C'est ramener son protégé à ses opprimés adorés...

Tiré du lit sans grâce aucune,
C'est pourtant sans garder rancune
Que le Prince dévale l'escalier
Entraîné par son fougueux chevalier.

Suivant péniblement ses larges enjambées,
A plusieurs reprises il manque de trébucher,
Mais il tient bon, il se hâte et sautille
De crainte qu'on l'attrape et l'embastille.

La troupe déboule hors d'haleine
Dans une cour cyclopéenne
Où ils trottent, cahin-caha,
Loin des restes du combat
De la plus haute salle et sa plus haute tour
Avant de s'arrêter, pensifs, le souffle court.

La bataille les a fait cavaler au hasard,
Ils doivent retrouver la sortie sans retard.
« Alors, où en est ce… où en est ce plan d’évasion ? »
S'enquière Eli auprès des deux trublions.

Mais sitôt la question jetée sur le tapis
Que non loin retentit subitement un cri.
Un cri, ou bien plutôt un rugissement féroce,
Celui du dragon dont la mort n'est pas si précoce.

Peut-être l'avait-on laissé à l'agonie,
Quoi qu'il en soit, il n'avait pas été occis.
Un conseil : couvrez toujours deux fois vos arrières,
Quand aux capitalistes vous avez à faire.

La vue ignoble de la bête
Joue aussitôt les trouble-fêtes
Dans le rang de nos braves syndiqués.
L'écuyer hurle, le Prince est pétrifié.
Seule Hildred retrouve assez d'esprit
Pour tirer ce dernier loin d'ici.

Le dragon vitupère
Puis crache sa colère
Au train des trois socialistes
Dont le sort eut été triste
S'ils s'étaient figés une seconde de trop.
Par chance le chevalier les mène au grand galop,
Bien qu'Eli traîné derrière eux dans un tournant
Manque de se roussir le derrière en fuyant.

« Ooohh ! ohh, quelle chaleur ! » Et il se pâme,
Tourne de l’œil dans les bras de la dame.

D'un geste rapide, la dame attrape son sauvé
Qu'elle mène à l’abri des flambées
pour éviter qu'il ne surchauffe.
« Vous en faites pas votre Altesse, j’vous tiens bien, vous êtes sain et sauf ! »*
Affirmation avérée, c'est vrai,
même si l'affaire ne semble pas pour autant se régler...

Ouvrant les yeux,  le prince remarque le soucis
et après un silence, développa:
« C’est vrai que je ne suis pas un professionnel du sauvetage, soit, mais vu d’ici,
j’ai plutôt l’impression qu’on a fait un pas en arrière, tu ne trouves pas ? » *
Très vrai, il faut le remarquer,
mais le chevalier se refuse à l'avouer.

Ils tournent et tournent encore,
Tandis que le dragon bloque le corridor.
Hildred rejette ces faits d'un geste de la main.
« NON NON NON NON ! Tout va bien ! Tout va très bien ! » *
Sur ces faits elle l'entaine à travers les dédales,
où devant eux s’entend les cris et les râles
d'une bête décidé à les chasser
Tous jusqu'au dernier...

Après moult tours et détours dans les couloirs,
La troupe n'est pas loin de perdre espoir,
Car, soudain, surgissant du dédale obscur,
Le dragon stoppe encore leurs zigzagures.

Toute fuite semble vaine,
Et nos héros bien en peine,
Quand Elikia retient son chevalier
Prête à en découdre à coups d'épée.
« Ne faites plus un seul geste !
Sa vision est basée sur le mouvement ! »

Tous deux s'immobilisent, le souffle suspendu,
Mais l'écuyer prend une décision imprévue,
Et n'écoutant que sa hardiesse,
Bondit, s'élance avec souplesse,
Et s'interpose entre Hildred et la bête
Qui d'un souffle lui crame la barbichette.

Ses plaintes résonnent, atroces, dans le château
Il convulse et s'écroule, le visage en lambeaux.
« A moi ! Je souffre ! »
De son bras robuste, la dame soutient le mourant
Et le Prince soupire, affligé et à cran.
« Putain, j’en ai marre d’avoir toujours raison... »

Puis, tournant à nouveau son attention
Vers le cupide et fulminant dragon,
Il réalise pleinement l'urgence,
Et secoue Hildred avec exigence :
« Bon ben posez le,
Vous allez pas le balader comme ça
Jusqu’à demain, si ?! »

La blessure est mortelle, il est inutile de le nier.
D'un seul regard, Hildred sait qu'elle perd son écuyer.
Pourquoi donc avait-il attaqué?
Il aurait été si simple d'abandonner...

« Sort injuste! Se resserre à présent sur mon âme
l’étreinte griffue de ton funeste projet!»*
se lamente le pauvre hère aux bras de sa dame,
avant toute vie ne l'ai quitté...

Ainsi mourut l'écuyer innommé,
Sous la griffe du dragon financier,
Qui pour son pouvoir et son argent,
n'avait que faire d'épargner un petit gens...

La mort semblait être l’élan qu'il manquait,  
Pour motiver enfin notre héroïne éplorée.
La mine basse, elle se redresse, tendue,
S'exprimant, décidée et cérémonielle.
« Nulle cause n'est perdue
s'il y a encore un pauvre fou prêt à se battre pour elle! »*

Désormais certaine de ses choix,
elle se tourne vers son prince avant de pointer du doigt,
Le dragon d'abord, et la sortie, ensuite.
« Nous devons nous battre… pour prendre la fuite ! »*

Le prince la regarde presque déçu, devant ce plan soudain,
Et répondant à son tour, il ne cache rien de son dédain.
« Géant ! Sensationnel ! Et ça c’est ton plan, n’est-ce pas ? »*
Il est difficile de ne pas voir qu'il n'y croit pas...

Hildred s'offusque, vexée par son sauvé.
Les bras croisés, elle lève le menton l'air froissée,
Semblant se braquer dans son déni...
« Bon, d’accord, c’est quoi ton idée, petit génie ?? »*

Surpris par le ton qu'adopte son chevalier,
Elikia lui décoche un regard courroucé.
« Qu’est-ce qui te prend ? Je n’en sais rien,
C’est toi qui as un plan ! »

Quant au dragon, lui aussi s'offusque en grognant,
D'être ignoré sans raison par nos braves gens.
Toussotant, tout d'abord, il s'apprête à les griller,
Lorsqu'Elikia s'écrie : « ...attends. J’ai… j’ai une idée ! »

D'un pas résolu, il prend à son tour les devants,
Et se rue à la rencontre du monstre grondant.
Il le hèle, levant les bras en signe de trêve :
« Pourparler ! Pourparler ! », et point besoin de glaive.

La bête s'étouffe dans un nuage de fumée,
Outrée que cette tactique aide à l'embobiner
« Pourparler ?? Au diable les misérables têtes
D’oeuf qui ont inventé le pourparler ! »

Mais les capitalistes sont des bureaucrates
Et elle tenue de s'asseoir, toute benoîte.
Le Prince se campe, gonfle ses poumons
Et annonce avec détermination :

« Je serai la voix de mes camarades pour vous faire passer le message. Nous refusons de reprendre le travail, il est hors de question de continuer dans ces conditions, c’est intolérable ! D’abord, nous travaillons plus de dix-huit heures par jour, ce qui fait trente-six heures en deux jours, nous exigeons de passer à trente-cinq heures ! »

Le dragon crache, les naseaux plein de fumée :
« Trente-cinq heures, ça marchera jamais,
Ça va entraîner un tas de complications ! »
Mais le syndicaliste n'y fait pas attention :
« Ensuite, et pardon si je te coupe.
Nous exigeons une diminution d’au moins cinquante pourcent. »

Le vaillant garçon ne se laisse pas démonter,
Et le patron prend une mine déconcertée.
« Une augmentation vous voulez dire ? »
Elikia tape du pied dans la poussière,
Agacé, et proteste d'une voix altière :
« Mais non ! Nous exigeons une diminution des coups de fouets. Nous recevons trop de coups de fouets ! Certains de nos camarades souffrent de maux de tête terribles à cause des fouets qui claquent, ça leur fait la tête comme un gros char ! »

L'ignoble contremaître se redresse sur ses pattes,
Pareille proposition est pour elle inadéquate,
Et elle le fait comprendre d'un râle menaçant :
«  Oh non non non, si je diminue les coups de fouet vous travaillerez plus lentement... »

Si l'on en croit son air agacé,
Les pourparlers ne semble point être appréciés,
par le chevalier en tout point contrarié.
Qui a dit que la plume est plus forte que l'épée ?

« On perd du temps ! »*
Dit-elle l'air lasse, reprenant son élan.
« La ruse c'est un moyen de gagner sans combattre ! »*
Ajout-elle en fixant la bête qu'elle semble décidée à abattre.

Si jusqu'à maintenant la fuite était la solution,
Ce trop pleine de discours digne d'une loque,
Semble lui avoir fait revoir ses positions...
« Chez nous, on appelle ça chier dans son froc. »*

Sortant son épée, la levant avec fierté,
elle laisse un sourire d'une grande rareté,
éclairer son visage aux yeux décidés.
Regardant une dernière fois son sauvé,
elle charge alors la bête en criant :
« WAHHH ! MECREANTS ! »*

Le combat qui s'en suit est violent,
et même si elle lui laisse des trous béants,
l’héroïne ne semble point avoir l'avantage,
Sur cette bête pleine de crocs et de rage...

Le sang coule des deux cotés,
Dans chaque camp, on compte les blessés,
et même si le prince ne semble s'en mêlé,
La bête n'est point décidé à le laisser s'en tirer...

Effaré par la brutalité du combat,
Le Prince laisse le terrain aux fiers-à-bras
Et élève de loin ses protestations
Aussi bien contre la dame que le dragon :
« Non ! C'est de la barbarie ! Ce n'est pas comme ça que des adultes peuvent régler leurs... ! ROH ! Très bien ! Allons-y ! Dégainons nos sabres et que la fête commence ! »

Bien sûr, les vigoureux combattants n'en ont cure.
Brûlures répondent sans cesse aux écorchures,
Indifférentes à Elikia qui hurle et qui peste :
« J’EN AI MA CLAQUE ! … JE VOUS DETESTE ! »

Le dragon, irrité, le balaie d'un revers,
Et sa queue massive l'envoie sur son derrière.
Sonné, le garçon enrage et trouve à ses côtés
Le corps de l'écuyer et son épée dégainée.

Sans se l'expliquer, il la ramasse,
L'air furieux et la patience lasse.
Il mène ses pas jusqu'à la dame
Et à ses côtés brandit sa lame :
« Voici venu l’heure de tirer l’épée ensemble.
Cruauté réveille toi ! Qu’importe le courroux,
Qu’importe la ruine et que l’aube soit rouge ! »

Les socialistes conjuguent alors leurs efforts,
Et du dragon capitaliste scellent le sort.
Leurs épées transpercent son cuir
Et le monstre doit périr.

Ainsi s'achève notre fable :
Car contre les patrons obtus,
Point ne sert d'être affable.
Il suffit d'une révolution, et puis n'en parlons plus.