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 Elikia Lutyens

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Elikia Lutyens
Prince Compositeur

Elikia Lutyens

Messages : 339
Fiche : Stay Focused & Extra Sparkly ★
Vice : Acharnement & Intransigeance
Faction : Conservatoire
District : Balnéaire
Influence : 2545
Occupation : Prince Compositeur. Premier Maître du Conservatoire et sorcier de la Cabale.

Elikia Lutyens Empty
MessageSujet: Elikia Lutyens   Elikia Lutyens EmptyMer 24 Jan - 0:44


 
Elikia Lutyens WHdlenL


 
Histoire

Vous, qui avez échoué. Maldisants furibonds, pas si habiles mais venimeux adversaires, impitoyables jaloux.
Chers détracteurs.

C’est arrivé.
Il faudra l’appeler « Altesse », maintenant, ça vous arrachera peut-être un peu la bouche, mais que voulez-vous ?
Il est trop tard. Il aurait fallu croire comme lui que la chose était possible pour avoir seulement l’idée de l’arrêter. Tant pis pour vous ! Criez, fulminez, indignez-vous, faites donc du bruit. Roulez-vous par terre, si ça vous chante. C’est un régal de vous voir larmoyer sur vos fortunes fabuleuses, gronder à la tête de puissantes compagnies. Vous n’étiez qu’à un titre près de l’ultime consécration, quand soudain un minable polichinelle est passé et l’a raflé sous votre nez. Vous êtes restés bêtes, un jour ou deux, comme un enfant à qui on a piqué son goûter, et puis vous avez tapé du pied.

Parce que c’est inadmissible, ça, mes bons souverains. Que voulez-vous qu’on en fasse, en fait, de votre Prince Compositeur ? C’est du sérieux, à la fin, la politique ! Il ne suffit pas de savoir pousser la chansonnette et signer des autographes à la fin du récital, quel que soit le nombre de vos admirateurs !
Il ne connaît probablement rien à la finance ni à l’économie, votre rimailleur, il paraît que c’est un vrai panier percé. Un jour, il fait un triomphe à l’opéra, et le lendemain, il a renouvelé sa garde-robe, organisé des réjouissances pour gens dissolus, acheté un instrument dont il doit encore apprendre à jouer et distribué aux pauvres le reste de sa recette.
Et la législation, et le droit commun, et les affaires étrangères, et l’urbanisme ? Ce rêveur de pacotille, ce drôle d’illuminé socialiste aurait son mot à dire sur toutes ces affaires d’importance et vous, non… ? C’est ridicule – ridicule, dites-vous – la plus belle farce qu’a connu Excelsa de mémoire d’homme.

Vous commencez à vous répéter, chers détracteurs. Mais quel délice que le Scandale. On saura le souffrir encore un peu.

Vous, qui avez raté la coche. Quand avez-vous fait l’erreur de lui céder ne serait-ce qu’un rien d’opportunité ? Et vous, les autres, vous qui étiez dans le secret, vous qu’une fée enjôleuse est venue bercer un jour de quelques espoirs… Vous souvenez-vous ?

Tout commença lorsqu’on frappa les trois coups, un soir de pluie, à la Maison des Sélénites. On flanqua le môme sur scène, avec sa voix en or et sa paire de poumons infatigable, et on lui dit : « Allez, vas-y, Eli, chante ! »
Et il chanta. Il chanta pendant près de dix ans, petite mascotte d’une bande de Colombines et d’Arlequins au panache extravagant. Il chanta d’abord gratuitement, pour rien, sinon pour la joie simple mais ineffable de se sentir aimé et de concentrer l’attention de tous ces gens. Il faut peu de choses au bonheur des petits enfants. Des caresses, quelques déguisements, du maquillage, des rires et des jeux – la permission de faire le pitre toute la sainte journée.

La Maison des Sélénites était une sorte de cabaret au croisement de deux rues étroites du District Domus, auquel la propriétaire, Madame Perle, et son jeune fils Tamino donnaient pompeusement le nom de « music-hall ». On y présentait des opérettes, bien sûr, et des tableaux comiques, mais aussi des attractions plus populaires où des danseuses frivoles montraient leurs bas noirs et leurs jarretelles en soulevant leurs jupons pour le public. Les danseurs n’étaient pas en reste.
Quant à l’architecture, elle était tape-à-l’œil, mais les grands rideaux pourpres s’imprégnaient de poussière et de mites, les dorures s’écaillaient et le marbre, bien sûr, c’était du toc, de la simple imitation en papier-mâché. Toutefois, on avait l’électricité, et c’est encore aujourd’hui assez extraordinaire pour que le petit peuple en demeure ébloui. Le long des promenades, des guirlandes d’ampoules couraient, s’enchevêtraient et illuminaient le pas des noctambules entre l’auditorium et les foyers, où l’on se prélassait, après les représentations, une bouteille de mauvais vin à la main.

Elikia flânait aux répétitions et s’endormait dans les déguisements chauds que les comédiens abandonnaient derrière eux, une fois le spectacle fini, comme des mues de somptueux papillons. Enchanté au milieu de leurs rires, quand le sommeil ne le rattrapait pas, il s’asseyait sur les genoux de Ruby et se laissait hypnotiser par le ballet lui aussi aviné de ses doigts sur son piano. Elle l’initia très tôt au noble instrument et il déchiffra les portées de ses partitions en même temps qu’il apprit à lire à l’école. Perle lui montra comment se tenir et respirer en chantant et travailla avec lui ses techniques et ses vocalises. Tamino, quant à lui, lui offrit du maquillage. Il lui enseigna la meilleure manière de se peindre les lèvres et les ongles et de se farder les paupières, puis avec les danseuses, comment valser, faire des pointes et gambader sur n’importe quel morceau en mesure.

Tout en cadence et en décadence, l’auditoire, les ménagères, les ouvriers, les petits artisans et les fermiers venus se divertir en ville, battaient des mains et entonnaient les refrains en chœur avec lui.

Parfois, des admirateurs bien vêtus l’invitaient en secret à les rejoindre dans le carré de banquettes miteux qui leur était réservé, ou à la sortie du théâtre. Il y avait de vieux messieurs en redingotes d’alpaga ou de grosses dames dans d’invraisemblables robes à fanfreluches. Ils sentaient le tabac, l’eau de Cologne et toute sorte de parfums entêtants qui chatouillaient le nez et donnaient la migraine, mais ils apportaient pour lui des loukoums, des pâtes de fruits et des marrons glacés. Madame Perle ne permettait pas qu’il les accepte, ce qu’il faisait quand même, au moins pour rapporter des gâteaux à sa sœur, quitte à devoir supporter la compagnie de ces gens qui se montraient souvent intrusifs. Perle avait même dû une fois le tirer d’une calèche qui s’apprêtait à partir en administrant une paire de gifles à un monsieur dont le chapeau haut-de-forme était tombé. Il l’avait insultée, dit qu’il ferait fermer l’établissement et elle l’avait menacé en retour d’appeler le Prieuré. Le ramdam avait ameuté toute la Maison. Il était parti.
Elikia devait promettre de ne rien dire de ces étranges épisodes à sa mère, Zaïnaba, quand il rentrerait chez lui, sans quoi elle lui interdirait certainement de revenir chanter. Il ne comprenait pas bien pourquoi mais appréhendait trop ce risque pour désobéir.

Zaïnaba venait parfois elle-même, tard le soir, houspiller les musiciens, les traiter d’exploiteurs sans scrupules et arracher son fils au théâtre pour le ramener chez eux. Elle ne l’empêchait pas d’y retourner, cependant. Sans doute, au fond, était-elle rassurée de savoir où le trouver en rentrant de ses longues journées de travail, tandis qu’il était toujours plus difficile de mettre la main sur sa fille, Shazadi, qui s’encanaillait dans les bas-fonds. Alors, le music-hall, pourquoi pas. C’était à deux pas de chez eux. Son unique mais inflexible exigence était qu’Elikia aille en classe chaque jour de la semaine et étudie avec sérieux plusieurs heures quotidiennement, ce en quoi, dès son plus jeune âge, il la satisfaisait excellemment. Petit déjà, il était comme elle. Il avait compris rapidement que pour ne pas suivre le chemin de son père à l’usine, il faudrait en savoir plus que les autres. Alors, il apprenait et elle veillait au grain.

Zaïnaba travaillait pour le compte d’un vieil apothicaire grincheux du District Pharma, en échange d’une rétribution misérable et surtout d’une initiation, puis d’une formation solide aux sciences médicales. C’était une besogne difficile. Elle avait grossièrement les fonctions d’assistante et de représentante pharmaceutique, mais aucune qualification officielle et il ne se passait pas un jour sans que son employeur ne le lui rappelle. Cela coûtait de l’argent de s’inscrire à l’Apothicariat. Elle avait un loyer à payer, des enfants à nourrir et à qui elle voulait offrir une instruction, comme ses parents l’avaient fait auparavant pour elle. Et il n’était pas question de se lancer dans des emprunts colossaux pour poursuivre une chimère.
Alors elle travaillait consciencieusement, elle restait imperturbable quand l’alchimiste ramassait les lauriers qu’elle méritait : elle prenait son mal en patience et attendait l’opportunité parfaite. Un beau jour viendrait où elle n’aurait pas droit à l’erreur.

En attendant, on n’est jamais trop jeune pour travailler à Excelsa, ni au regard des patrons, ni aux yeux des ouvriers eux-mêmes quand ils commencent à manquer cruellement d’argent. Shazadi se plaisait trop peu à l’école. Zaïnaba avait d’abord pensé à la confier au Prieuré mais le chef de garnison du District lui avait ri au nez quand on lui avait présenté cette petite peste derrière qui on faisait courir les novices, pour leur faire les jambes. Alors, assez vite, pour empêcher sa fille de mal tourner, Zaïnaba avait dû se résoudre à l’envoyer travailler quinze heures par jour dans une grande filature, de l’autre côté du fleuve.
Les industriels donnent de grandes raisons pour justifier leur emploi systématique des enfants à l’usine. Connaissez-vous donc le service qu’ils rendent à la paix sociale en empêchant nos rejetons de devenir de redoutables maraudeurs ? Sachez aussi que bien des tâches sont impossibles à accomplir pour un travailleur adulte quand un enfant peut profiter de sa petite taille pour les réaliser – nettoyer les parties inaccessibles d’une machine, par exemple.
A l’âge de dix ans, Shazadi perdit son bras dans un énorme cylindre en rotation, qui le lui happa tout d’abord, puis le broya, et qu’il fallut trancher, propre et net, comme une pièce de viande, pour pouvoir la dégager de là expressément.

La responsabilité de l’accident fut imputée à la gamine, bien sûr, car elle n’avait, selon les mots du directeur, fait aucun cas du règlement affiché dans la salle, qui défendait de nettoyer les machines pendant leur marche. Elle s’était trop fiée à son adresse, et voilà tout. C’était la deuxième enfant, cette saison-là, qui était passée à peu de choses du trépas et l’attitude du patron écœura tant ses employés qu’ils s’insurgèrent dès le lendemain et partirent battre le pavé par centaines.
Ils obligèrent les ouvriers des établissements voisins, qui travaillaient encore, à quitter leurs machines et marchèrent à travers tout le District Manufacturier, avant de rencontrer finalement l’opposition des milices privées des Industriels qui leur barrèrent le passage et firent feu. Trois ouvriers furent tués, plusieurs blessés, et les émeutiers rebroussèrent chemin en désordre jusqu’au District Domus où ils habitaient pour la plupart. Ils alertèrent la population, attisèrent la révolte en criant au meurtre et on s’arma de pioches, de pelles, de bâtons, de tuiles et de pavés, parfois même de fusils, on dressa des barricades.
Pendant la nuit, le Prieuré prit la relève des milices, qui étaient entièrement submergées par la foule énorme d’ouvriers séditieux. Le combat fut sanglant. Au matin, on compta les morts par vingtaines.

Elikia lui-même conserve un souvenir cuisant de ces journées. Son père, Ridjal, avait surgi à l’école à l’annonce de la grande manifestation, et l’avait ramené chez lui où ils s’étaient cloîtrés tous les deux au fond de la chambre parentale, lumières éteintes, en attendant que le bruit et la fureur ne s’étiolent aux premières heures du jour. Il avait à peine eu le temps d’apercevoir le corps pâle et sanguinolent de sa sœur. Zaïnaba avait grossièrement garrotté Shazadi, elle l’avait enveloppée dans un drap avant l’arrivée des insurgés, mise dans une charrette, et emmenée avec un vieux cheval de traie jusqu’à l’Apothicariat.

La semaine suivante, la famille dut se résoudre à déscolariser son fils cadet pour couvrir les soins nécessaires à la survie de l’aînée. Elikia prit le chemin d’une filature, plus au Nord, là où son nom n’évoquerait rien, et il fut engagé. Alors, il s’accroupit à son tour sous les dents d’une machine, monstre hideux qui mâchait il ne savait quoi dans l’ombre, et il s’usa les doigts pendant près de trois ans dans les teintures et divers produits agressifs mais aussi sous les peignes effilés et les redoutables points de pincement. A bien des égards, le travail était angoissant, et il ne se fit jamais au sifflement des fouets dont usaient les contre-maîtres quand la cadence de travail diminuait, mais il était surtout douloureux et pénible. Ses membres étaient trop courts, on les avait adaptés à son poste de travail par des appareillages. Il faisait chaud, trop chaud quand la saison des Forges venait : toute la journée, on respirait de la sueur et de la poussière.

Un jour, sa blouse se prit à la manche dans le tourniquet d’un arbre de transmission, qui faisait cent tours à la minute. Par chance, malgré l’immense frayeur, l’habit se déchira avant qu’il ne soit projeté sur les métiers à tisser voisins, qui auraient pu lui briser les jambes. Il s’en tira avec une épaule salement déboîtée. Le contre-maître le mena tardivement à l’hospice, où les Prieurs, débordés, ne prirent soin de lui que très expéditivement. Zaïnaba dut réduire à nouveau la luxation, en redéboîtant, puis en remboîtant à nouveau l’épaule de son fils qui tomba inconscient sur le coup. Elle traita de tous les noms les infirmiers incompétents de l’hospice et les maudissant une bonne fois pour toutes, elle ramena son garçon chez eux. Il dut reprendre le travail deux jours plus tard.

Pendant ce temps, Shazadi était retenue à l’Apothicariat, où sa mère veillait à ce qu’elle soit soignée et où il avait été décidé avec son patron de tester sur elle un nouveau modèle de prothèse. La connexion de la Machine avec le système nerveux humain avait toujours été délicate et il en résultait souvent que tôt ou tard, une infection finisse par emporter le cobaye. Mais le cobaye sur le billard, cette fois-ci, c’était sa fille, et Zaïnaba n’aurait pas permis que ce vieil orgueilleux de médecin ne commette l’irréparable. Elle besogna nuit et jour sur des études ardues et il ne fallut pas moins de deux ans pour que la jeune fille sorte de sa convalescence et retrouve l’usage de son bras.
Comme au bout de tout ce temps, on ne la faisait plus tenir en place, ses parents acceptèrent de l’envoyer travailler aux docks du District Manufacturier, car elle refusait catégoriquement de revenir à l’usine.

A presque onze ans, Elikia quitta donc son emploi à la filature et retrouva sans attendre sa place au music-hall où la compagnie l’accueillit avec l’émotion d’une famille qui retrouve son enfant prodigue… ou du fermier qui remet la main sur sa poule aux œufs d’or, mais l’un n’allait pas sans l’autre. Ses expériences avaient pourtant changé le garçon et l’avaient rendu plus grave : il voulut être payé pour ses performances et bon gré, mal gré, on dut accepter sa requête.

La misère l’ulcérait. Le petit oiseau insouciant et charmeur d’autrefois ne se contentait plus de venir bequeter avec complaisance dans la main de ses riches admirateurs, il lui fallait plus. Il rêvait de succès, de bals et d’argent, de bains parfumés et de beaux habits. Il voulait oublier la faim qui le taraudait souvent, la tuberculose qui emportaient autour de lui artistes et ouvriers, le taudis où il vivait, la crasse, la nécessité et les regards méprisants des propriétaires qui se couvraient le visage d’un mouchoir en traversant les rues du District.
Il s’imagina des plans, pour s’extirper d’abord lui-même de la pauvreté. Puis il convoita bientôt une Ville idéale en lisant des pièces de théâtre et des romans achetés pour deux sous chez le brocanteur. Ses lectures se sophistiquèrent rapidement et, alors qu’il passait de longues heures plongé dans des traités poussiéreux de droit, de philosophie et quand le courage le prenait, d’économie-politique, ses rêvasseries devinrent des ambitions. Il comprit que si la Ville idéale ne serait jamais qu’une vue de son esprit, une Ville meilleure, en revanche, pourrait être l’œuvre d’une intelligence active – et cette intelligence pourrait être la sienne.

Il commença à avoir des discussions plus réfléchies avec Zaïnaba, quand le soir, ils se retrouvaient tous les deux à chuchoter au-dessus d’une lampe à pétrole. Ses amis, toutefois, ne prenaient franchement ses lubies au sérieux et riaient gentiment de cette flamme fébrile qui s’était allumée dans son regard. Cela ne faisait rien, pour le moment. Il fallait attendre, travailler dur et trouver la bonne opportunité, comme le disait sa mère.

Aussi, jusqu’à ses quinze ans, il donna le meilleur de lui-même à la compagnie. Il chanta des rôles comiques, puis de jeune premier en grandissant, et divertissait le public d’improvisations à la guitare et au piano.
Des musiciens étrangers se mêlaient parfois à leur joyeuse sarabande. Entre deux verres de vin sucrés, Elikia et Ruby inventaient avec eux de drôles de mélodies qui bondissaient sur les touches de leur piano, entraînées par des rythmes vifs et décalés. Il composa ses premières partitions, enthousiasmé par ces découvertes, et on joua et dansa sur du ragtime pour la première fois à la Maison des Sélénites.

Une nuit, quand il eut quinze ans, Zaïnaba rentra en trombe chez eux. Avec un rire d’euphorique, elle jeta une grande bourse remplie de ducats sur la table et clama devant son mari et ses enfants que dès le lendemain, le cours de leur existence changerait à tout jamais.
Elle raconta à sa famille combien elle avait travaillé ces dernières semaines pour préparer une importante présentation. Son patron devait la donner devant de grands pontes de l’Apothicariat, en se basant sur les inventions qu’elle avait pourtant initiées elle-même sur la prothèse de Shazadi. Elle leur dit qu’au milieu de ses rédactions, réalisant soudain qu’elle tenait là son occasion, elle avait décidé d’introduire une erreur dans ses calculs et de conduire son rapport jusqu’à un résultat et des conclusions erronés. Elle leur décrivit le visage arrogant du médecin qui déballait un laïus qu’il avait à peine pris le temps de parcourir, pendant qu’elle écoutait en silence sur les bancs de l’amphithéâtre, comme elle avait toujours l’habitude de le faire. Et puis, à la fin, elle s’était levée. Elle avait pointé l’erreur, impitoyable, et avait refait devant les scientifiques ébahis le raisonnement du début à la fin, sans besoin de la moindre note. On l’interrogea, elle répondit à toutes les questions, même les plus ardues, pendant qu’on faisait à présent taire son maître.
On évinça le bonhomme, et à Zaïnaba, on offrit son travail.

La semaine suivante, la famille Lutyens déménagea au District Pharma, dans une petite maison qui disposait de l’eau courante et de l’électricité, près des quais. Ridjal, le père, démissionna de l’usine et s’attela à monter une petite entreprise marchande en partenariat avec sa fille.
Malgré cette abondance de luxe, Elikia, quant à lui, vécut un peu difficilement sa séparation d’avec le music-hall et il arriva dans les premiers temps qu’il fasse le mur certains soirs pour rejoindre ses amis et son auditoire. Peu à peu, il remarqua les regards plus spécifiquement intéressés des vieux beaux et des dames fortunées qui le choyaient depuis son enfance. On le courtisa.
Il choisit de s’en accommoder.
Puis d’en profiter.
Il riait charmeusement aux plaisanteries douteuses, inclinait la tête d’un air d’innocence quand on lui susurrait des mots doux, et écoutait très attentivement les petits secrets qu’on gémit d’une voix distraite, sur l’oreiller. C’est une bonne oreille, Eli. Un garçon doux et prévenant, un merveilleux amant, mais chaque confidence qu’il recueille est une connaissance qui saura lui servir.
Il prit l'habitude de tenir un registre de ses partenaires, avec leurs noms, des détails intimes de leur vie privée et même des commentaires parfois assez crus sur leurs performances.

D’abord, il se fit entretenir. Ses amants le comblaient de présents au moindre de ses soupirs : il eut bientôt une malle pleine de beaux habits et son propre piano. On l’emmena aussi à l’opéra pour la première fois et il s’efforçait de bien paraître, quoi que la magnificence du beau monde lui fasse grande impression. Puis, désormais vêtu comme un prince et apprenant les manières des bourgeois en acteur de talent, il se servit de son carnet d’adresses pour se faire inviter dans les salons les plus en vogue. Il y jouait du piano, chantait et plaisantait subtilement avec de riches intellectuels et même de grands possédants industriels, sans oublier que seulement cinq ans auparavant, il trimait encore et suait pour eux sang et eau. L’affaire n’était pas non plus simple pour un enfant d’ouvrier. Pour rester dans la course parmi ces petites coteries, il ne suffisait pas d’être assez éduqué, il fallait pouvoir suivre des conversations de haute volée dans une grande variété de domaines. Alors Elikia lisait beaucoup, encore et toujours, piqué par la curiosité et l’angoisse de ne plus être à la hauteur, et il composait avec sérieux. Il acquit aussi des bases à la clarinette, grâce à l’aide de ses amis à qui il envoyait à l’occasion quelques petits chèques qui leur permettaient de vivre plus confortablement, et même de rénover la Maison.

De fil en aiguille, comme il l’espérait, sa petite notoriété lui valut de rencontrer des maîtres du Conservatoire. En catimini, ils lui reprochèrent ses positions de mains, au piano, et quelques maladresses au chant qui pourraient lui abîmer la voix, surtout à cet âge où les cordes vocales sont mises à dure épreuve. Mais il vit de l’intérêt dans leur regard, assez d’intérêt pour concevoir de l’espoir.
A l’approche de ses seize ans, il mit son plus beau costume, se présenta vaillamment au seuil de la villa d’un de ces grands professeurs, et le pria d’accepter qu’on lui offre une bourse pour étudier au Conservatoire. On l’invita à boire le thé et, amusé par la détermination du jeune homme, on fit mine de réfléchir.

L’attente ne dura pas très longtemps, en vérité. Une semaine plus tard, Elikia recevait chez lui une lettre d’admission de la part de la prestigieuse Ecole et ce fut à son tour d’exulter. Fiers comme des paons, eux aussi, ses parents dépensèrent autant qu’il était nécessaire pour lui trouver un logement au District Portuaire, de l’autre côté du fleuve, non loin des fortifications historiques de la Ville.

Et chaque jour qui se levait, il passait le glorieux portail du Conservatoire. Sa vie avait totalement basculé. Bien sûr, les professeurs étaient souvent odieusement sévères, et surtout fâchés des techniques peu conventionnelles qu’il avait adoptées au music-hall. Il avait reçu son content de coups de règle sur les doigts, mais il faisait l’effort de se corriger. Et du reste, il se perfectionna en tout comme jamais il n’aurait pu l’espérer ailleurs. Il apprit en outre le violon, passa maître accompli au piano et au chant, ainsi qu’à la clarinette, et il s’initia au hautbois.
D’autre part, plus besoin maintenant de vieux beaux ou de grosses dames enrubannées de fanfreluches. Il donnait cours à des enfants de bonne famille pour payer son loyer, et c’était suffisant. Ils n’avaient souvent aucune oreille, ses pauvres élèves, et suivaient avec peu d’enthousiasme les exigences de leurs parents qui aimaient à les exhiber devant la belle société, mais Elikia se montrait toujours courtois et bienveillant à leur égard. Il se faisait aimer et son carnet d’adresses engraissait paisiblement.

Pendant ses quatre années d’études, très intensives, il partagea un appartement avec six étudiants du Conservatoire, inscrits chacun dans des spécialités très différentes. Ils venaient tous de milieux relativement modestes et ce fut aisé – et rassurant – de s’en faire des amis sincères. Ce fut avec eux qu’il développa plus rigoureusement ses idéaux et un réel système de pensée. Il écrivit quelques articles à quatre mains, avec la philosophe du groupe, Dorothy Belvinia, une fille de comptables qui s’y entendait mieux en économie et qui se penchait d’ailleurs avec la rigueur d’un impresario sur les commandes qu’il acceptait et le train de vie irréfléchi qu’il menait. Leurs autres colocataires écoutaient leurs savants et passionnés discours, les yeux ronds, opinant timidement jusqu’à se laisser entièrement persuader. Leurs articles ne remportaient pas de franc succès, en vérité, et se heurtaient à de violentes critiques, mais n’est-ce pas, quelle importance ? Ils se faisaient entendre, rien que quelques temps, et c’était plus qu’Elikia n’avait jamais expérimenté. Il était positivement ravi, et même tout à fait extatique.

Cela, cependant, ne l’aidait ni à connaître le succès, ni à mériter le nom de Maître dans sa discipline. En outre, sa voix ne s’élevait certainement pas assez haut parmi le confus vacarme de la vie publique, à l’époque, pour être utile à quiconque, et s’il ne craignait jamais de dire les choses telles qu’il les pensait dans les débats d’opinion, Elikia finit par prendre son mal en patience. Il faudrait encore en grimper, des marches, avant de pouvoir changer ne serait-ce qu’un détail de la face du monde. En attendant, il ne devait pas gâcher ses chances.
Ses activités de polémiste se tarirent, ou se firent plus secrètes, en tout cas, alors qu’il s’était attelé à composer un bel éventail de valses et de danses, parfois très modernes et pour toute sorte de réceptions, qui lui valurent d’être joyeusement salué par la belle société.
Mais surtout, surtout, il s’était mis en tête d’écrire son premier opéra et la tâche lui réclamait beaucoup de temps et d’énergie. Il avait écrit le livret avec Tamino, son vieil ami, et l’avait intitulé Le Voyage dans la Lune. Il avait aussi collaboré avec un.e étudiant.e en chorégraphie pour y inclure de délicates scènes de ballet. L’année de ses dix-sept ans, il choisir de produire le spectacle pour la première fois à la Maison des Sélénites, pour témoigner sa reconnaissance et sa sincère amitié à ses bienfaiteurs. Ceux-là se remplirent les poches en le faisant acclamer par le public, tandis qu’il conduisait lui-même l’orchestre. L’œuvre, à la fois poétique et comique, fit le tour de toutes les gargotes populaires et des cabarets friands de nouveauté mais restèrent profanes devant les sacrosaintes portes de l’Opéra.

Qu’à cela ne tienne. Il leur fallait du grave, il leur fallait du dramatique, aux grandes âmes contemplatives de cette vénérable Institution. Il leur en offrit, orné de la musique la plus belle et la plus complexe jamais écrite de sa main. Ce fut le premier volet d’une duologie destinée à louée la grandeur de la Ville, à travers les exploits de celle qui était passée à la postérité sous le nom de Sainte Héléna. L’opéra, La Mascarade Hurlante, avait pour objet l’épouvantable épisode de peste qu’avait connu Excelsa, des siècles auparavant, et qu’Elikia représenta sur scène comme la malédiction d’un vieil indigent que des pouvoirs corrompus avaient condamné injustement. La pièce se passait en intégralité dans le domaine fastueux du Duc Prospero qui, indifférent aux malheurs des populations frappées par le fléau, s’était cloîtré derrière ses murs avec foule de courtisans pour mener une vie de vice et de plaisirs outranciers. Héléna, talentueuse Académicienne qui avait fait serment au peuple de découvrir l’origine du mal et de faire respecter les Cinq Préceptes par la noblesse, s’introduisait chez Prospero, une nuit, pour lui faire entendre raison. L’histoire, de plus en plus horrifiante, finissait en demi-teinte, entre victoire et bain de sang, et le jour se levait sur une Ville ravagée qui devait son salut à l’intelligence et à l’intégrité d’une femme emblématique.
Les chœurs étaient puissants, l’histoire saisissante de cruauté, et malgré l’aspect critique très acéré qui motivait la pièce, les valeurs éternelles de la Ville triomphaient dans l’aria final, portées par la mémoire mélancolique de ses erreurs.

Cette fois-là, Elikia remporta l’Opéra et mieux encore, il en conquit le public. C’était le théâtre le plus grandiose dans lequel il eut jamais fait porter sa musique, l’expérience la plus galvanisante qu’il ait vécu de sa vie – et elle lui valut enfin le titre de Maître. Le succès fut retentissant, la recette, fabuleuse. L’argent le rendait ivre, il y en avait de telles brassées ! Quelques jours plus tôt, de telles sommes lui auraient paru inconcevable. Parfaitement étourdi par sa nouvelle richesse, il la dilapida presque entièrement à l’achat d’une villa ornée d’une plage privée, au District Balnéaire. Il y invita ses amis, les riches, les plus modestes, et les pauvres, ils festoyèrent pendant des jours dans un kaléidoscope multicolore – et depuis lors, jamais sa maison ne put tout à fait retrouver de parfaite tranquillité, sauf peut-être dans son bureau où il s’isolait pour composer.
Car de nouveau, il fallut rapidement composer : il n’avait plus un sou en poche. Les cours qu’il donnait maintenant au Conservatoire lui assuraient un salaire confortable, mais son compte en banque supportait mal son train de vie et sa fameuse prodigalité. Il donnait toujours beaucoup, parfois au point qu’il faille vendre quelques meubles pour payer les employés de maison ou ne pas contracter de dettes.

Oh, il avait bien des partisans et des admirateurs qui se seraient empressés de lui prêter de belles sommes, s’ils avaient appris qu’il était parfois dans le besoin, mais il s’y refusait. Il écrivait avec le plus grand sérieux le deuxième volet de sa duologie, sur le siège d’Excelsa par Trius, et ne sortait plus que le soir, à l’exception des jours où il devait remplir ses obligations au Conservatoire.

Il avait toujours été très investi au sein de l’Ecole. Etudiant, il était déjà celui qu’on désignait pour dialoguer avec l’administration et les professeurs. Maintenant qu’il était de leur cercle, sa popularité précoce faisait des jaloux, bien sûr, mais il se lia aussi d’amitié avec de brillants collaborateurs. Par ailleurs, il avait à présent des connaissances de tout bord qui ne cessaient de se tourner vers lui et le consultaient désormais pour diverses affaires. Il était le précieux intermédiaire, un négociateur habile, un entremetteur complice. Il aida notamment à nouer un certain nombre de Contrats dans une entente admirable, mais il fut aussi d’un grand secours à des jeunes gens désireux de se marier contre l’avis de leurs familles et il tendit la main à un bon nombre de petites gens et d’artistes indépendants qui souhaitaient s’élever socialement et pour qui il lui arriva d’ouvrir même les portes du Conservatoire, comme on l’avait fait pour lui auparavant.

L’année de ses vingt-et-un ans, il donna au public non seulement le second volet de sa duologie sur Sainte Héléna, mais il entreprit aussi de revenir à des thèmes qui lui étaient chers, plus rieurs – quoique non moins critiques – et plus fantaisistes, en se lançant dans l’écriture d’une comédie burlesque. Certains de ses collègues tordirent un peu la bouche à cette idée et un de ses rivaux les plus notables, Virgile Desmarais, lui reprocha même, en entendant parler du livret, de galvauder la réputation de l’Opéra dans un fatras vulgaire. Ils se fâchèrent et Desmarais se plaignit directement à la vieille directrice du Conservatoire, Bérénice Arbogast, une sculptrice qu’on disait acariâtre, avide, grincheuse, et malgré son âge avancé, affreusement attachée à sa chaire de Premier Maître. Pendant que Desmarais exigeait d’Elikia qu’il fasse des choix plus élevés, en argumentant que la fonction de l’opéra était avant tout d’ennoblir les artistes et leurs spectateurs, Elikia s’exaspérait des vieilles lunes qu’on ne cessait de lui commander et proclamait qu’il en avait assez de ne composer sempiternellement que sur le passé. Quand il s’exclama que tous les braves gens que Desmarais mettait lui-même en scène dans ses opéras étaient si loin d’eux qu’ils chiaient du marbre, Arbogast éclata soudain d’un grand rire surpris.
Il lui fallut de longues minutes pour retrouver son sérieux, sous les yeux médusés des deux musiciens, et quand elle se remit de ses émotions, elle congédia Desmarais et invita Elikia à dîner le soir-même.

Au restaurant, elle déplora l’hypocrisie et le snobisme qui étaient monnaie courante depuis bien longtemps au Conservatoire, comme dans les hautes sphères en général, et elle le félicita pour l’audace dont il faisait preuve quant à lui. Elle avait lu le livret et était prête à assister à la première répétition.
En deux semaines, pressé par sa nouvelle mécène, il plia ses compositions et Bérénice Arbogast s’amusa comme jamais en assistant aux costumières. La musique jaillissait avec spontanéité, elle frémissait, bouillonnait, grandissait dans des crescendos éblouissants… Et pourtant, la première représentation à l’Opéra fut un désastre. Chacune des entrées d’Elikia, qui assurait la partie du continuo à la harpe ou au piano, fut chahutée et la sérénade du ténor fut sifflée, alors qu’il essayait d’accompagner son chant avec une guitare de toute évidence désaccordée. Il était clair que Desmarais avait acheté une partie du public, en plus de saboter quelques instruments. Pour couronner le tout, un des acteurs trébucha sur les planches et dut sortir, le nez en sang, et un chat traversa la scène, provoquant dans le public un concert moqueur de miaulements. Le désordre était indescriptible.

Elikia était rentré chez lui pendant la nuit, effondré, lorsqu’il fut surpris par les vivats d’une foule de partisans venus l’acclamer dans la rue devant sa villa. Il comprit que tout ce cauchemar ne pouvait être qu’une farce, car la deuxième représentation, encouragée par Bérénice elle-même, donna de nouvelles preuves de sa popularité. Le succès était là et la première déconvenue avait renforcé les liens du jeune homme et de la directrice, qui devinrent d’excellents amis.

Ce fut elle qui l’introduisit à la Cabale, quelques mois plus tard. Cela l’amusa beaucoup de le faire venir, car ses collègues désapprouvaient pour la plupart cette décision, jugeant que son protégé était trop jeune, trop insouciant ou provocateur, ou même qu’il n’avait l’étoffe que d’un arriviste. Pour elle, cependant, les réunions étaient d’un mortel ennui, les membres de la loge déprimants et leurs discours surannés. « L’art, c’est la forme. Non ! L’art, c’est la couleur ! Non, l’art, c’est l’esprit ! » On avait besoin de neuf, de davantage de légèreté, et de moins de gravité.
Maîtresse accomplie dans la discipline de la Création, elle permit à Elikia de s'initier à l’art de l’Empathie, à travers lequel chaque performance musicale devenait une expérience de transcendance unique. Il vit des choses extraordinaires qu’il admira longtemps, ébahi d’émerveillement, avant de se persuader que ces nouveaux secrets ne sauraient pas demeurer inutiles…

Ironiquement, ses exercices à la Cabale le rendirent plus aimable au regard des Maîtres qui y participaient, car l’Empathie lui offrait le pouvoir de sonder de mieux en mieux leur sentiment, et de s’adapter comme un caméléon pour leur plaire. Ce talent lui rendit de nombreux services en société.
Il séduisit des partisans très hauts placés par ce moyen et étendit plus largement encore son influence, jusqu’à rencontrer des Princesses et des Princes, fugitivement, certes, mais avec quel honneur !

A ses vingt-quatre ans, fort de centaines de représentations et d’une quinzaine d’opéras composés, il s’imaginait mal de vie plus fortunée. C’est pourquoi il reprit avec plus d’assurance ses écrits de polémique socialiste, piqué par la sécurité confortable dont il jouissait maintenant. Il les développa, les renforça, et les donna à la publication en déclenchant un retentissement furieux dans les cercles d’intellectuels, et surtout parmi les entrepreneurs industriels directement visés par ses critiques.

Ce nouveau scandale n’empêcha pas Bérénice Arbogast de le désigner comme son successeur, la même année, lorsqu’elle décida, à la surprise générale, de rendre finalement les clés de la direction du Conservatoire. Elikia savait sa santé un peu plus fragile qu’autrefois, mais il fut étonné comme les autres de son départ que la vieille dame n’avait jamais voulu laisser anticiper à personne.
Il accepta donc la charge de Premier Maître, un peu déstabilisé par la hauteur de sa nouvelle position, comme un gosse de dix ans qu’on aurait flanqué dans l’armure d’un géant. Mais il joua le jeu, il fit semblant, dans un premier temps, d’être digne et capable de cette fonction, et peu à peu…

Il le devint.
Quelques fois, il faisait de longues promenades sur le Cogwell, avec Bérénice, pour lui raconter les dernières anecdotes plaisantes du Conservatoire et discuter avec elle des décisions qu’il pensait prendre dans les prochaines semaines.

Il assouplit et réglementa le système de bourses en l’organisant par échelons, avec l’aide de Dorothy Belvinia qui était devenue trésorière de l’établissement. Régulièrement, il envoyait également des émissaires dans les quartiers ouvriers pour offrir aux enfants défavorisés l’opportunité d’être payés en formant par exemple des chœurs à l’opéra et ainsi découvrir l’univers artistique et s’y trouver peut-être une place. Il tentait d’offrir ce genre d’opportunités dans autant de domaines que possible – intellectuels, de façon générale – et mettait même en place des partenariats avec des écoles pour les rendre gratuites. Avec l’aide de travailleurs bénévoles, souvent des artistes issus comme Tamino du même milieu que ces enfants, il fit enfin ouvrir des centres culturels un peu partout en ville, afin d’accueillir ceux qui vagabondaient dans la rue et leur apprendre à lire, tout au moins, s’ils le voulaient.

Bien sûr, ouvrir les portes du Conservatoire aux petits pouilleux du bas-peuple n’était pas du goût de tout le monde, en particulier des riches familles qui avaient le sentiment qu’on leur retirait injustement leurs privilèges, mais Elikia était à la tête d’un des plus grands instituts d’Excelsa, à présent, et il était entouré de partisans. Il avait attendu cette chance toute sa vie. Les critiques étaient mesquines et les oppositions inutiles. Cela ne changeait rien à sa détermination.

Et puis, au début de l’an 1126, le Prince Denvis Shah rendit l’âme.

Cela troubla étrangement Elikia. Sans même le savoir, ce grand magnat de l’industrie textile avait longtemps tenu la vie de sa famille entre ses mains et aujourd’hui, toute la Ville était en deuil de sa disparition. Lui, il se sentait amer. Amer et inexplicablement indécis.
Le destin lui jouait un drôle de tour. Fallait-il reconnaître là encore une opportunité ? Il était à la fois spécialement exaltant de s’imaginer lui succéder, et en même temps… En même temps, c’était vraiment très perturbant. Il n’avait pas souvent craint de ne pas se sentir à sa place en se frayant son chemin d’arriviste déclassé, sauf une fois, peut-être, en prenant la tête du Conservatoire. Mais songer maintenant à remplacer Denvis Shah… ? Y était-il seulement autorisé ?
Quand il parla avec tant d’hésitation de sa possible candidature à la fonction princière à Zaïnaba, elle le prit par les épaules et le força à soutenir le regard le plus exigeant qu’elle lui ait jamais destiné de toute sa vie. Il le soutint.

« Tu ne peux pas te permettre de reculer maintenant. La porte s’est ouverte. N’importe qui peut entrer dans ce Palais et décider de tout, ou presque, loin de notre regard. Ce pourrait être un autre Denvis Shah, mais il faut que ce soit toi. »

Il fallait que ce soit lui.
Sa famille était prospère, désormais. Quant à lui, il avait de l’influence, il était aimé, il était même adulé. Qu’avait-il à envier à un Denvis Shah ? Rien. Vraiment rien. Et qu’y avait-il en politique qu’il ferait, auquel ce vieil homme n’aurait pu songer ? Tout. S’il pouvait agir, alors il devait agir.

Il se porta candidat en même temps que David Thorn, un vaniteux industriel qui se voyait déjà les fesses assises entre les trois autres décideurs de la cité. Cela inspira plus de conviction encore à Elikia, et le jour vint où les Princes annoncèrent publiquement le nom de celui qui avait obtenu leurs faveurs.

Chers détracteurs, la suite, vous la connaissez.
Mais vous qui êtes si prompts au scandale, attendez donc un peu… S’il a conscience des embûches, il n’y a pas grand-chose au monde qui saura forcer Elikia Lutyens à renoncer. Il y a encore du travail à abattre et des millions de choses à faire et à dire. Vous n’avez encore rien vu.
Nom : Lutyens.
Prénom : Elikia. (Eli, pour ses proches.)
Âge : 25 ans (bientôt 26), né en 1100, le 7 de la saison du Renouveau.
Genre : Masculin. (Tout en douceur.)
Titre(s)/Métier : Prince Compositeur. Premier Maître (directeur) du Conservatoire. Membre de la Cabale.
Faction : Conservatoire.
District : Balnéaire.
Vertu(s) : Foi & Créativité.
Vice(s) : Acharnement & Intransigeance.
Etranger : Non.
Pouvoirs : - Artiste Excelsien : Arts de la Scène et Musique.
- Cabale / Empathie.
- Charme [+]
- Partisans [+]
- Construction Mineure.

 
Opinions

 
Elikia Lutyens a réussi le tour de force de demeurer un penseur honnête et passionné, tout en devenant un homme du monde. Aussi, même s’il se montre toujours courtois et ouvert à la discussion, et cela peu importe son interlocuteur, il garde des opinions solides, sévères quelques fois, et s’est formé bon nombre de principes et de jugements tranchés. Ils sont d’ailleurs ramassés depuis deux ans dans un livre qui a déclenché fureur et fracas et qu’il a ironiquement intitulé Considérations inactuelles.

Si l’on devait en tirer une substantifique moelle, ce serait le regard révolté d’un idéaliste sur un monde où la recherche frénétique du profit a englouti toute forme de vraie liberté et même toute pure étincelle de morale. Elikia est dévoué à la Ville et à ses Préceptes, c’est un fait, mais c’est surtout à leur esprit qu’il est attaché, et à ses habitants, en particulier les malheureux et les plus démunis. Les gens brillants, ceux qui ont percé et prospéré par leurs propres moyens, obtiennent pour la plupart son respect, car ils le méritent souvent, mais pour un nouveau riche, il ne valorise pas particulièrement la réussite sociale.
En effet, c'est un ferme partisan de l’égalité des chances, et dans une Ville où les moyens de production sont aux mains des uns, et la seule force de travail aux mains des autres, il est clair que la subsistance restera encore longtemps le seul motif de l’existence des ouvriers moyens, si l’on n’y fait pas quelque chose. Voilà ce que c’est, l’exploitation. L’obligation de se vendre aux Industriels et à leurs grandes compagnies pour acheter le droit de boire, de manger, de dormir et de se reproduire. Qui à Excelsa sait encore respirer librement ? Les riches eux-mêmes sont aspirés par la « bénédiction du travail », et entravent pour beaucoup leurs désirs, leur goût et leur indépendance, dont ils privent en même temps les plus pauvres.

Bien sûr, Elikia n’est pas non plus irréprochable en la matière. C’est un bourreau du travail, un acharné, il passe une bonne partie de son temps à écrire, objecter, argumenter, répliquer et agir, surtout, au nom du progrès social.
Désormais Prince de la Ville, il s’évertuera avec la dernière énergie à la rendre plus belle et digne de l’idéal que vendent partout ces fameux Préceptes. Cela passe principalement par la gigantesque besogne qu’il reste à accomplir en ce qui concerne la législation – et en particulier la législation du travail qui – horreur ! – est absolument inexistante. Il est nécessaire pourtant d’imposer des réglementations strictes aux Industriels, pour établir un régime plus équitable. Elikia rêve d’un système légal propre, net, complet et parfaitement ordonné, mais évidemment, cela rebute le libéralisme glorifiant dont on chante les louanges partout dans les beaux quartiers.

C’est grossièrement l’objet de ses écrits. Mais il a des critiques et des pensées plein sa besace qu’il n’a pas encore osé déclamer en public et qu’il garde pour lui, pour l’instant, en tout cas.
On le dit incorruptible et il est vrai qu’il est même difficile de satisfaire complètement ses exigeants principes en matière d’éthique, mais en réalité, il est capable de fermer les yeux sur certaines exactions, notamment si elles s’expliquent par les déficiences du système. Evidemment, il condamne catégoriquement la violence et il n’a pas de mots assez durs pour attaquer les pègres qui gangrènent Excelsa, mais il pourrait se faire l’avocat de bien des délinquants qu’il n’estimera pas entièrement responsables de leurs choix. Il est clément, de façon générale, et répugne à la peine capitale.
En politique, ce qui le trouble, le dérange, et même lui inspire quelques craintes, c’est d’ailleurs la puissance inégalable dont s’est accaparée le Prieuré, qui accumule les pouvoirs judiciaire et exécutif en son sein. Pour sa part, il est d’avis qu’on devrait les séparer avant qu’un drame n’arrive. En s’appuyant sur ces deux forces immenses, n’importe quel Premier Prieur pourrait s’emparer de la Ville en un tour de bras, actuellement, s’il le voulait ou si quelque folie l’inspirait.

Mais Elikia est aussi un artiste et en tant que tel, il accorde un certain nombre de journées à la réflexion, à la méditation et aux rêveries. Il est très attaché à la liberté d’expression, naturellement, mais si on fait un pas hors de la politique, comme cela lui arrive souvent, on lui trouvera des goûts très baroques, en art, audacieux et très nouveaux. Il aime la fantaisie, les histoires fantastiques horrifiantes, les contes philosophiques, la poésie touchante, mais aussi la légèreté et les comédies. Ses œuvres sont souvent joyeuses, vivantes, dansantes, mélodiques, et parfois seulement entamés par une certaine mélancolie. Même ses opéras les plus solennels ne mettront souvent en scène que d’humbles personnes capables de grands sentiments. Car, après tout, c’est peut-être là qu’il se reconnaît le mieux.

 
Description

 
Elikia a du charme. Mais un charme particulier, une beauté singulière que tous ne trouvent peut-être pas à leur goût et qu’on ne découvre pas en rêvassant entre les pages d’un roman – c’est un charme intelligent, profond et magnétique. Ce qui touche, surtout, c’est la douceur de son timbre, sa voix de ténor léger, lumineuse, chaude et paisible, qui couvre trois étonnants octaves au chant, et enfin le sourire qui anime toujours son visage, honnête et d’une assurance absolue.
Il aime les belles choses, spécialement les beaux vêtements, qu’il collectionne dans une impressionnante garde-robe. Raffiné et optimiste, il s’habille bien souvent de couleurs fortes qu’il porte avec autant d’art que les plus inconfortables des costumes. Car c’est aussi un formidable acteur et la règle d’or dans le métier est de paraître toujours plus à l’aise qu’on ne l’est réellement. Par la même occasion, il a un goût certain pour le déguisement et sait se grimer avec beaucoup de talent, quand il ne se maquille pas simplement par coquetterie.

Très propre sur lui, il est toujours impeccablement rasé, mais raccourcit rarement son nuage duveteux de cheveux crépus qui moutonne librement et dans tous les sens sur son crâne. Il prend particulièrement soin, toutefois, et répand souvent derrière lui de douces odeurs d’huile de coco.
Sa peau est sombre, souvent parfumée, ses pupilles noires, pétillantes et malicieuses. Sans ses grosses lunettes qui lui rendent l'expression si sérieuse, il est myope comme une taupe et il paraît bien plus jeune qu'il ne s'en donne l'air. Son visage d'enfant est franc et lisse, et sait passer instantanément de la concentration intense à la joie la plus rayonnante.

Mais derrière les beaux atours et son jeu de jeune premier, Elikia reste un petit bonhomme inquiet, dont la constitution a souffert pendant quinze ans de mauvaises conditions de vie, mais aussi d’un travail trop précoce à l’usine. Autrefois malingre, il est mieux portant aujourd’hui et son allure générale a gagné en élégance, mais il reste assez chétif et ses articulations sont étonnamment menues. Toutefois, il s’entretient autant que faire se peut, par souci de sa silhouette et pour garder la santé. Il est assez bon joueur de tennis, en particulier, quoi que les sports n’aient jamais remporté chez lui de franc intérêt – et surtout, ses manières très lascives, parfois, ne laissent pas beaucoup de doute sur le genre d’activité auxquelles il préfère s’adonner.

Il n’a pas poussé très haut non plus, il faut bien en convenir. Il rehausse son petit mètre soixante-dix en portant parfois des talonnettes, surtout pour ne pas rougir en compagnie des mastodontes de la gente masculine. Son épaule droite, mal soignée après une luxation, le fait quelques fois souffrir et elle se déboîte pour un oui ou pour un non, ne serait-ce qu’en subissant un choc brusque ou un coup. Ses mains et ses avant-bras, enfin, sont recouverts de minuscules cicatrices et chacune lui cisaille discrètement la peau en souvenir des mille coupures et égratignures récoltées pendant son travail à la filature. Il assurera d’un ton léger que cela n’a pour lui aucune importance, mais on remarquera qu’il a souvent tendance à porter des manches assez longues et des gants qui ne laissent rien suspecter de ces vestiges de la pauvreté, sauf évidemment pour jouer de la musique ou conduire un orchestre. Mais ce pourrait être le signe d’un embarras réel, comme d’une simple coquetterie. Malgré son formidable bagout, il demeure toujours très discret concernant son intimité, et comme bien d’autres choses, cette petite manie ne sera jamais destinée qu’à faire vagabonder votre imagination.


Spoiler:
 


Dernière édition par Elikia Lutyens le Sam 24 Mar - 18:47, édité 29 fois
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Otton Egidio
Prince Prieur

Otton Egidio

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Fiche : Ici
Vice : Luxure
Faction : Prieuré
District : Prioral
Influence : 3403
Occupation : Premier Prieur
Disponibilité : Je vis ici

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MessageSujet: Re: Elikia Lutyens   Elikia Lutyens EmptyMer 24 Jan - 19:45

Eh bien, c'est parfait. On en débattu en long et en large, il n'y a rien à dire sinon... Bon jeu à toi !

J'ai un RP déjà tout prêt pour toi.

Longue vie au nouveau Prince !
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Elikia Lutyens
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