Une chemise blanche, un pantalon noir, le grain de sa peau voilé par l'obscurité. Gabriel était assis à son bureau, écrivant ce qu'il avait appris de nouveau au cours de ses entretiens. Ses journées étaient simples et chronométrées à la minute prêt, comme du papier à musique. Il laissait le matin aux habitudes des autres médecins, il étudiait avec son professeur les maladies infectieuses, il l'écoutait lui expliquer comment les nerfs fonctionnaient, comment certains médicaments influençaient la perception du monde. Sa famille, qui avait été forcer d'accepter que leur dernier-né s'occupe dans les branches obscures de la science. Mère était fière de le voir investir d'autres domaines, car dès qu'il avait acquis les bases de la chirurgie, le jeune Gaultier s'était intéressé au cerveau. Mère était fière de tout, de lui, qu'importe ce qu'il aurait pu faire. De toute façon, il avait été toujours son préféré ; le fils prodige. Quant à Père...
Gabriel était persuadé que selon les horizons, le cerveau n'avait pas la même taille, ou qu'il n'était pas assemblé de la même façon. Le vécu, la génétique, et le hasard étaient pour lui ce qui constituait un être humain.
Alors, Gabriel Gaultier écrivait à son bureau, écoutant d'une oreille distraite le son de la plume grattant le papier. Il s'était souvent su différent des autres, sans jamais mettre le doigt dessus. Il était loin, pourtant, des rumeurs fantasmagoriques que sa profession engendrait. Au repas de sa famille, Gaultier-Père l'interrogeait souvent sur le bien-fondé des dit-on : « ne dit-on pas que les médecins qui t'entourent sont à l'origine des disparitions ? » Gabriel répondait « non », l'air taquin, en soufflant tout bas au Patriarche qu'il ne fallait pas croire la parole des gueux.
La plume dansait sur le papier. Son bureau n'était pas grand, il ressemblait davantage à une chambre étudiante qu'à un véritable bureau. Il était impersonnel, un lit contre le mur, la fenêtre juste à côté, entrouverte. Une armoire, un bureau, une chaise, une petite bibliothèque. Il avait quitté le faste de la noblesse pour la recherche. Son professeur supervisant sa thèse de doctorant, vieux scientifique un peu méprisant moquait son intérêt spécifique pour le cerveau humain. Il raillait son caractère lisse, lui demandant comment se faisait-il qu'un jeune homme d'une aussi bonne famille atterrisse par ici. Son père était banquier, sa mère était une bourgeoise aux hanches étroites, qui avait donné naissance à deux garçons, et occupait son temps à décorer les appartements de ses amis. En voyant l'intérieur de sa chambre, Gabriel songeait qu'elle serait tombée en crise. Impersonnelle, aucune décoration, quelques vêtements sobres ; il dissimulait les boutons de manchettes en argent et ses chemises en soie sous clef, dans une malle glissée sous le lit.
Insaisissable pour les uns, prétentieux pour ses rivaux, creux pour son professeur. Frère aîné disparu dans des circonstances étranges. Fugue racontait-on, suite au décès prématuré de son meilleur ami. Il avait crée une rupture au sein du couple parentale, tantôt le fils prodigue... tantôt le fils sous-estimé, qui au final, poussé par les élans de son âme s'étaient retrouvé à un bureau, aussi impersonnel que la morgue à étudier l'Humanité. Il avait pourtant failli finir comme son père, à la banque. Il avait failli concrétiser les espoirs du Patriarche, introduit auprès d'un viel ami de celui-ci. Un homme charismatique qui pourtant l'avait fait fuir, en quelque sorte. Gabriel n'avait jamais donné de raison. Secret de polichinelle. Il n'aimait pas être une proie. Et s'il semblait en être une, fragile dans sa douceur, maniable dans sa fadeur, c'était parce qu'il voulait le faire croire.
Après tout, il avait fait ses preuves.
Gabriel écrivait, rien de méchant, jamais ses états d'âme, mais il écrivait souvent. Il voulait donner son nom à cette nouvelle médecine dont il était l'essor. Il se prenait pour un nouveau génie. À quel point comprendre autrui lui permettrait de les contrôler ?
« Tu es bien trop pur et naïf pour ce métier, mon garçon. Que crois-tu découvrir ? Que cherches-tu ? — Je travaille sur la folie, avait-il répondu à son professeur. — Comprendre la folie ? Voyons... quelle idée saugrenue. Sais-tu ce qu'il y a d'important dans l'humanité ? Le corps. L'âme est un précepte inventé par quelques croyants de comptoir. — Et si... la folie était une autre façon de percevoir les choses ? Avançait-il d'une voix douce. Et si... ce que nous appelons folie n'est simplement pas un comportement sortant des normes ? — Tu es trop gentil, comment veux-tu soigner l'âme sans toucher au corps ? — Des travaux antérieurs que j'ai récupérés d'autres hommes. » Gabriel en était au début. À l'instar de son saint-patron - voilà comment sa mère aimait appeler Gabriel de Myre —, il désirait découvrir d'autres contrées. Civiliser les sauvages, et aussi les terres inexplorées du cerveau humain. La drogue, ou bien la thérapie par électrochoc, camisole chimique, autant de moyens pour délier la langue du cerveau. Il en apprenait un peu plus chaque jour, il laissait les gens se confier à lui, patient. Puis, il entrait, lentement, mais sûrement dans leurs esprits. Manipulation aurait été un mot approprié, mais ce n'était pas très poli de le dire ainsi. Disons que cela ne lui plaisait pas.
Ancien banquier — donc —, ou du moins, il avait failli le devenir. Son père avait eu pour un ami, « cet homme », charismatique et beau, qui d'une parole soumettait les autres à son autorité. Armand. L'écriture, même lorsqu'il s'agissait de coucher sur papier les entretiens avec ses « patients », que ce fût des échanges pacifiques, ou d'autres qui — vulgairement — auraient été assignés à de la torture, encourageait les souvenirs à remonter. Il avait appris à ne pas superposer son expérience personnelle avec celle de ses patients, et à se détacher de la situation. Il gardait un regard analyste, avant tout ; il s'agissait de les guérir. Pour se guérir soi-même ? Voyons. Non.
Sa main tremblait légèrement, tandis que Gabriel se souvenait de sa « jeunesse ». Son père l'avait introduit à Monsieur Armand, afin qu'il puisse s'épanouir dans un travail, qui malgré tout demandait un peu de poigne - ce qui lui faisait soi-disant défaut. Il avait été soigneusement éduqué, mais il n'avait pas été préparé « au monde du travail ». Au début, les tâches qu'il effectuait dans la banque de Monsiuer Armand étaient celles d'un secrétaire. Mais à cette époque, il avait à peine vingt ans. Il avait admiré cet homme pour sa prestance, sa voix profonde courant le long de son échine. Des mauvaises langues murmuraient que durant les quelques semaines de travail là-bas, il l'avait suivi comme un petit chien. Puis, un jour, Armand lui avait demandé de le rejoindre dans son bureau, seul.
Cet endroit qui respirait l'ordre et la beauté, le calme, le luxe, et la volupté. Une grande pièce, dotée d'un bureau en bois massif, derrière lequel une immense fenêtre donnait sur la rue. Souvent, Monsieur Armand se postait là, en silence, et il contemplait le monde à portée de sa main. Plusieurs tapis recouvraient le plancher, plus cher que la vie de ses employés. « Venez mon garçon. »
Ce n'était pas la première fois qu'ils se retrouvaient seuls, mais dans le crépuscule naissant, les lumières dorées et tamisées qui se déployaient dans la pièce offraient une autre ambiance. Un livre de compte contre la poitrine, entièrement vêtue de noir, sa jeunesse le poussa à ravaler le sentiment étrange qui lui avait étreint les tripes. Gabriel se rapprocha, et étonné, il s'assit à la place que son patron occupait habituellement. Armand le lui avait désigné d'un geste de la main, puis il le laissa ouvrir le livre des comptes.
Penché derrière lui, dans son dos, il étudiait la manière dont il formait ses lettres. Le papier grattait sur la feuille, tandis que de sa voix grave, Armand lui dictait les paroles.
« Après étude de votre dossier, nous constatons qu'en ce jour, votre dette s'élève à... »
Ce fut là que Gabriel se demanda pourquoi le directeur de la banque s'occupait des dettes d'un simple citoyen. Pas quelqu'un d'important, un vendeur de porcelaine en train de faire faillite. Il sentit Armand bouger derrière lui, il posa d'ailleurs une main sur son bureau, près de lui.
« Vous hésitez, Gabriel ? »
Le jeune homme sursauta, il se contenta de relever les yeux sur lui, avant de se concentrer sur son travail et de souffler un « non » intimidé. Il reprit l'écriture, Armand soupira dans son cou alors, et il en frissonna. Il se rapprochait, son ombre s'écrasait sur le livre de compte, tandis que ses doigts se crispaient autour de la plume.
Que voulait-il ? C'était son imagination.
« Comment se porte votre femme ? »
Essaya-t-il, la voix enrouée. Armand se pencha davantage, il l'entendit respirer l'odeur de sa nuque, et il se crispa. Il ne sut pas très bien ce qu'il ressentit ce jour-là, mais quelque part, l'innocence et la pureté qu'on lui prêtait à cause de son apparence, l'enragea. Pour autant, s'il inspira et bloqua sa respiration quelques secondes dans sa poitrine, ce ne fut pas pour soupirer ensuite, et lui faire croire qu'il était engagé à poursuivre plus loin. Une nouvelle émotion émergeait à cet instant, lui qui les ressentait toujours avec beaucoup de distance. Elle était si nouvelle, si éprouvante qu'il en resta bloqué. Armand humait son parfum, sans répondre. Le contact lui devenait inconfortable. Et bientôt, une autre émotion se souda à la première. La colère.
« Tout chez vous appelle à se faire dévorer. Si je ne vous endurcis pas, vous resterez une proie. »
Mais il n'était pas assez naïf pour ne pas comprendre ce qu'Armand avait en tête, surtout lorsqu'il avait grondé « endurcir » en posant la main sur sa cuisse ; Gabriel en avait honte. Quelle vulgarité.
Avec le temps, les choses douloureuses finissent par se perdre dans la mémoire. Celle-ci, afin de protéger l'esprit au mieux les efface, enterre. Le jeune Gaultier — plus vraiment si jeune — en avait eu conscience. Il avait honte, non... pas que. Sans donner d'explications, il avait donné sa démission à Monsieur Armand. Gardant dans sa poitrine ce qu'il avait subi, il n'en raconta jamais rien à personne. Sans sa mère, son père l'aurait forcé à s'agenouiller devant Monsieur Armand, afin de le supplier de le reprendre à ses ordres.
Gabriel avait désormais un objectif, et il se pencha vers la médecine pour s'en approcher. Sa mère finança son appartement, son père lui promit un avenir semé d'embûches.
Et voilà que désormais, il employait son temps à résoudre les mystères du cerveau humain. Lorsque son frère avait disparu, à ses quinze ans, il n'avait pas ressenti de tristesse. Au contraire, il avait été soulagé de devenir enfant unique. Dans sa petite chambre, semblable à celle d'un étudiant, il couchait sur papier les résultats de ses recherches. La chirurgie l'intéressait uniquement si ouvrir le crâne d'un homme lui apportait quelques réponses ; des cerveaux plus gros que les autres, pas tous de la même forme. Peut-on voir à l'oeil nu sur un cerveau humain les changements que des psychotropes peuvent produire ?
Gabriel Gaultier était aux prémices d'une nouvelle discipline. En attendant, il devait financer sa thèse pour son doctorat, tout en donnant cours aux premières années. Il était certain qu'il serait le génie qui manquait à cette époque. Ses patients — ceux qui avaient échappé aux thérapies brutales, comme l'électrochoc — l'avaient surnommé « médecin de l'âme ». Il aimait dire cervologue. Il soignait les démunis, les laissés pour compte, pansant les blessures de leurs coeurs avec des « médicaments ». Et sur ceux-là, Gabriel avait l'ascendant. Le contrôle.
Et peut-être qu'un jour, cela ferait taire cette émotion trop forte qu'il avait ressentie en présence d'Armand. La peur.
Se dominer pour dominer les autres, là où tout est ordre et beauté, calme, luxe et volupté. Les émotions humaines étaient d'un romantisme patibulaire ! Gabriel soupira, il termina d'écrire. Il avait encore du chemin à parcourir.
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Nom :Gaultier Prénom : Gabriel Âge :25 Genre :Homme Titre(s)/Métier :Médecin de l'âme Faction :Apothicariat District :Pharma Vertu : Imperturbable Vice : Le contrôle Etranger : Non Pouvoirs : - Furtivité [300PI] - Eloquence (100) - Praticien [300PI] - Artisanat [100PI] : Médecin de l’âme |