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Zaïra Pichardo
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Zaïra Pichardo

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MessageSujet: Like Diamonds in the sky   Like Diamonds in the sky EmptyJeu 10 Mai - 21:48

Mon archet glissa lentement sur la chanterelle de mon violon. Je jetai un regard au professeur. Il sembla réfléchir avant de prendre la parole, presqu’impassible hormis un léger frémissement des ailes de son nez. Je savais à quoi m’attendre. Bien sûr, ça n’avait pas été une catastrophe le morceau était sorti tant bien que mal. Pas de fausse note et les gammes imposées étaient toute là. Mais ma musique était vide de ce que je devais y mettre.

Le silence qui suivit n’avait rien de musical et mes deux camarades de cours gardaient les yeux rivés vers le sol preuve qu’ils avaient vécu la même chose que moi. Aleya était plus âgée et avec son teint de lait avait tendance à souffrir énormément de la chaleur malgré les pans rotatif de la verrière qui laissaient passer un courant d’air bien faisant. Jorge quand-à lui ne se départissait jamais de son sourire en coin même si la situation ne prêtait pas à l’ironie mais en l’occurrence, il ajoutait à ma détresse. Ses cheveux trop bien coiffés et ses tenues impeccables était à ce moment comme une insulte de perfection.

Je pinçai les lèvres entre mes incisives avant de me mordre la lippe inférieure et redressai la tête pour me redonner une prestance en même temps que prendre du courage pour affronter les critiques qui ne manqueraient pas d’être justifiées du professeur. Yduëj Nihouëm avait le cheveu de neige et le regard perçant bien que la plupart du temps bienveillant malgré son implacable exigence. Il replaça son pince-nez sur l’escarpement de son nez un peu busqué et haussa enfin des sourcils. Il semblait fait pour occuper cet atelier d’acajou et de verre où la lumière répondait gentiment aux teintes chaudes des boiseries et des instruments. L’endroit n’était pas très grand mais à cet instant j’avais l’impression qu’il grandissait démesurément ainsi que le désespoir de l’enseignant qui malgré sa petite taille me toisait de tout son savoir.

Je tentai de déglutir, mais ma gorge était sèche et je priai pour que ce moment finisse très vite.

« Mademoiselle Pichardo… J’ai bien toujours affaire à Mademoiselle Pichardo ? »

Il se tourna de côté tout en faisant voler une main interrogative au-dessus de sa partition.

« Je me demande, oui je me demande si vous avez entendu un seul mot de notre cours de ce matin. Car enfin, je vous ai demandé une danse ! Une danse ! Pas cette marche funèbre propice à inspirer les pleureuses les plus sèches. »

Il tourna la tête de mon côté, comme pour s’assurer que j’étais toujours là ou pour vérifier l’effet de ses premiers mots sur celle qui devait être la pire de tous les élèves qu’il ait jamais eu. Cette dernière s’efforçait de garder le regard droit et les yeux secs. Il fouetta négligemment son livret du revers de ses doigts noueux.

« Bien sûr il y a eu quatre mesure d’assez bonne facture et c’est bien pour ça que je vous garde dans mon cours. Mais comprenez moi bien Mademoiselle, tous les professeurs n’attendent que votre premier faux pas pour récupérer le temps qu’ils vous consacrent en vain ces derniers temps et en faire profiter des élèves plus réceptifs. »

Sa main intima en silence, l’ordre aux autres élèves de se retirer. Quelques déclics plus tard les pas feutrés avaient passé la porte me laissant seule avec mon professeur.

« Jusqu’à présent j’ai pris votre défense parce que je vous trouvais un réel talent, mais là… Là… »

Sa main désolée désigna mon violon comme si le malheureux ne méritait pas de souffrir entre mes mains. Une boule Que je ne connaissais que trop bien remonta de mon estomac à ma gorge tandis que je tentais tant bien que mal de faire bonne figure.

« Tous ces accords mineurs ! Mais c’est une caricature ! Vraiment… Comptez vous rester parmi nous ou êtes vous en train de vous saborder ? »

Il s’interrompit attendant visiblement que je réponde, mais pas un mot ne sortit de ma bouche. Je ne savais que trop qu’il avait raison sur tous les plans. Etre admise au conservatoire avait été le plus beau jour de ma vie et les premières semaines s’étaient déroulées comme dans un rêve, mais ensuite je m’étais sentie rattrapée par je ne savais quels démons qui ne me permettaient que d’effleurer des différents cours. C’était entièrement ma faute et je devais me reprendre. Tout le monde avait ses soucis Jorge et Aleya tout comme moi et c’était à moi de me reprendre. Je n’avais aucune excuse à invoquer.

De son côté, Yduëj Nihouëm, dont le ton s’était un peu enflammé, semblait s’être calmé ou plutôt être revenu tel que ses élèves le connaissaient, c’est-à-dire doux et affable.

« Bien, alors voici ce que nous allons faire. Pour notre prochain cours je vous demande de me composer une danse d’inspiration traditionnelle ou populaire comme diraient… Mais je m’égare. Une danse traditionnelle apte à être jouée dans les salons les plus huppés. Vous voyez ce que je veux dire ? Et maintenant disparaissez, vous m’avez fatigué, Mademoiselle… Pichardo ! »

C’était ce que j’attendais avec le plus d’impatience. En un clin d’œil, mes partitions disparurent dans mon sac et mon violon dans son étui. Quand je passai la porte je fus rattrapée par une dernière injonction.

« Et n’oubliez pas ! Une danse pas un chant funèbre ! »

Avec soulagement, je me retrouvai dans le long couloir, presque désert. Seule une secrétaire que j’avais entraperçue une fois seulement, profila sa silhouette au bout à contre-jour. Je m’adossai contre la porte. Un acide me brûlait les yeux mais ce n’était pas le moment. Ce ne devait jamais être le moment. Je sentais une main qui me poussait inexorablement pour ma chasser du conservatoire. Quelle ironie !

Comme pour me donner le courage qui me manquait je m’interpelai à mi-voix.

« Te voilà au pied du mur ma grande. Que vas-tu faire ? Renoncer ? »

La réponse était évidente mais je me devais de la formuler. C’était dérisoire et ne suffirait pas à me sortir du marasme dans lequel je m’enfonçais, mais cela me redonnait un peu de baume au cœur.

« Inutile de rester ici… »

Quelques minutes plus tard j’avais rejoint mon coin du parc préféré. Mes jambes n’avaient plus besoin depuis longtemps de chercher le chemin. Un peu à l’écart d’une pelouse piquée de fleurs
Sophora Pendula faisait comme un abri qu’apparemment j’étais seule à connaître, malgré le banc de pierre qui s’y trouvait. La ramure tombante de cet arbre dont je ne parvenais pas à imaginer l’âge fait comme une vénérable chevelure dont le rideau abritait des regards curieux ceux qui franchissait ses vertes cascades. Dans cette chambre de jade, je venais souvent me ressourcer eu aujourd’hui plus que jamais. L’ai frais aurait dû m’apporter le bien être qu’il me prodiguait d’ordinaire mais non. Aujourd’hui était un jour d’orage qui menaçait de me chasser du conservatoire et aucune brise ne pouvait me distraire de cette pensée.

Fébrilement je ressortis de mon sac un crayon de graphite et le papier ligné de portées que je posai sur mes genoux tout en m’asseyant sur le banc en pierre. Pliée sur les feuilles, je repensais à toutes les consignes… Je chuchotais comme une folle.

« Une danse pas un chant funèbre, une danse, pas un chant funèbre, une danse… Ca ne doit pas être sorcier. Tu l’as déjà fait même en improvisant… Oui mais pour les salons, les salons… »

Je mordis le bout de mon crayon. Pour essayer de trouver par où commencer.

« Le rythme… Le rythme… Trois temps ? Quatre temps ? Et pourquoi pas cinq comme dans les contrées de l’Est ? Pfff… Ces cons de bourgeois seraient trop déstabilisés… Trois temps ternaires c’est bien ça… »

Et puis je sentis mon esprit partir à volo. Ma main se mit à trembler et j’écrasai la mine sur le papier.
Ce n’était pas possible ! Ce ne devait pas être le moment mais je n’arrivais pas à trouver quand ce moment viendrait où je pourrai composer cette foutue danse ! Est-ce que je ne pourrai plus composer ? Le crayon et le papier tombèrent sur l’étui sur la dalle sous le banc tandis que je m’allongeai sur le dos pour tenter de me reprendre. Au-dessus de moi les rayons du soleil jouaient à se glisser entre les feuilles ou à les rendre translucides. Ça faisait comme des diamants dans le ciel qui roulaient sur un écrin vert. Mon coude vint cacher cette lumière trop vive et je sentis mes larmes couler vers mes tempes. J’enrageais contre elles car elles me flattaient dans mon désarroi alors que j’avais besoin de courage pour re devenir comme avant et satisfaire mes professeurs et progresser dans mon art. Ce sel qui coulait flattait tout ce que je détestais chez moi. Soudain je crus entendre des pas se rapprocher et le bruissement d’un feuillage qu’on écarte. Il était impossible que quelqu’un vienne par ici, mais me faire surprendre dans mon état était la dernière chose que je voulais. En un réflexe de mes reins j’étais déjà assise à ramasser en toute hâte mes affaires. Un dernier revers de main sous mes cils et pouvait venir n’importe qui.
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Elikia Lutyens
Prince Compositeur

Elikia Lutyens

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MessageSujet: Re: Like Diamonds in the sky   Like Diamonds in the sky EmptyDim 13 Mai - 23:57

« Tu es trop lent, Elikia. »

La voix de Bérénice Arbogast claque sèchement dans l’air déjà piquant des jardins du Conservatoire. Le jeune homme pince insensiblement ses lèvres, retenant sa réponse derrière le cloître serré de ses dents pour ne pas réagir trop vivement à la remarque. Être un ami proche de la sorcière de la Cabale ne dispense pas, et loin de là, de pouvoir s’écharper à tout moment sur l’une des épines aiguisées que sa langue administre à tout va. Toutefois, Elikia est rompu à cet exercice. Une tension infime parcourt ses épaules mais il finit par sourire à la vieille femme en se composant un air de parfaite sympathie qu’il nuance avec son espièglerie habituelle :

« Je m’efforce de te ménager. Nous avons encore une longue route à faire ensemble et tu ne rajeunis pas.
Ah ! »

Elle s’exclame un peu brusquement et ouvre sur lui un regard presque menaçant, quoi qu’un brin amusé. Eli réprime un rire, ses fossettes frémissent. Elle secoue la tête et resserre affectueusement son bras autour du sien avec un soupir, tandis qu’ils poursuivent leur route sur le petit sentier propre qui les mène vers quelque recoin inexploré du parc. Tout à l’heure, elle a rabroué farouchement l’un des Prieurs qui escortent désormais son jeune protégé en toute circonstance et le malheureux Frère Joseph est depuis contraint de les suivre à vingt bons mètres de distance. Le Prince supportait de plus en plus difficilement que ces religieux en rouge empiètent à chaque instant sur son intimité, en particulier quand il s’agit d’échanger des confidences avec Bérénice. Il se demandait franchement si Hanae Ibihn ou Thalia Morlone subissaient le même traitement – et dans le cas de la première, il doutait qu’avec un pareil tempérament, la chose soit seulement possible – ou bien si le Premier Prieur avait décidé de le faire surveiller de près pendant les premiers mois de son accession au pouvoir. Compte tenu le nombre de menaces de mort qui avaient fleuri comme du chiendent dans sa boîte aux lettres au moment de son élection, cela n’était peut-être pas inutile, cependant il avait aussi le désagréable pressentiment d’être espionné du matin au soir et du soir au matin.

Mais pour le moment, les deux conspirateurs sont assez éloignés des oreilles indiscrètes pour pouvoir discuter autant que nécessaire des sujets qui les inquiètent. Bérénice porte un châle turquoise noué dans ses cheveux blancs, et une robe dans les mêmes teintes qu’un jupon noir rend néanmoins plus austère. Elikia, quant à lui, a revêtu un costume vert bouteille, très sombre, en laine et en cachemire pour se prévenir du froid, ainsi qu’une large écharpe orangée dont les motifs représentent des vols d’oiseaux et dont le drapé lui recouvre élégamment l’épaule gauche, ainsi que son avant-bras.
Du bras droit, il tient Bérénice tout près de lui, tandis qu’elle vitupère encore d’un ton impatient :

« Si je t’ai cédé cette place de directeur, c’est précisément parce que tu peux galoper, jeune homme. Alors, galope ! Ne t’inquiète donc pas pour moi, j’ai une longueur d’avance sur toi depuis longtemps. » Elle roule ostensiblement des yeux. Puis, sa voix se fait plus basse et plus sensible, soudain. « Je te le répète, tu es trop lent… Et cela m’inquiète. Notamment pour ta propre sécurité. »

Un goût d’amertume roule sur la langue d’Elikia qui, à présent, s’obstine à fixer intensément le bout de ses chaussures pendant qu’ils avancent. Il sait bien que lorsque Bérénice lui reproche d’être « trop lent », ce n’est encore qu’une de ses formulations pointues dont elle use pour éperonner parfois sa fierté et l’exhorter à intensifier ses efforts.
Pourtant, « trop lent », c’est quand même un peu dur à encaisser. A près de vingt-six ans, il est déjà au sommet de la chaîne alimentaire dans cette Ville et évidemment il a encore bon nombre d’ennemis qui fomenteront jusqu’au bout pour le faire chuter, mais enfin, en devenant Prince tout récemment, il venait de s’octroyer quelques larges coups d’avance sur eux.
Et bon sang, il n’y a que deux ans qu’elle l’a initié à la Cabale – combien de temps cela prenait-il d’usage aux sorciers du Conservatoire pour faire les progrès qu’elle exigeait de lui dans les mois à venir ? Certains y dédiaient toute leur vie !

Son silence, bien sûr, interpelle Bérénice. Ils sont rares, les gens qu’elle ne veut pas nécessairement blesser, alors elle tapote avec bienveillance le bras de son élève.

« Tu te dis que c’est injuste, je sais bien. Tu es un garçon travailleur. Mais tes rivaux et tes ennemis n’auront cure de te récompenser pour ce mérite. Il faut obtenir des résultats, et vite.
Mais comment je suis seulement censé faire plus vite ?
lâche soudain Elikia, le ton un peu oppressé. Je comprends ce que tu me dis, mais je ne m’arrête pas de la journée, je ne m’arrête pas de la nuit. Parfois, j’ai l’impression de rêver tout ce qui m’arrive, c’est difficile à suivre, tout change sans cesse.
Tu cours trop de lièvres à la fois, voilà ton problème,
annonce-t-elle, très péremptoire. Fixe-toi des priorités, fais ce qu’il est nécessaire de faire, remplis pour de bon des objectifs. Tes exercices d’Empathie doivent toujours figurer en bonne place ! On ne peut pas se permettre de stagner en la matière. Pff. » Elle soupire, le nez retroussé d’irritation. « Craignez la redoutable magie du Conservatoire. Les Prieurs doivent pisser dans leur froc en rêvant chaque nuit du terrible Cesare Calabresi qui menace de les noyer sous des flots de peinture ! »

L’idée, étonnante, donne un coup de coude chatouilleur à l’imagination d’Elikia et il laisse échapper un petit rire surpris. Bérénice redresse la tête, moqueuse, et le garçon réprime encore un gloussement ou deux avant d’adopter un air faussement modéré.

« Je ne suis pas certain qu’il soit si urgent de faire souiller leurs draps aux Prieurs, tout de même… » Ses lèvres frémissent narquoisement. « Le Prince Egidio est assez bel homme et j’ai encore envie de profiter des quelques visions séduisantes qui me sont venues en l’imaginant au lit, si tu me le permets.
Bon… D’accord,
plaisante Bérénice, je te laisserai un peu de temps. Mais dépêche-toi de faire ce que tu as à faire avec lui, après tout, ce n’est pas le morceau le plus difficile. »

Il pouffe de nouveau, un peu soulagé, et hoche doucement la tête en faisant aller son regard vers un parterre d’iris violettes aux corolles élégantes, et de narcisses immaculés. La plupart éclosent frileusement, en profitant du redoux, et penchent leurs têtes languissantes en bordure de chemin comme pour saluer le passage des deux maîtres du Conservatoire. Ils tournent ensemble à un croisement, longeant la lisière violette et blanche du massif encore modeste, pour rejoindre un refuge isolé qu’ils connaissent bien et où ils s’offrent souvent une escale au cours de leurs longues promenades.
Mais sous le feuillage fin et brillant du sophora pleureur, la place est déjà occupée par une jeune fille aux épais cheveux noirs, qui s’empresse visiblement de ranger ses affaires, alertée par leur arrivée. Bérénice, toujours accrochée au bras d’Eli, esquisse une moue ennuyée et l’entraîne déjà derrière elle pour faire demi-tour.

« Allons bon, il semblerait qu’il faille trouver un autre banc pour reposer mes vieilles jambes. Ne vous dérangez pas, mon enfant, ce n’est pas grave.
Oh, mais ne serait-ce pas Mademoiselle Pichardo ? »


Un sourire illumine aussitôt le visage du jeune homme, tandis qu’il reconnaît le visage adolescent de la violoniste et danseuse qui a remporté haut la main sa bourse pour entrer au Conservatoire, quelques semaines auparavant. Elle avait été brillante en vérité – brillante, créative et audacieuse – et c’est une agréable surprise de la croiser aux confins de ces jardins, quoi qu’elle y recherchât plus que probablement la tranquillité.

« Navrés de venir vous déranger dans ce petit havre de solitude…
Mais nous vous laissons, très chère.
Un instant, Bérénice… »

Il résiste à la poigne de la vieille dame qui, quant à elle, ne fait pas l’effort de lui cacher sa contrariété, malgré l’affabilité de ses paroles. Elle claque sa langue contre son palais tandis qu’Elikia penche sa tête sur le côté en scrutant Zaïra depuis le milieu du sentier, avec une pointe d’inquiétude. Le nez de la jeune fille s’ourle sur un discret reniflement et ses cils battent pour chasser quelques larmes embarrassées de son regard rougi. Il reste interdit quelques secondes, tiraillé entre la pudeur qui lui recommande de la laisser en paix et son Empathie dont le murmure obsédant le pousse à lui proposer son aide.
Après tout, c’est son élève, il lui avait écrit en personne pour l’inviter à étudier dans cette Ecole. Or les cours de rattrapage où elle a dû s’engager après les auditions ne sont pas réputés non plus pour être une sinécure. Quelques-uns de ses professeurs s’étaient plaint à demi-mot, ces temps derniers, qu’ils la trouvaient distraite et peu appliquée. A dire vrai, il n’avait pas accordé beaucoup d’attention à ces doléances : le corps enseignant était depuis toujours d’une redoutable exigence en ces lieux, et il y avait goûté lui-même. Si vos positions de doigts sont seulement non-conventionnelles et s’il vous est difficile de les corriger dès les premiers jours d’exercice, vous tâterez rapidement du fouet de leurs règles.

Bérénice comprend assez aisément, en dévisageant les traits pensifs de son protégé, qu’ils ne reprendront par leur chemin de sitôt. Elle soupire, vaincue.

« Oh, si tu veux lui dire un mot, c’est d’accord, nous nous retrouverons un peu plus tard.
Merci, je veux bien. A tout à l’heure, dans ce cas.
Au plaisir, Mademoiselle. »

Elikia relâche galamment le bras de la vieille dame qui adresse un signe de tête poli mais décidé à Zaïra, avant de tourner les talons et de faire claquer les pans noirs de sa robe derrière son petit pas pressé. Observant son départ d’un air reconnaissant, les yeux plissés sous les rayons timides du soleil, le jeune homme croise ses bras dans son dos et gonfle ses poumons d’une bonne bouffée d’air frais. Le chant d’une alouette attire son attention, dans les ramures bourgeonnantes et délicatement feuillues de cet arbre exotique sous lequel la jeune violoniste avait trouvé refuge. La Saison du Renouveau approche et il contemple avec ravissement combien ces jardins regagneront bientôt leur splendeur ordinaire. Des pois de senteur égayent déjà le bas dégarni d’un haut buisson qui dissimule leur tranquille entrevue au regard d’autres promeneurs. Leurs pétales s’ouvrent encore craintivement, on dirait de fragiles papillons posés en bande entre les branches et frémissant à la moindre brise, mais leur couleur fuchsia est éclatante et ils répandent un parfum suave et musqué jusqu’au nez princier. Celui-ci se fronce, malgré les odeurs agréables qui lui viennent, et le garçon en frotte le bout glacé contre ses doigts, tout en se tournant enfin vers sa pauvre étudiante recroquevillée sur son banc.

Il lui sourit gentiment, avec toute la douceur dont il est capable, et s’approche d’elle d’un pas lent avant de s’asseoir à ses côtés dans un soupir paisible. Le bruissement d’une eau claire se fait entendre, camouflée derrière des feuillages. Il observe un court instant la jeune fille, dont les grands yeux bruns ont quelque difficulté à masquer leur détresse eux aussi, mais il a le tact de ne pas le lui faire remarquer immédiatement. A la place, il repousse sa large écharpe en cachemire un peu par-dessus son épaule et lance d’une voix basse et chantante :

« J’espère que vous ne trouverez pas ma présence trop inconvenante. » Nouveau sourire discret. C’est une façon de s’immiscer à ses côtés avec un minimum de courtoisie, quoi qu’il n’en a pas demandé l’autorisation. Croisant ses mains gantées sur ses genoux, il bouge encore lentement, de crainte de la brusquer, et murmure avec sympathie : « Mais il me plairait d’entendre un peu de vos nouvelles. »

Il doit hausser un peu la tête pour examiner les partitions griffonnées hasardeusement que Zaïra tient encore entre ses mains.

« Sur quoi travaillez-vous, si ce n’est pas indiscret ? »


Dernière édition par Elikia Lutyens le Mer 25 Juil - 0:45, édité 2 fois
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Zaïra Pichardo
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MessageSujet: Re: Like Diamonds in the sky   Like Diamonds in the sky EmptyLun 14 Mai - 19:03

Je me raidis ! Décidément je ne pourrai pas mettre ce jour parmi ceux qui resteront gravés dans ma mémoire comme les plus simples et les plus heureux ! Combien avais-je de chance que ce soit eux apparaissent entre les tiges souples qui flirtaient avec le sol et la brise printanière ? C’aurait pu être quelques étudiants, des amoureux, peut être même à la rigueur un professeur venu ma dire que non décidément, la dernière chance qui venait de m’être donnée était une cruauté visant à entretenir un espoir voué à s’éteindre et qu’il valait mieux que je rentre chez moi. Mais l’ancienne et le nouveau directeur de conservatoire ensemble là devant moi ?!!!

Je me sentais complètement ridicule et empruntée, d’autant si depuis les audition, j’avait idée que le Prince Compositeur pouvait se montrer accessible et pourquoi pas bienveillant, la réputation de sa prédécesseure n’était plus à faire en matière de sècheresse acide et d’esclandre caustique. En les reconnaissant, j’aurais donné beaucoup pour me trouver ailleurs. Pour l’heure, ils avaient l’air de vivre un instant de complicité, mais je craignais que leur présence ici ne soit pas l’effet du hasard. La nouvelle de ma déconvenue du matin était-elle déjà arrivée à leurs oreilles ? Mais non ce ne pouvait pas être ça. En quoi une petite étudiante comme moi pouvait-elle motiver la présence ici de deux des plus grands personnages du conservatoire et même de la cité ? Cette dernière pensée ma rassura un peu et de toute façon, je n’avais pas d’autre choix que faire face en espérant qu’ils passeraient leur chemin. Machinalement je passai ma main sur ma tempe pour finir d’y essuyer toute trace d’humidité et redonner un peu de fierté à mon allure quoique, sans parler de fierté, un minimum de dignité ferait l’affaire.

A la première remarque de la vieille femme, il ne fit aucun doute que ma présence n’était pas prévue et je me sentis soulagée en partie même si susciter le désappointement de Dame Arbogast n’était jamais bon. Elle passait pour avoir des dons d’une puissance inégalée et un mauvais caractère à l’avenant. J’allais pour céder la place, mais le geste aussi désinvolte que dépité de l’ancienne directrice me cloua sur place d’autorité. Je tentai de bredouiller une excuse mais ce qui sortit de ma bouche ne s’apparentait même pas à un embryon de langage. Je me sentis rougir de honte sous ma peau torréfiée.

Je sursautai en entendant mon nom. Etre reconnue ajouta instantanément ç la gêne qui était déjà la mienne. Que n’étais-je pas petite souris pour disparaître entre les racine de cet arbre multi centenaire ! Lui au moins ne craignait pas les réprimande des professeurs et le petit rongeur n’aurait même pas été remarqué. Elikia Lutyens avait beau avoir le sourire j’étais tout sauf fréquentable ces derniers temps et indigne de recevoir son regard et je ne devais m’attendre à rien d’autre qu’à des échos sur mon incompétence dont m’avait déjà parlé le professeur de violon. Seul un léger cassé de nuque raidie de stress répondit à cette interrogation.

Je parvis tout de même à lever la main en signe de soumission avant de faire mine de céder la place. C’était pour moi un moyen de fuir ; Je n’avais qu’une idée en tête, mettre e plus de distance possible entre moi et les deux hautes personnalités qui se tenaient devant moi et devaient se demander comment ils allaient me manger. Mais Bérénice Arbogast ne semblait pas être là pour ça et un peu de soulagement me détendit un peu le dos. Ils allaient eux-même prendre la tengente et j’en étais fort aise. Mais il serait dit que cette entrée en matière allait être pour moi, une succession de douches sigvariennes. Le Prince ne semble pas décidé à partir et pour la deuxième fois fait fondre mes espoirs de me retrouver seule.
Tant bien que mal je tente de lui rendre son sourire alors que sens son regard me détailler avec insistance. C’est comme si ses yeux me mettaient à nue et mon malaise ne fit que croitre. Je détournai mon regard vers un massif qui pouvait accrocher mon regard un peu perdu. Pourquoi la vieille n’insista-t-elle pas plus ? Elle avait la réputation d’être plus pugnace que cela ou alors elle avait trouvé son maître en la personne de son successeur ou bien encore, ma présence la répugnait-elle assez pour abandonner le terrain et son compagnon de promenade.

Je serre les mâchoires de rage. Je ne supporte pas d’être scrutée de la sorte et j’ai l’impression de subir une bordée d’injure alors même que la différence de statut m’imposait, mais pour combien de temps, de ne pas manifester. S’il avait des récriminations à lui communiquer, qu’il le fasse. Il n’avait pas besoin de prendre le malin plaisir du chat qui joue avec la souris avant d’en faire son ordinaire.
Ma seule consolation fut de voir s’éloigner la sculptrice après son salut sec que je lui rendis la plus aimablement possible. Ce ferait une personne de moins à affronter. Je n’étais même pas certaine de pouvoir tenir tête à Elikia Lutyens alors les deux réunis…

Je profitai que le chat fasse mine de s’intéresser à la nature et aux petits oiseaux pour tenter de me redonner contenance ne serait-ce qu’en passant une dernière fois le revers la main sur mes cils, histoire de tenter de les décoller et de ne pas laisser le chagrin avouer sa présence au fond de mes entrailles. Je sentis mon regard s’assombrir et ma bouche se fit plus boudeuse. Je fourbissais mes armes pour lutter autant que possible contre les reproches qui ne manqueraient pas de m’arriver. Mes doigts se crispent un peu sur mes papiers, pas encore retournés dans mon sac, en même temps que mon pouce fait mine de s’empaler nerveusement sur la pointe de mon crayon. Je tournai enfin le visage vers lui et son sourire me pétrifia.

Ce n’était pas le sourire d’un chasseur, d’un carnassier en quête d’une proie facie mais plutôt le sourire de la compassion. Etait-ce une manœuvre ? Je ne pouvais pas imaginer qu’il puisse adopter une attitude positive à mon égard et pourtant… Je le regardai s’approcher du banc et s’asseoir à côté de moi alors que je me décalai à l’opposé pour lui laisser toute la place que son rang méritait et me permettre de garder une certaine distance.

Alors qu’il prend la parole, je ne peux m’empêcher de croiser son regard. Je me demande si ce n’est pas trop impoli mais son entrée en matière ma parait tellement cousu de fil blanc ! Je me demande ce qu’il espère que je lui réponde. Prendre de mes nouvelles ! Je suis certaines qu’il a toutes celles qu’il lui faut et qu’elles ne sont pas à mon avantage. Malgré mi je sens des répliques agressives monter à mes lèvres. Si je dois être renvoyée du conservatoire, je ne le ferai pas sans combattre et je préfère cette nouvelle combattivité à l’abattement contre lequel j’avais abdiqué quelques minutes auparavant.

Je suis son regard jusqu’au brouillons de partition qui devraient bien vite rejoindre l’obscurité de ma besace. Je hausse les épaules malgré moi.

« Une marche fun’… Heu… Une danse… »


Je crains qu’il ne me demande de lui montrer ce pauvre premier jet qui ne parvient pas à me contenter et ne fera pas mieux face aux yeux experts du directeur du Conservatoire.

« Mais pour le moment ce n’est tout au plus qu’une rythmique pataude… »

Il est temps que tout cela disparaisse et je glisse le tout, un peu en vrac dans ma sacoche.

Je me demande si je dois attaquer la première : « Quel est le professeur qui se plaint le plus de moi ? », mais je me retiens en me disant que la répartie acide de Mathé a fini par déteindre sur moi. Je regarde devant moi mais guette dans ma vision marginale les mouvements et les expressions d’. Elikia Lutyens. Je me demande quand il va se décider à entrer dans le vif du sujet et pince mes lèvres entre mes dents pour prendre patience et chasser la nouvelle gêne qui monte en moi. Finalement je n’y tiens plus et sans le regarder d’avantage je lâche une stupidité sensée sans doute faire diversion ou meubler un silence trop pensant.

« Elle avait l’air fâché. »
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MessageSujet: Re: Like Diamonds in the sky   Like Diamonds in the sky EmptyLun 23 Juil - 11:44

La pauvre Zaïra s’est tendue comme un arc dès l’instant où il s’est assis à ses côtés, sa nervosité est presque palpable et la raison en est simple – en tout cas, absolument transparente aux yeux du jeune directeur. Il regrettait avec nostalgie ses premières années d’enseignement où il pouvait encore discuter avec ses élèves sans se soucier de la distance qu’il avait creusée entre eux en acceptant la chaire de Premier Maître, et celle de Prince désormais. La communication qu’il s’efforçait de garder avec eux se complexifiait inutilement, comme s’il venait de passer d’un autre bord, obscur et inaccessible. Et pendant ce temps, les élites parlent avec complaisance de la formidable mixité sociale d’Excelsa. C’est qu’en réalité, il y a peu de Zaïra qui foulent le pavé du centre historique pour qu’on sache si bien ignorer leurs mines méfiantes, mal-assurées et craintives. Elle n’appartiendra jamais au même milieu que ces gens qui ont toujours été là chez eux, et malgré ses talents d’acteur, Elikia non plus, il en a bien conscience.
Mais cela, la nouvelle étudiante l’ignore et il faudra gagner sa confiance, comme à tant d’autres que sa seule réputation n’a pas suffi à convaincre.

Il la laisse ranger ses affaires sans se risquer au moindre commentaire. Bien sûr, il ne peut pas dissimuler l’étincelle de curiosité qui traverse son regard, au moment où la violoniste lui en dérobe sa partition. Il avait été le premier informé, pendant son audition, qu’elle était capable de plus de sensibilité et d’ingéniosité esthétiques que bon nombre de ses collègues, lesquelles ne doivent souvent leur entrée au Conservatoire qu’au compte en banque obèse de leurs parents. C’est peut-être l’humilité qui lui prête des mots si sévères concernant son travail, ou peut-être bien que sa créativité n’est effectivement pas au rendez-vous. Elle fait défaut parfois même aux meilleurs : on compose rarement de danses mémorables des larmes plein les yeux. Quoi qu’il en soit, la jeune fille paraît suffisamment mal à l’aise pour l’instant, ce n’est pas la peine d’insister.
Elikia se contente de sourire distraitement à sa remarque quant au départ brusque de Bérénice, et lève le nez pour humer l’air, les mains toujours croisées sur ses genoux, sages et immobiles.

« Oh, s’il fallait s’inquiéter de ça… Maître Arbogast a toujours l’air fâché. » Il lui glisse un petit coup d’œil complice et des traits de renard viennent furtivement onduler sur l’expression courtoise de son visage. « Mais n’allez pas le lui répéter, d’accord ? »

Il pose doucement son index ganté contre sa propre bouche pour inviter Zaïra à garder cette légère plaisanterie secrète. Puis, tournant de nouveau son attention vers le délicat parterre de fleurs qui froufroutent presque à leurs pieds, il prend une profonde inspiration et non sans calcul, il se résout à lui faire une confidence subtile, mais néanmoins intime :

« On ne cesse jamais d’être l’élève de quelqu’un. Elle ne se satisfait pas de mes avancées, elle me trouve trop lent, avoue-t-il, sans arabesque. Les professeurs sont exigeants ici. Cela ne remet pas en cause votre valeur ou vos talents, mais bien sûr, il est difficile de ne pas se laisser atteindre par certaines de leurs remarques et il leur arrive d’être blessants. »

Il plisse des lèvres, ennuyé par cette triste constatation, et lisse du bout des doigts une manche de son costume. Pour avoir reçu ses premières leçons de violon ici, au Conservatoire, probablement avec les mêmes professeurs que la jeune fille, il sait précisément de quoi il parle. C’est un instrument impitoyable, le violon, intransigeant, affreusement technique, jaloux et exclusif. Il réclame chaque jour de longues heures d’entraînement, entièrement dédiées à se saigner les doigts sur ses cordes et son archet pour en tirer autre chose que de longues plaintes stridentes. Comment Zaïra était parvenue à un tel niveau de maîtrise, en grandissant dans une famille de pêcheurs, cela reste un mystère très intriguant à ses yeux.

Toutefois, comme elle n’a apparemment vu en sa première question qu’une quelconque formule de politesse, Elikia s’affaire à la présenter d’un ton plus direct :

« J’espère malgré tout que vous vous plaisez ici. Que pensez-vous des cours de rattrapage ? Je crains toujours que le corps enseignant ne place la barre un peu haut en ces occasions. En fait, je suppose qu’il leur faudra encore quelques années pour adapter leur pédagogie à ces nouvelles classes… Mais faire preuve de patience avant d’obtenir satisfaction, c’est un privilège dont vous ne disposez pas, contrairement à moi. »

Il lui destine un autre regard de bienveillance, cherchant à discerner le relief affligé de son visage sous l’épaisseur de ses cheveux bouffants.

« Dites-moi honnêtement votre pensée. S’il y a des problèmes urgents à résoudre, je préfère en être averti. »
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Zaïra Pichardo
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MessageSujet: Re: Like Diamonds in the sky   Like Diamonds in the sky EmptyLun 23 Juil - 22:04

Je ne sais pas ce je donnerais pour être loin d’ici et pourtant je pensais avoir trouvé sous la protection de cet arbre un endroit privilégié. Voilà qu’il s’était mué en piège que mon spleen du moment qualifiait sans peine de mortel. J’étais comme une mouche prisonnière de la toile d’une araignée qui avait tout le temps de se jeter sur elle et qui allait se délecter de sa terreur. Chacun connaissait les grandes lignes de l’ascension sociale du Prince Compositeur, mais comme à chaque fois les légendes urbaines se parent de de petites fleurs mythomanes et je n’attendais aucune compassion particulière de sa part et d’ailleurs, je n’en voulais pas. J’espérais avoir, été acceptée ici grâce à mes capacités _ je n’osais pas utiliser le mot de talent surtout depuis la dernière remontrance que j’avais subie du professeur de violon _ et n’attendais pas de faveurs qui déprécieraient à mes yeux tout mon travail et la valeur de ma place au Conservatoire. La situation se résumait donc simplement en un face à face entre le directeur tout puissant des lieux et une élève en dessous de tout et aux abois.

Les choses promettaient d’être douloureuses et je tentais de reprendre la maîtrise de mes facultés quitte à paraître agressive ou sur la défensive. Sur la défensive correspondait plus à ce que j’étais capable de donner pour le moment d’autant que l’agressivité n’était pas dans mes habitudes. Enfin, ce n’était pas ainsi que je me voyais mais les événements se chargent parfois de rétablir une vérité qu’on préfèrerait ignorer et aujourd’hui, je n’étais pas à une désillusion prés. L’avantage serait que cette hostilité pourrait donne l’illusion de la combativité que j’aimais à m’accorder, mais qui semblait m’avoir abandonnée.

La brise printanière me caressa le visage comme pour tenter des me réconforter. Lentement je gonflai mes poumons. Je tentais de maîtriser même ce simple mouvement qui aurait dû n’être qu’un réflexe. C’était bien sûr pour ne pas donner trop d’indice de mon état à la veuve noire qui m’observait mais je sentais depuis les dernières semaines que c’était quelque chose que je ne parvenais plus à faire librement et la préparation de mon audition n’avait été qu’une parenthèse dans le corset que je sentais entraver toutes les choses que je faisais sans réfléchir et qui me paraissaient maintenant coupables, inopportunes, ou dont je n’étais pas digne.

Cette respiration eut donc l’effet inverse de celui escompté. Au lieu de me détendre et de me rendre un peu de sérénité, j’eus l’impression d’étouffer un peu plus. Il faut dire que qu’il n’est guère aisé de respirer sans s’autoriser à ouvrir sa cage thoracique et je lui avais imposé un corset aux baleines d’acier qu’aucune bourgeoise même élevée avec ces instruments de torture n’aurait pu supporter. Je ne savais pas trop si j’écoutais vraiment les paroles qui sortait de l’étranger qui se tenait auprès de moi. Je sentais autour de mon âme un corps qui me criait qu’il n’était pas le mien et qui allait m’interdire de retrouver la fluidité qu’il m’avait dérobée. Je ne savais plus quoi faire de mes bras sauf lorsqu’ils faisaient pleurer mon violon pourtant d’un naturel à faire danser les gens. De leur côté, mes épaules ne faisaient plus que servir d’abri à une poitrine fluette et honteuse au lieu de leur montrer la vie et la fierté.

Je perçois le rictus à mon côté. Toujours l’air fâché, oui, bien sûr c’est un peu ce qui se disait sur elle dans les endroits qui n’avaient pas d’oreilles au Conservatoire. Le mouvement du gant me fit machinalement tourner la tête vers l’index qui me commandait le silence.  Je secouai vivement la tête avant de détourner vivement le regard, bien vite perdu à quelques mètres dans le sol gravillonneux de la petite allée qui avait conduit Elikia Lutyens jusqu’à sa proie, pour signifier qu’il n’y avait rien à craindre de ce côté, même si cette dénégation devait paraître bien étriquée, entravée qu’elle était par les muscles hypertendus de mon cou. De toute façon, une petite élève de rien du tout ne pouvait prétendre à avoir l’oreille de l’autre légende du Conservatoire. Il se racontait tant de chose extraordinaire sur l’ancienne directrice que même si seulement la moitié était exactes, elles étaient bien suffisantes pour déclasser voire terrifier l’étudiante désemparée que j’étais. Si humour il y avait je ne le percevais pas et c’était une façon sans appel de me rappeler quelle était ma place ici, place qui était de plus en plus fragile

La suite me rappela presque malgré moi à son attention. Non bien sûr on ne cesse jamais d’être l’élève que quelqu’un. C’était étrange pour moi, de trouver cette assertion logique moi qui n’avais jamais vraiment connu de maître. Enfin, je devais bien en avoir eu un autrefois mais il était perdu pour moi comme beaucoup de choses qui appartenaient à un passé antérieur à ma vie. Lorsque je regardais les planches du plafond au-dessus de mon lit à la maison, je me posais souvent la question sur le peu de manque que suscitait en moi la pertes des première années de ma vie. En y réfléchissant j’aurais dû chercher à en apprendre plus au lieu de me contenter de considérer Tia et Menke comme mes parents. Je me disais que c’était sans doute parce qu’ils avaient fait ce qu’il fallait pour que mon amnésie ne soit jamais une source de souffrance. D’autres fois je m’autorisais à penser que le passé ne devait pas être joli, joli et cet oubli devait m’apporter plus d’avantages que de regrets.

Toujours est-il que de maître je n’en ai aucun souvenir avant d’arriver au conservatoire. J’étais supposée apprendre à leur côté tout ce que je n’avais pas appris ou seulement par moi-même ce qui impliquait son lot de mauvaises habitudes à contrarier au plus vite surtout lorsqu’elles me barraient le chemin vers des progrès que j’appelais de mes voeux et qui étaient toujours trop lents à se dessiner. La confession du Directeur qui se laissait aller à des confidences à mes côtés n’avait rien de consolatoire. D'ailleurs je ne pouvais que trouver suspect ces confidences même si malgré moi, je me demandais en une nouvelle curiosité de quels progrès il pouvait bien parler.

De mon côté, je commençais à penser qu’il n’était pas autant au courant du danger qui planait sur moi. en effet, je n’en étais plus au stade des remarques blessantes que je pouvais parfaitement encaisser, en tout cas, le croyais-je. C’était ma place au sein du Conservatoire qui était en jeu et cela ne semblait pas transparaître dans ses propos… Je tournais le visage vers lui, les sourcils légèrement froncés qui devaient me donner un air grave et curieux. Etait-il possible qu’il ne soit pas venu pour me signifier mon renvoi ou quelque chose d’approchant ? Presque malgré moi une sorte de soulagement teinté d’espoir s'immisça en moi. Je le regarder se laisser porter par ses pensées, me demandant ce qu’elles pouvaient être en cet instant. Etait-il aussi préoccupé de ma personne qu’il semblait vouloir le manifester ou bien si c’était une fourberie de veuve noire pour que la mouche s’englue encore plus profondément dans les fils empoisonnés de sa toiles qu’il me semblait deviner en arrière-plan de ses paroles même réconfortantes.

Mes soupçons m’avaient intimé le silence mais les questions devenaient de plus en plus directes et je ne pouvais rester sur mon quand-à moi sans risquer de paraître irrespectueuse, ce pour quoi je n’avais pas de raison objective. De soupçons et le mal être qui étaient les miens, ne suffisaient pas à le justifier.

Je n’étais pas une experte en pédagogie et je ne pouvais me prononcer que sur moi-même et sur le peu de progrès qu’il me semblait effectuer depuis que j’avais intégré le Conservatoire. Je ne me posais pas la question de savoir si je me plaisais ici ou pas. J’y étais pour travailler devenir une artiste meilleure en tout point et c’était tout ce qui comptait. Les réflexions sur les professeurs ne me concernaient je devais l’avouer que de très loin. Qui étais-je pour remettre leurs compétences en question ?

Me plaire?...”

J’hésitais à poursuivre après avoir enfin rompu le silence presque malgré moi.

“Heu.. Bien sûr… Les cours de rattrapage ?”

Décidément je n’étais bonne qu’à faire de l’écholalie !

“J’en ai bien besoin… et … J’essaie de prendre tout ce qui je peux pour progresser…”

Ce devait être là les phrases bateaux que toutes les étudiantes devaient lui servir alors que dans mon esprit des phrases complémentaires résonnaient, concernant l’incapacité et l’indignité d’être là que me renvoyaient les professeurs ces derniers temps.

“J’avoue que la patience…”

Je sentis une grimace se dessiner à mon insu sur mes lèvres, aveu de mon insatisfaction et de celle de mes professeurs. Je préférai ne pas finir ma phrase. De toute façon, la dernière injonction du Prince Compositeur allait finir d’éclaircir la situation et on serait fixé. Après tout autant que les choses soient posées une fois pour toute. Cette dernière pensée me donna le courage qui me manquait même si je ne pus garder me regard dans le sien et préférai le concentrer sur mes doigts qui dansaient nerveusement sur mon sac resté sur mes genoux.

“Ma pensée ? C’est que vous aurez bientôt mon dossier de renvoi sur votre bureau si ce n’est déjà le cas. L’urgence pour moi est de me rendre digne de l’enseignement du Conservatoire.”

Je redressai la tête d’un brusque mouvement de la nuque pour refixer mes yeux dans les siens comme un dernier défi et une dernière occasion de signifier que j’assumais toutes mes insuffisances même si c’était loin d’être le cas. D’ailleurs un picotement des prunelles, trop familier ces derniers temps, me signifia qu’il était temps de rebaisser le regard pour maintenir l’illusion d’un courage qui semblait m’abandonner chaque fois que je pensais retrouver
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Elikia Lutyens
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MessageSujet: Re: Like Diamonds in the sky   Like Diamonds in the sky EmptyLun 23 Juil - 22:28

L’aveu de la jeune fille lui coûte visiblement et elle prononce chaque mot d’une voix serrée et inquiète, comme si c’était une lame de rasoir qui lui déchirerait les lèvres en tombant imprudemment de sa bouche. Et puis elle a un sursaut inattendu et Elikia croise son regard fauve tandis qu’elle lève la tête bien haut, soudain, pour défendre son orgueil de plébéienne, qui n’était pas moins immense que celui d’un notable boursoufflé dans sa redingote. Le compositeur retient en hâte un sourire amusé qui s’effiloche un peu malencontreusement sur ses lèvres en une drôle de grimace. La fierté va toujours mieux à ses yeux aux gens qui n’ont rien à perdre et tout à gagner, plutôt qu’à tous ceux qui n’ont plus à craindre de vrai péril. Zaïra a quelque chose d’héroïque ou de romanesque, alors qu’elle le défie résolument du regard, et quelque chose de tragique, lorsqu’elle se replie sur elle-même en s’efforçant de contenir sa détresse.  
Malgré le charme de cette petite rêverie, Eli a bien conscience que ses pensées insoucieuses ne conviennent vraiment pas à la gravité de leur situation et brasse ses cheveux entre ses doigts, les tirant en arrière comme pour émerger et se mettre plus rapidement à la page. Ce n’est pas un personnage d’opéra qui a poussé sa diatribe, près de lui, c’est une personne en chair et en os qui a trouvé le courage de répondre à une question épineuse. Une piqûre furtive de son Empathie suffit à lui confirmer que la violoniste a besoin de son soutien ainsi que d’une réponse immédiate.

Alors, le petit directeur lève doucement la voix et avec une courtoisie impeccable, chasse prestement les craintes de son élève en lui certifiant, fort de sa très officielle autorité :

« Mademoiselle, je ne sais pas qui vous a mis ces idées de renvoi en tête, mais soyez assurée que c’est absolument exclu. Il faudrait que vous ayez enfreint gravement le règlement intérieur pour que je considère seulement cette option. On ne met pas nos élèves dehors pour quelques mauvaises notes… »

Il incline le chef en lui souriant d’un air entendu, la voix frémissante de sympathie. Bien sûr, il a dû entendre un ou deux professeurs se plaindre de leurs nouvelles recrues, et le nom de Zaïra était peut-être tombé à l’occasion, mais s’il devait prêter une oreille attentive à toutes leurs récriminations, il ne ferait probablement plus que cela de ses journées. Ils le barbaient, tous, à se scandaliser de voir arriver des autodidactes et des profanes qui avaient hérité leurs techniques de maîtres un peu païens, comme si d’autres jeux de doigts que les leurs sur un piano ou un violon étaient des hérésies contre lesquelles il faut mener croisade. Ils s’acharnent à les faire entrer dans le moule, coûte que coûte, s’imaginent en venir à bout à force d’injures et ne réussissent souvent qu’à leur faire comprendre qu’ils sont un fardeau pour leur promotion.
Et c’est sans parler des petits bourgeois qui se glorifient du hasard de leur naissance, caressent le bois lustré ou le cuivre brillant de leurs paresseux instruments et se haussent du col en comparant entre eux la réputation de leurs anciens précepteurs. Des étourneaux ricaneurs comme ceux-là, on en croise par cohortes dans tous les couloirs du Conservatoire. En ces circonstances, il n’y a rien d’étonnant à ce que Zaïra se sente étrangère, imagine avoir usurpé une place ou pouvoir être jetée dehors du jour au lendemain comme une malpropre.

Mais c’est hors de question, naturellement. Elikia veille sur ses boursiers comme une mère sur ses petits. Et il fera toujours absolument tout ce qui est en son pouvoir pour les voir devancer tous ces présomptueux et réussir leurs études puis leur carrière. S’il devait n’accomplir qu’une chose dans sa vie, ce serait celle-là à coup sûr, et il n’en concevrait aucun regret.

Précautionneusement, il pose le bout de ses doigts gantés sur la frêle épaule de son élève et la lui serre d’un geste doux, mais bref, pour lui communiquer un peu de réconfort et de chaleur.

« Le Conservatoire se donne peut-être l’air d’un sanctuaire, mais en réalité, ce n’est qu’une école. Vous n’êtes pas là pour être digne, affirme-t-il, en la dardant d’un regard catégorique, vous êtes là pour étudier et vous ne devez de compte à personne. »

Il la relâche pour ne pas lui imposer trop longtemps son contact, dont il ne sait pas vraiment s’il est bienvenu. Il avait personnellement toujours été très réceptif et sensible aux étreintes, dans ses épisodes de chagrin et d’angoisse, mais ce n’est de toute évidence pas le cas de tout le monde. Un soupir las lui échappe, alors qu’il délibère entre le mot d’ordre qu’il vient de prononcer et la possibilité que Zaïra se sente redevable financièrement de leur vénérable institution.

« Évidemment, vous êtes boursière… concède-t-il, calmement. Mais ce n’est pas une grâce que nous vous avons faite et vous ne devez pas penser que vous êtes en dette. C’est notre devoir de transmettre nos connaissances, aussi indifféremment que possible : à vous qui avez gagné chèrement votre place ici, et aux autres qui nous parviennent moins du fait de leurs talents que de la fortune de leurs parents. Pensez-vous que nous devrions nous soucier de savoir qui des uns ou des autres méritent de recevoir un enseignement ? » Il s’interrompt un instant, l’air plus sérieux que jamais, et fait planer un regard attentif sur la jeune fille. « Si c’était bien une question de mérite, croyez-moi, vous ne feriez pas partie des imposteurs… Et ne me dites pas l’idée ne vous a jamais traversé l’esprit. Vous en avez fait plus que n’importe qui pour arriver ici. »

Il lâche un autre petit soupir, presque irrité, celui-là, hérissé de quelques vieilles frustrations personnelles qu’il n’a pas réussi à résoudre lui-même, dix ans après sa propre accession, obscure et complexe, au Conservatoire. Oh, il aimerait être en vérité ce sage directeur dont il adopte seulement le masque, auprès duquel on trouverait conseils sûrs et avisés, et parfois un éclair de génie qui délivre des pires tribulations, mais il n’a que vingt-cinq ans. Il a beau se pavaner et se réjouir de faire fulminer ses détracteurs, il n’a jamais su quoi faire de son propre syndrome de l’imposteur.
Il se laisse très légèrement tomber contre le dossier de leur petit banc, le regard fixé quelque part parmi le feuillage délicat du saule, et croise ses bras contre sa poitrine. Puis, pinçant des lèvres et déglutissant pour faire passer son amertume, il tourne un visage amène vers Zaïra et lui destine un sourire qu’il veut confiant.

« Seulement, ce n’est pas une question de mérite, ce ne devrait même pas être une question d’argent : c’est une question de besoin. Vous êtes là parce que vous avez besoin de notre enseignement. Votre devoir à vous est d’en profiter pleinement. Et c’est à nous de nous rendre dignes envers vous de nos fonctions, avant que vous ne vous avisiez de nous en remercier. Vous le ferez plus tard ! Une fois que vous y aurez vraiment gagné quelque chose. Quand vous serez Maître. Quand vous aurez les moyens d’offrir à votre tour vos services et des opportunités à nos élèves. »

Ses yeux se plissent d’une affection sincère, entre ses cils noirs, et il hoche la tête avec assurance, sans douter un seul instant que l’avenir qu’il prédit déjà à son élève se présentera tôt ou tard à sa porte. Soutenue par les dispositifs modernes du Conservatoire, elle avait franchi d’un pas sûr le gouffre béant qui sépare d’ordinaire sa condition de la possibilité de vivre décemment de ses talents et de les développer. Maintenant, il n’y a plus de ruse à ourdir, plus de manigance et de stratagème pour se faire remarquer, plus de probabilités incertaines et d’aléatoire – tant qu’il aura la main sur cette école, seuls compteront pour réussir l’abnégation, l’honnêteté et le travail. On en a fini avec cette époque de corruption qui a trop longtemps gangrené le District Virtua.
Mais si la destinée de la jeune fille est limpide pour lui, elle semble encore cruellement opaque aux yeux de l’intéressée, pour des raisons qu’il ignore.

« Alors, dignité mise à part, quel est vraiment votre problème, Zaïra ? demande-t-il, avec prudence. Il y a peut-être quelque chose que je pourrais faire pour vous ? »


Dernière édition par Elikia Lutyens le Mar 24 Juil - 11:06, édité 1 fois
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Zaïra Pichardo
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MessageSujet: Re: Like Diamonds in the sky   Like Diamonds in the sky EmptyMar 24 Juil - 7:56

Je me demande si j’ai eu raison de lâcher ce que j’ai répondu au Directeur. J’ai un peu honte de l’image que je dois renvoyer à ce moment et comme première impression que je donne à mon interlocuteur, ce n’est pas glorieux. La seule autre fois où je l’ai rencontré c’était durant les auditions puisqu’il faisait parti du jury. Je me souviens qu’il avait été plutôt bienveillant à mon égard pas comme Madame de Saint-Juste qui avait sans doute décidé que je n’avais rien à faire ici. Elle était peut-être plus clairvoyante que les autres, si j’y réfléchissais bien, mais je n’avais pas envie de décevoir ceux qui m’avaient fait confiance et cette pensée me raffermit un peu en même temps qu’elle me rend plus confiante à l’égard du Prince Compositeur. Quelque chose en moi m’intime la prudence mais une autre voix de murmure qu’il ne me veut pas forcément de mal. Je tente de faire bonne figure, mais en cet instant je me sens vraiment en dessous de tout et j’ai du mal à maîtriser l’acide de mes paupières et penser que cela ne me ressemble pas ajoute encore à mon désarroi. Je tente de retrouver la dernière fois où je me suis trouvée en accord avec moi-même. Il me semble que je me suis perdue depuis une éternité. Pourtant je suis consciente de de ma jeunesse et de la brièveté de mon existence et de tout ce qu’il me reste à accomplir. Ça au moins, ça n’a pas changé et c’est un peu comme une bouée de sauvetage. Chaque fois que mes pensées se chargent du goût amer de la défaite, j’ai envie des les empoigner et de les briser, de les envoyer voler au loin, j’ai envie de hurler qu’elles n’auront pas le dessus alors que l’évidence est tout autre.
L’assurance que mon mon renvoi n’est pas d’actualité » me met un peu de baume au cœur et le ton de sa voix, a quelque chose de sincère que j’ai envie de croire
 
  La possibilité que le directeur soit alors là par hasard parvient à trouver son chemin dans mon esprit, car si ce n’est pour me parler de mon renvoi, pourquoi serait-il là assis à mes côtés ? Avec toute la méfiance qui est la mienne ces derniers temps je ne peux pas m’empêcher de ressentir un soulagement qui me libère un peu la poitrine et les épaules. C’est comme si on enlevait un sac de minerais des épaules des enfants qui trient jour après jour dans les puits de mine. Encore faut-il continuer respirer dans les galeries étouffantes d’humidité et des miasmes de la terre et des humains qui y gagnent de quoi faire survivre leur famille… Je sais parfaitement que même si je ne roule pas sur l’or et que je dois tirer le diable par la queue avec mes parents, au moins je n’ai pas à souffrir les tortures des enfants au travail. Cette pensée renforce encore mon sentiment de honte et me redonne une bouffée de courage supplémentaire pour croiser le regard du Prince Compositeur. Je e suis reconnaissante de ses dernières paroles mais mes lèvres restent closes de gêne. Je me sens si empruntée en face de lui, un des plus importants personnages de la cité !
Mon courage est un peu un feu de paille et une nouvelle fois je me laisse gagner par ce sentiment d’insignifiance que j’ignorais avant de venir apprendre ici. La pointe de mes pieds semble être la seule interlocutrice dont je sois digne. Ce n’est pas ce que je pense bien sûr, mais c’est pour l’instant plus confortable pour moi.
Soudain je tressaille au contact sur mon épaule. Je n’arrive pas à comprendre l'intention de ce geste et des visages déformés au milieu de la nuit m’arrivent en images saccadées par l’horreur. Tandis qu’il tente de me rassurer sur ma place d’élève, je ne peux m’empêcher de fuir ce contact. Mon épaule ploie pour se soustraire au contact et presque sans m’en apercevoir j’ai glissé sur le banc à distance d’Elikia Lutyens. Aussitôt, je regrette cette réaction qui a dû être interprétée pour le moins, comme une offense. Je bredouille une excuse qu’il ne semble pas entendre, peut être le peu de fermeté de ma voix en est-elle l’explication…[/size][size=15].

“Je… Pardon… C’est que… “

Je stoppe mes justifications de toute façon, en quoi cela peut-il bien l’intéresser ? Je suis bien persuadée que cela ne concerne que moi et qu’en plus une personne dans sa position a d’autres chats à fouetter que les petites angoisses d’une élève trop émotive.
En plus, ne devoir de compte à personne, c’est facile à dire, mais tout de même, si les professeurs tentent de me transmettre leur savoir, je me dois au moins pas respect de m’en montrer digne et d’autre part quoi qu’on en pense, c’est eux qui ont le dernier mot et s’ils décident de ne pas perdre de temps avec moi, ce n’est pas mes médiocres prestations depuis que je suis arrivée qui vont les inciter à persévérer pour moi ou même me garder au Conservatoire. Je ne vais pas monopoliser une place au détriment de quelqu’un qui la mériterait plus que moi. Je garde le silence et hausse légèrement les épaules à la foi par dépit et pour manifester mon accord au soupir du directeur qui entame la deuxième partie de sa tirade.
Cependant ses arguments font mouche. En effet, beaucoup des élèves n’ont pas eu à passer d’audition pour fréquenter les cours ici et s’ils me regardent de haut, ce n’est pas toujours un privilège. Alex Batista, malgré le talent que je lui reconnaissais sans peine en faisait également les frais. Apparemment, lui n’avait cure des remarques des regards désapprobateurs ou condescendants. Il devait sans doute, et avec raison être suffisamment sûr de sa légitimité pour passer outre. Il me disait souvent que je devrais en faire autant chaque fois qu’il voyait ma mine coupable ou furibonde suivant l’humeur contre les manières arrogantes des enfants de bourgeois ou pire de l’aristocratie. Le seul point positif était que cette ambiance de mépris avait réussi à souder les petits groupes de boursiers et que je mettais un point d’honneur à travailler sans relâche dans chaque cours et entre, mon instrument, mon corps mais aussi la théorie qui nous était dispensée. Quand je voyais où ça me menait c’était un peu décourageant mais personne ne pouvait me reprocher mon manque d’implication.
Les paroles d’Elikia Lutyens me font cependant du bien. Je me dis que rien ne l’oblige à me dispenser ce réconfort et le petit compliment que je devine derrière la fin de son monologue. C’est d’ailleurs un peu irrespectueux de ma part de ne pas proposer de réponse à ses efforts. Je cherche quelque chose d’à peu près intelligent à lui renvoyer, mais sera dit dans les anales de l’école que je suis la plus cruche des élèves qui l’ont fréquentée.

« Merci… C’est gentil. »
                      
C’est complètement inutile et sans intérêt, mais au moins le directeur du conservatoire sait que je l’ai écouté. En même temps comment peut-il en être autrement ?
Et puis le silence retombe et je me dis qu’il a fini et qu’il va prendre congé à moins qu’il attende que ce soit moi qui le fasse. Je resserre la main sur l’anse de mon sac alors qu’il s’adosse contre le banc, les bras croisés comme perdu dans des pensées toute autres et qu’il a déjà oublié l’étudiante à ses côtés. Je me doute que ses fonctions ne doivent pas lui laisser beaucoup de temps pour converser avec les élèves, aussi attaché à eux qu’il puisse être. Je me fais la réflexion qu’il est bien jeune pour occuper le poste de directeur en plus de celui de prince ou inversement. C’est sans doute une preuve suffisante de son talent et de sa force de travail. Une pointe d’envie me traverse. Avec plus de ce travail, je serais sans doute plus performante et n’aurais pas à affronter les remarques comme celles de ce matin.
Je sais au fond de moi que je n’ai pas à rougir de la somme d’efforts que je fournis mais les autres raisons de mon mal être, je ne veux pas les accepter malgré l’évidence que des incidents comme celui de tantôt, ma réticence aux contacts étrangers, crie en moi. Je tente de rejeter tout ça dans les recoins d’un passé que j’aimerais oublier bien plus que les premières années de ma vie pourtant apparemment perdues à jamais. Mon esprit me trahit en la matière.
Je suis sur le point de me lever lorsqu’il reprend sa réflexion à voix haute et il me faut lui accorder toute mon attention pour être certaine que c’est bien à moi qu’il s’adresse à nouveau. J’ai du mal à comprendre qu’il désire tant me réconforter d’autant que je sens qu’une grande part de moi reste incrédule à ses paroles confiantes. Moi ! Professeur ?!!! L’ironie de la chose manque de me faire éclater d’un rire amer, mais au moins dessine un sourire sur mon visage. Sourire, sans doute pas très épanoui, mais le premier vrai sourire depuis que le Directeur du Conservatoire m’a rejointe sur ce banc. J’espère au moins que ça le paie un peu de ses efforts. Je devrais garder le silence je le sais mais un peu de cette spontanéité insolente me reste et a décidé de se manifester sans doute au plus mauvais moment. Un bref soupir précède ma première phrase.

« Humpf ! Professeur ! Bien sûr ! J’en suis bien loin ! »

Je hausse les épaules de découragement avant de poursuivre.
Besoin, Bien sûr que j’en ai besoin ! Mais allez voir tous les professeurs ! Ils vous diront la même chose. Zaïra Pichardo est incapable de tirer parti de ce qui lui est offert ici ! Pour travailler, elle travaille, mais elle doit être complètement stupide vu le peu d’effet que cela a sur ses prestations
’écarquille les yeux en me rendant compte que seul mon soupir à passé mes lèvres et tant mieux. Voir tout en noir, ça aussi c’est nouveau chez moi et j’ai du mal à me le pardonner. J’aimerais tant retrouver l’optimisme, même béat, comme me disaient certains, qui était le mien avant ! Jamais je ne doutais de mon destin et même les échecs étaient des points d’appui pour aller de l’avant. Mon état d’esprit me fait horreur et je sens la boule qui ne me quitte jamais mais à parfois le bon goût de rester dans son coin, grossir à m’en faire exploser la poitrine et le gorge. J’ai envie de jeter mon sac au loin et que Menke soit là et me prenne dans ses bras ! Au moins je sais que je ne risque rien de lui, ni abandon, ni agression, ni ironie. J’ai besoin de retrouver un peu la maîtrise de mes pensées. Mes coudes se posent sure mon sac et ses mains enserrent mes tempes et tire les cheveux vers l’arrière en même temps que mes paupières se plissent pour ravaler un peu d’eau qui remonte malgré l’ordre qui lui a été donné de rester dans mon cerveau au risque de le brûler de son acide.
La dernière question d’Elikia Lutyens est le coup de grâce, celui qui ouvre toues les vannes de tout ce qu’il y a de plus noir et gluant, de plus violent et de plus abject en moi. C’est comme si un spectre victorieux de goudron pouvait enfin donner libre cours à sa malveillance. D’un revers de sa pestilence il envoie ma dignité se fracasser à mes pieds, bientôt rejointe par les premières larmes que je voudrais silencieuses alors que je tente de maîtriser les tressautements indignes de ma poitrine. Les coups de marteaux sur mon sternum sont presque les bienvenus. Je voudrais prendre la fuite mais maintenant le mal est fait et une petite voix me souffle qu’au point où j’en suis, j’ai sans doute, effectivement besoin d’aide pour combattre le spectre.

« Je ne sais pas… »

Ma voix me fait l’effet d’un miaulement pathétique et en plus c’est un mensonge.

« Je n’arrive pas à… »

Je réprime un sanglot avant de poursuivre.

« J’ai leur visage toujours dans ma tête… »

Je me redresse enfin. Je crois que je n’aurai plus jamais de fierté. C’est un visage défait et raviné par les larmes que je présente à Elikia Lutyens.

« Je croyais que j’allais les oublier mais ils sont toujours là ! »

Je sens que la colère est en train de se mêler à mon désespoir et je l’en remercie. Elle me donne l’illusion d’être moins faible.
« Je les hais ! Ils n’ont pas le droit d’être là ! »

Cependant, je déteste cette haine que je sens en moi alors que je me demande ce que je ferais sans elle. Je sais qu’ils m’ont rendue laide dehors et dedans et mon art était la seule chose que je croyais intacte. Et puis mon incapacité à donner satisfaction à tout remis en cause. Je crois que c’est la première fois que je parviens à mettre autant de pensées et autant de mots et ça me terrorise. C’est comme si je m’apercevais que j’étais au fond d’un gouffre avec la certitude qui va se refermer sur moi en me laissant avec mes fantômes. Et puis je sais aussi qu’une fois qu’on a touché le fond on ne peut que remonter, enfin si on remonte.  
A travers mes larmes et la confusion de mes pensées, l’image du directeur devient floue et je me rends compte que ce que j’ai dit n’a aucun sens. Je n’ai pas de manches, mes mains écrasent nerveusement l’eau sur mes joues. Je renifle comme une enfant pour tenter de stopper cet épanchement ridicule.

« Je suis désolée. Vous me prenez certainement pour une folle… Je croyais que je serai assez forte pour pouvoir passer à autre chose, mais depuis qu’ils ont essayé de… Ils me poursuivent continuellement. »
Je ne suis, enfin, je ne me prenais pas pour une midinette qui se laisse effaroucher par les mots et pourtant certaines phrases ne parviennent pas à sortir de moi. Je me demande bien ce que le compositeur pourra bien comprendre.


Dernière édition par Zaïra Pichardo le Mar 24 Juil - 16:21, édité 1 fois
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Elikia Lutyens
Prince Compositeur

Elikia Lutyens

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MessageSujet: Re: Like Diamonds in the sky   Like Diamonds in the sky EmptyMar 24 Juil - 10:57

Ah.

La révélation lui tombe dessus avec une violence inouïe, celle d'une brique qu'on se prendrait droit sur le crâne en cheminant innocemment dans la rue qu'on a toujours eu l'habitude d'emprunter. Il s'attendait à devoir consoler une autre de ses élèves abattue par les exigences démesurées et parfois inabordables du Conservatoire, à écouter le chagrin que lui aurait causé un arrogant professeur de violon ou un camarade imbu de son héritage et du prestige de sa famille. Alors il y était allé de son éternel harangue pédagogique, sans remarquer immédiatement que chez Zaïra, cette frustration de classe ne formait rien d'autre que la partie émergée de l'iceberg.
Il y avait eu un petit signe avant-coureur qu'Elikia avait noté avec circonspection, lorsque la jeune fille s'était dérobée fébrilement à son geste de réconfort. Mais il n'aurait pas cru qu'elle en vienne à lui déverser tout à coup une sordide histoire d'agression sexuelle sur les bras.

« Allons, Mademoiselle... »

Et la voilà qui frissonne de terreur, et lâche un long sanglot, douloureux comme un râle. Ses paroles éveillent une vive résonance dans l'esprit d'Elikia qui frémit lui aussi, entraîné main dans la main avec sa sensibilité alerte dans la spirale d'effroi où s'est engouffrée Zaïra. Il se mord la langue en assistant, impuissant, à cette énorme crise de larmes que sa pauvre étudiante cherche en vain à maîtriser. Mais enfin, il se résout à passer outre le mouvement de recul qu'elle avait eue tout à l'heure et suit son impulsion première en passant un bras protecteur par dessus ses épaules pour l'étreindre en douceur contre lui. La délicate petite tête de la jeune fille échoue contre le cachemire sombre de sa veste de costume, où elle peut désormais pleurer de tout son saoul.

« Zaïra... »

Fouillant rapidement dans l'étroite poche de son pantalon, il en tire un mouchoir en coton brodé qu'il lui tend pour lui permettre d'éponger ses larmes à mesure qu'elle les verse. Puis de son autre main, il recueille celle de la violoniste qui était restée serrée de fureur, à l'abandon sur ses jambes, pour la serrer délicatement et masser ses jointures crispées avec tendresse. Dans ces moments étranges, où il se retrouvait devant la tâche épineuse de consoler une parfaite inconnue, il se félicitait toujours d'avoir fait du principe de porter des gants un impératif vestimentaire. Le contact, à travers le tissu, lui paraît plus prudent, et donc plus respectueux.

« C'est fini, murmure-t-il, avec une infinie précaution. Vous êtes en sécurité ici, vous n'avez rien à craindre entre ces murs, d'accord... ? C'est une promesse… Respirez profondément... Chhh... »

Il lui effleure l'épaule d'une caresse légère, l'encourage à mi-voix, et l'invite à l'imiter tandis qu'il gonfle lentement ses poumons de tout l'air qu'ils peuvent contenir. Pendant un bon moment, il la laisse s'abandonner au rythme apaisant de son souffle et le reproduire machinalement, à l'unisson. Puis il relâche un peu son étreinte pour pouvoir lui transmettre un sourire de compassion.

« Bien... Nous allons réfléchir à régler votre problème, vous et moi. D'abord, puisque c'est votre difficulté à suivre nos enseignements dans ces circonstances qui vous afflige le plus, je pourrais vous donner une ou deux semaines de congé, si vous le souhaitez. Vous prendriez soin de vous et travailleriez à votre aise, sur des sujets qui conviennent à votre humeur en vous permettant d'exprimer votre mal-être et peut-être de vous en libérer. La musique a ces vertus-là aussi. De toute façon, ce n'est pas possible de vous forcer à écrire je ne sais quelle ridicule danse de salon à trois temps où on se dandine bêtement en bonne société. Vos partitions ne seraient que pure mathématique, vous avez l'esprit trop grave pour de pareilles frivolités aujourd'hui. »

Certains artistes parmi les plus ampoulés, amateurs de vieille poésie, blâment dans ces moments-là la versatilité cruelle de leur Muse et la prient à chaudes larmes de les honorer à nouveau de ses faveurs. Plus intransigeant – ou plus psychologue, selon le point de vue – Elikia accuse plutôt les caprices, la mollesse ou les entêtements vains de la cervelle humaine. La créativité artistique doit autant à la rationalité qu'à la sensibilité, et des émotions non apprivoisées qui partent en pagaille pour un oui ou pour un non rendent la réalisation d'un projet parfois excessivement difficile.
Par chance, comme il l'avait suggéré, l'art (et la musique en particulier, peut-être) offre d'incroyables exutoires, autant de moyens thérapeutiques précieux pour combattre et surmonter des traumatismes. Dans cet objectif, il est inutile de prendre ses sentiments à rebrousse-poil : il s'agit de les explorer à fond et d'en revenir. Quelques vacances ne seraient donc pas de trop à la jeune fille si elle souhaite s'engager sur ce chemin.

Dans une toute autre mesure, le Prince Compositeur avait appliqué ses principes jusqu'au bout, sans concession, l'année où il avait monté son opéra le plus controversé – La Crypte des Scarifiés. Ce déferlement de violence en musique avait été une purge. Ses clusters avaient cassé les oreilles du public pendant quatre représentations, mais ils avaient été en même temps l'expression de ce qu'il avait de plus lourd sur le cœur – et dans le secret de son cœur, il savait que cette pièce insoucieuse de l'opinion des spectateurs figurait parmi ses grands chefs-d’œuvre. Il y avait mis de sa chair. Rarement vivait-on d'expérience plus intense dans un travail créatif.
Et il en était ressorti infiniment soulagé. En la matière, il n'a donc pas de meilleur conseil à donner. Ça, et les exercices de respiration, sans doute. Il en enseignerait peut-être quelques expédients à Zaïra dans les prochaines minutes, si elle ne retrouvait pas son calme par ses propres moyens. De toute façon, il y aurait bien des occasions, au moins dans sa vie au Conservatoire, où il serait impératif pour elle de se faire maîtresse de ses actes et de ses émotions.

Cependant, pour en arriver là, il faut lui assurer parfaitement ses arrières, à cette petite, aussi le jeune homme reprend-il avec cette efficacité de meneur qui lui est ordinaire :

« Ensuite, et c'est à mon avis le plus important, parce que sans ça, il n'y aura aucun moyen pour vous de regagner la tranquillité... Si je lis entre les lignes, il vous est arrivé quelque chose de suffisamment grave pour aller trouver le Prieuré. L'avez-vous fait ? Ces gens dont vous parlez, sont-ils encore une menace pour vous ? Au sens propre, je veux dire. »

Sa mine s'est considérablement assombrie, tout à coup. Il tient délicatement la main de Zaïra dans la sienne, en guise de soutien, et de l'autre, il enlace son épaule, le bras toujours passé autour d'elle pour l'inviter à retrouver une étreinte au cas où elle en éprouverait le besoin. Néanmoins, son regard reste rivé sur elle avec grand sérieux.
Bien sûr, il ignore encore quelle espèce d'assaut la jeune fille a pu subir, mais il sait avec certitude que la sûreté et le succès d'une démarche auprès du Prieuré en dépendrait. Pour avoir lu un certain nombre des maigres livres de lois d'Excelsa et goûté lui-même aux violences qui ont cours en silence dans cette ville, Elikia sait qu'il n'y a rien d'évident à porter plainte, surtout dans les affaires de « simples » agressions sexuelles. Dans le cas d'un viol avec récidive, eh bien, le coupable rencontre à coup sûr la morsure de la guillotine. Et si ce spectacle inspire au Prince une répulsion viscérale, il reste qu'il n'y a rien de plus rassurant pour une victime que d'être assurée de ne plus jamais croiser le chemin de son tortionnaire. Mais en ce qui concerne les abus sexuels ou même un premier viol, ce système judiciaire archaïque qui n'applique aucune peine carcérale au profit de stupides démonstrations de force en public, ne fournit aucun gage de sécurité à ses citoyens. Un individu qui commet un délit ou un crime de ce genre peut s'attendre tout au plus à une désagréable séance de bastonnade ou de mutilations diverses, après laquelle il a tout le loisir de réfléchir à d'éventuelles représailles contre son délateur.

Elikia ne connaît personne de sensé qui aille porter plainte dans ces circonstances. Lui-même s'en était abstenu, quelques années plus tôt.

En tout cas, faire face sans cesse à des situations comme celle-là le remontait comme un coucou à chaque occasion et lui remettait en tête cette idée fixe : il devait bien y avoir un moyen de changer les choses. Que diable, il est Prince, désormais ! Améliorer le sort d'une petite élève, c'est bien le moins qu'il doive faire avec le pouvoir qu'il a réuni aujourd'hui entre ses mains. Écrire ou changer la loi, en revanche, quand comme ici elle est inexistante ou mauvaise, exigerait de lui davantage de manœuvres, de lutte et d'efforts, mais cela n'en demeure pas moins sa responsabilité.
Aussi, il hoche doucement la tête vers Zaïra pour l'encourager à lui donner les réponses qui faciliteront ses prochaines démarches. C'est son heure, maintenant, qu'elle le réalise ou non : elle a pour elle à cet instant l'oreille d'un des individus les plus puissants de la Ville, et elle peut y faire tomber n'importe quelle de ses sollicitations ou de ses mécontentements, si elle en trouve le courage. Il suffit d'un mot, et cela entraînerait un véritable branle-bas de combat peut-être jusque dans l'office du Premier Prieur en personne, où Elikia déboulerait sans hésitation pour tirer cette affaire au clair.
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Zaïra Pichardo
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MessageSujet: Re: Like Diamonds in the sky   Like Diamonds in the sky EmptyMar 24 Juil - 13:07

Je m’en veux déjà de m’être laisser aller. Pourtant tout ce qui est sorti de moi est comme l’eau tourbe et tumultueuse retenue depuis trop longtemps derrière un barrage qui a cru pouvoir retenir un fleuve sombre et jaloux de sa profondeur et de son cours. Pourtant je sens que ce débordement va me laisser aussi vide qu’une vieille coquille, un peu comme si toute cet effroi était devenu une composante de ma personne, mais je n’ai pas la force de me révolter. Du moment que toute cette abjection ne m’empêche pas de mener à bien les projets qui sont les miens depuis si longtemps, je suis prête à tout accepter. Or ce n’est pas le cas. Je suis parfaitement incohérente comme si un cristal bleu et une boue noire se disputaient ma personne.

J’entends vaguement des intonations de réconfort à mes côtés, mais elles ne m’arrivent qu’à travers le fracas des sanglots qui m’agitent. Et puis, je me raidis en sentant sa main sur mon épaule. Depuis combien de temps n’ai-je pas accepter de tels contacts d’autres personnes que mes parents ? Je réalise que j’ai perdu la spontanéité qui était la mienne et qui me faisait me jeter au cou ou dans les bras des personnes que j’aime ou avec qui je partageais simplement des moments de bonheur. Je me souviens que cela faisait rire mes parents tout en paraissant à leurs yeux, un peu immature. Peut-être se disent-ils maintenant que j’ai grandi…

Je me raidis et puis je me relâche et me laisse faire comme si tout à coup tout était trop lourd pour que je puisse porter tout ça toute seule. Pourtant je n’ai pas envie d’encombrer l’épaule que le directeur du conservatoire me propose. Pourquoi ma tête s’y niche-t-elle tout de même comme celle d’une petite fille ? Je me trouve si faible ! J’ai honte et pourtant j’ai l’impression que cette épaule est tout ce dont j’ai besoin là, immédiatement. Je ferme les yeux pour éclaircir mes idées et juguler ses maudites larmes. Faut-il que je sois devenue si inconsistante ?

Et lui qui me murmure mon prénom comme si j’étais une petite fille ! Je lui en suis tellement reconnaissante en même temps que je déteste cette situation ! Je tente de maîtriser les soubresauts de ma poitrine. Il faudrait que je me lève, que ma fierté se redresse au moins que je m’enfuie pourtant je ne bouge pas si ce n’est pour attraper le mouchoir qu’il me tend. C’est un peu comme une planche de salut au milieu du naufrage qui est en train de m’engloutir. Déjà ma joue accepte servilement la douceur de l’étoffe de son costume… Est-ce cela la douceur du renoncement ? La honte fait jaillir de nouvelle larme tandis que le contact de son gant sur la mienne réduit ma révolte à néant.

Je tamponne mon visage et mes yeux pour assécher la source de l’amertume qui coule sur mes joues, tout en reniflant pitoyablement.

J’entends ses paroles de réconfort mais je ne parviens pas à les croire. Cela fait des semaines que j’essaie de les croire, des semaines que j’essaie de me persuader qu’il existe un endroit inexpugnable où je serai tranquille mais les cauchemars savent toujours où me trouver et même dans la réalité j’ai déjà pu mesurer que je pouvais de nouveau les rencontrer. A chaque fois il s’est trouvé quelqu’un pour me tirer d’affaire mais ce ne sera pas toujours le cas. Les visages rassurants d’Hildred et de Winnifred m’aident à reprendre un peu contenance. La première a disparu et semble avoir été engloutie par la cité tandis que la tenancière est à ce que je sais toujours aussi occupée à gérer son bar. Je sens mes narines se dilater tandis que mon esprit contredit violemment la douceur des mots du maître compositeur. Je tente cependant de suivre son conseil et de respirer pour regagner la maîtrise de mes émotions ou tout au moins de l’apparence misérable qu’elles m’imposent. A cette pensée, je serre violemment les doigts d’Elikia Lutyens qui semble ne pas s’en apercevoir.

Je n’ai même plus la force de me raidir à ses contacts et je laisse sa main gantée m’effleurer l’épaule. Petit à petit ma résistance accepte qu’ils soient bienveillants. Je ressens sa respiration qui me soulève calmement et son souffle se perd doucement dans mes cheveux. Petit à petit le calme s’empare de moi et je sens mes doigts et mon dos se détendre, les masques grimaçants ont battu en retraite au moins provisoirement.

Finalement je parviens à croiser son sourire qui finit de me redonner un peu d’estime de moi-même de même que son mouchoir que je finis de souiller pour ne plus laisser comme stigmate de ma dés errance sans doute la teinte rougie de mes yeux. Je n’ai pas encore retrouvé ce qui se dit dans pareil cas comme simplement merci et glissant la cotonnade brodée dans ma ceinture je murmure stupidement avec encore une voix étranglée.

« Je vous le laverai… »

Je me remerciai intérieurement de ne pas avoir relevé ma nouvelle gaffe et de se concentrer sur mes…
…diffcultés…

Une partie de son discours tombait sous le sens mais je restai suspendue à la première proposition. Prendre des congés ?! Il n’y pensait pas ! Comment allais-je pouvoir continuer de combler mon retard si je me mettais en vacances ? Et que ne dirait-on pas si à la première difficulté la petite fille de pêcheur se voyait accordée des passe-droits ?

« Mais… Je ne peux pas… Les cours !... Mon retard !... »

Visiblement je n’étais pas encore capable de formuler des phrases intelligibles alors que les idées du maître compositeur semblaient si claires et impérieuses. Je ne voyais que peu de place à la protestation aussi me contentai-je de grimacer un rictus contrarié tout en baissant la tête en direction de la main qu’il tenait encore dans la sienne. Je tentais de faire conte mauvaise fortune bon cœur et de me projeter dans la composition qu’il semblait appeler des ses vœux. Je n’étais pas bien certaine de pouvoir répondre à ses attentes, mais avec toute la latitude qu’il semblait vouloir me laisser je n’avais pas l’option de le décevoir. Cette nouvelle pression finit de me raffermir. S’il y avait une contrepartie à ces fameux congés c’était plus acceptable. Décidément l’idée de bénéficier de passe-droit m’était insupportable ! Une fois ce préliminaire accepté je ne pouvais qu’abonder dans le sens du directeur du conservatoire. L’esprit impose des choses à la musique et la musique le lui rend bien. J’avais plus d’une fois constaté que mettre l’un au service de l’autre était le meilleur moyen de créer des pièces sincères équilibrées et convaincantes. La commande du professeur de violon était irréalisable pour moi pour le moment même si je mettais un point d’honneur à y répondre.

« Il faut bien que je réponde à la commande de mon professeur ! »

Mais les choses semblaient entendues pour le directeur. Je devais bien admettre qu’en tant que tel, il était sans doute inutile d’essayer de lui désobéir. Il semblait s’exprimer comme si aucun obstacle ne se dresserait devant ses plans. Je n’étais pas surprise alors qu’il soit devenu prince et à côté je me sentais toute petite. D’autant plus petite que ses soudains questions me ramenèrent à des souvenirs que je venais tout juste de pouvoir renvoyer au second plan. Je sentis ma nuque de raidir et mon menton trembler aussi bien de peur que de fureur. Aller trouver les hommes en rouge ! Non mais quelle idée ! Je savais d’expérience que les forces de l’ordre sont là comme leur nom l’indique, pour préserver l’ordre établi et que le peuple et sa sauvegarde n’est pas leur souci. Quand-à la menace de mes agresseurs, j’avais pu vérifier qu’elle était encore bien réelle sans que je comprenne vraiment pourquoi. Il devait sans doute s’agir de question d’honneur ou autre valeur fallacieuse qui font des plus faibles des proies désignées lorsqu’elles ne sont pas contrebalancées par la peur.

En temps normal j’aurais sans doute hésité sur la réponse à donner mais sous la domination de mes émotions, les choses sortirent de ma bouche avant que j’aie pu les regretter.

« Trouver le Prieuré ?!! »

Pas la peine de compléter mon exclamation par le pourquoi faire que je réprimai, il était tellement sous-entendu qu’il ne pouvait pas échapper à la finesse qu’avait démontré maître Lutyens.

« Non je ne l’ai pas fait. »

Il n’y avait pas de regret dans cette réponse. Combien avais-je vu de malheureux abandonnés ou même accusés à tort parce qu’en face les oisillons ou les nantis ne supportaient pas les soupçons qu’il était si aisé de porter sur le peuple sans défense ! La justice était connue pour être impitoyable mais surtout pour le peuple ! En tout cas c’est en cette estime que je la tenais.

« Ils.. Ils ont essayé deux fois… »

Qu’ajouter de plus ? Que je passais mon temps à regarder par-dessus mon épaule dés que je sortais de chez moi ou du Conservatoire ? Je sentis les larmes tenter de lancer un nouvel assaut mais parvins à les refouler derrière mes paupières. C’est pour moi une petite victoire de garder mes joues sèches et d’avoir livré ce fragment de mon histoire. Seules Hildred étaient au courant par la force des choses et je l’avais gardé pour moi pour ce qui est du reste du monde. Mes parents auraient pu se lancer dans des actions inconsidérées, je ne le savais que trop bien. Autrefois, Menke avait perdu son oreille déjà à cause de moi et il était hors de question que cela se reproduise. Aujourd’hui un prince faisait mine de s’intéresser à quelqu’un du peuple mais je doutais encore qu’il veuille vraiment changer les choses. Au mieux serait-il touché parce qu’il venait du peuple lui aussi, mais de là à s’impliquer dans cette banale et misérable affaire… Je jugerai sur ses actes…
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MessageSujet: Re: Like Diamonds in the sky   Like Diamonds in the sky EmptyMar 24 Juil - 18:09

« D'accord. Bon. »

Elikia acquiesce tout bas, d'un ton grave et respectueux. Il n'a pas besoin d'en entendre plus. Déjà, la savante et consciencieuse machinerie de son esprit s'est mise en marche, même s'il commence par choisir ses mots avec moins de soin et davantage de spontanéité que d'usage :

« Je comprends, pour le Prieuré. Dans ces circonstances, je n'y aurais pas été moi-même. Peu de gens le font, et c'est compréhensible. On dit que les crimes de cette espèce sont les plus honnis d'Excelsa, mais cela n'empêche pas la justice de laisser des détraqués sexuels de tout poil gambader dans la nature. C'est vraiment intolérable. »

Grinçant des dents avec amertume, il garde la jeune fille nichée dans ses bras, tandis qu'elle semble les avoir choisis elle-même pour refuge, et lui caresse très précautionneusement les cheveux de sa main gantée. Ses doigts plongent dans leur épaisseur cotonneuse et s'appliquent à masser lentement son crâne, en y traçant de petits ronds apaisants. Il reste silencieux tout ce temps, ravalant des grondements de colère pour laisser à Zaïra tout le temps de sécher ses larmes, de calmer ses hoquets et surtout de sentir qu'on la croit et qu'on la comprend. Quand ses grands yeux mouillés croisent furtivement son regard, il lui sourit avec simplicité.

Pourtant, derrière ses airs rassurants, Elikia compte, ressasse et recompte en lui-même toutes les illusions que les forces de l'ordre font miroiter à la population en prétendant la protéger du crime. En réalité, elles lui permettent de perdurer, elles l'entretiennent et le nourrissent par complaisance peut-être, ou par bêtise. En négligeant de couper le mal à la racine, le Prieuré le laisse se ramifier et proliférer avec une complexité qui rend toujours plus difficile de le ratiboiser définitivement. Avec la mâle arrogance des gens qui ont de leur côté la force en même temps que le droit, les Prieurs s'imaginent qu'il leur suffit de piétiner, bastonner ou humilier un homme pour lui passer l'envie de commettre des exactions. Ils n'ont rien appris de cette guerre continuelle qui se joue à Domus et à la Borée contre les Oisillons. Ils se plaignent que chaque fois qu'ils tranchent une tête de l'hydre, il lui en repousse deux, toujours plus voraces, sans chercher à connaître la raison de ce prodige. Il ne leur vient pas à l'esprit que les criminels n'ont pas moins d'orgueil qu'eux et qu'une égratignure de leur ego devient vite le prétexte d'une vendetta. Les outrages qu'ils subissent les appellent à reproduire la violence, à convoquer leurs frères, leur bande, leurs débiteurs qu'ils exhortent à piller, violer et trucider pour leur fragile dignité, puis à se faire battre, mutiler, castrer et exécuter à leur tour. Et il en revient d'autres, sans cesse et sans cesse, prompts à déchaîner leur fureur sur de pauvres filles comme Zaïra qui finissent par se taire, se terrer et vivre une vie de souris craintive, jusqu'à se retrouver écrasée sous une semelle. Parce que rien n'empêche un homme castré de violer à nouveau, s'il est laissé en liberté. On n'a guère besoin d'un membre pour souiller une gamine, n'importe quoi peut faire l'affaire.
Le problème de la récidive n'a rien d'un mystère, tout compte fait. Il s'éclaire simplement à la lumière de la pauvreté et de l'insuffisance des institutions judiciaires.

Mais toutes ces vitupérations politiques ne sont d'aucun secours – en tout cas dans l'immédiat – à son élève éplorée. Alors Elikia prend une bonne inspiration et fait couler sa main des boucles désordonnées de Zaïra jusqu'à son épaule qu'il serre délicatement, pour attirer à nouveau son attention sur ce qu'il va lui dire. Au-delà des bons sentiments, même si ces quelques minutes de réconfort n'auront pas manqué d'être bénéfiques, c'est d'un plan d'action qu'elle a besoin pour l'heure. Et s'il est à cette place aujourd'hui, c'est pour se creuser les méninges et en trouver, lui, des solutions.
Il fronce des sourcils et relâche un instant la main de Zaïra qu'il tenait toujours dans la sienne pour se gratter le crâne d'un air d'intense concentration. Néanmoins, sa voix est douce et invite à de calmes réflexions :

« Nous avons une priorité, Zaïra, c'est d'assurer votre sécurité. Il est trop dangereux de continuer d'emprunter les mêmes routes entre chez vous et le Conservatoire, et où diable vous avez l'habitude d'aller à horaires réguliers. Je ne dis pas que vous ne devez plus sortir de chez vous, mais si ce n'est pas déjà fait, il vous faut souvent modifier vos itinéraires et ne pas vous promener seule la nuit. »

Une fois exposées ces prescriptions très essentielles, il se tait pendant une poignée de secondes et se pince les lèvres pour contenir une indignation qui pourrait paraître trop brutale, peut-être, à son étudiante choquée. Seule la fermeté de sa voix et un éclat strict dans son regard trahit le bouillonnement de ses sentiments tandis qu'il poursuit :

« Et cependant, empêcher que ces gens ne sévissent de nouveau n'est pas de votre responsabilité, mais de celle de la Ville, aussi je ferai en sorte que ces précautions trop contraignantes prennent fin rapidement. Alors voyons. »

Il serre sa main dans la sienne pour lui transmettre de sa détermination et les sourcils froncés, il avance une première idée :

« Avez-vous envisagé la possibilité de déménager, lors de la réunion des boursiers de la semaine passée ? Nous organisons de grandes colocations à proximité du Conservatoire. Le loyer est encore à la charge des étudiants, mais pour avoir tenté l'expérience moi-même, à l'époque où tout était à l'initiative des étudiants, je peux vous garantir qu'avec un petit travail à côté, c'est abordable. J'enseignais le piano et le violon à des enfants de bonne famille, à ce moment-là, en plus de participer à quelques spectacles. Pourquoi ne pas vous y essayer ? Je pourrais vous recommander à certaines de mes connaissances, ou vous donner des adresses pour que vous fassiez les démarches, ce n'est pas un problème. »

Il lui sourit d'un air encourageant. Bien sûr, il ne se montre pas aussi impartial qu'il l'aurait voulu avec ses élèves, quand bien même il aurait aimé s'interdire les préférences arbitraires que quant à elle, Arbogast assumait du temps où elle dirigeait elle-même le Conservatoire. Mais il semble tout de même à Elikia que si ces jeunes gens ne s'engagent pas tous égaux dans la course aux honneurs qu'impose ce type d'établissement, il n'y a rien de mal à offrir son aide personnellement à ceux qui se trouvent plus cruellement démunis de ressources.
Dodelinant de la tête, il nuance toutefois sa proposition, qui consacrerait un sacré chambardement dans l'humble vie d'une fille de pêcheur, et tente de lui donner un tour moins étourdissant :

« Enfin... si pour une raison ou pour une autre, vous n'aviez pas la possibilité d'emménager près du Conservatoire, ne vous inquiétez pas, je ferais en sorte qu'on double les rondes dans les environs de votre quartier, au moins pour un temps. Cela ne pourra pas durer éternellement, vous vous en doutez, de toute façon, ces mesures ne sont que de simples palliatifs et nous devons trouver une solution définitive à votre problème. » Gonflant sa poitrine, il se redresse et jette un regard tout au bout du chemin où se trouve postée une robuste silhouette en rouge, qui tente vaillamment de ne pas donner aux passants l'impression d'un enfant qu'on a mis au coin : « C'est pourquoi vous allez venir avec moi, et Frère Joseph, que vous apercevez là-bas. »

Il le lui désigne d'un geste du doigt, puis se retourne vers elle pour lui adresser son regard le plus compatissant (et le plus persuasif), derrière ses lunettes rondes qui donnent à son visage juvénile un air de sagesse :

« Nous allons ensemble déposer une plainte ainsi que les signalements de vos agresseurs auprès de sa supérieure, Sœur Isabela. Je vous le promets, c'est une femme prévenante et attentionnée et nous nous assurerons elle et moi qu'il n'arrive rien qui vous mette en danger. Les Prieurs arrêteront toute la petite répugnante petite clique qui vous menace et ils les garderont en cellule jusqu'à ce que je juge bon qu'ils les relâchent. C'est-à-dire pas avant très longtemps, et pour cela, j'irai parler directement au Premier Prieur. »

Redressant la tête d'un élan enflammé, il sent son cœur cogner fort contre ses côtes et il se détache presque tout à fait de Zaïra pour enrager de tout son saoul et piaffer du bout de son mocassin ciré dans la poussière du chemin.

« Il est plus que temps de faire cesser ces guerres perpétuelles que nous menons contre les Oisillons et d'engager une nouvelle politique de sécurité à Excelsa, lâche-t-il, d'un seul trait, les yeux fixés droit devant lui. Cela doit passer par l'inauguration d'un vrai pénitencier. » Il lance un regard fougueux à sa voisine, emporté un moment par à la fois pas l'entêtement et la chaleur de son tempérament. Puis en reprenant conscience des obstacles qui l'attendent, il se fend d'une grimace et tapote d'une main fébrile sur son propre genou. « Je ne vous cache pas que ce sera compliqué, mes collègues ne seront pas forcément de cette opinion. Mais vous avez ma parole. Je me battrai jusqu'à les faire céder. »

C'est un visage très sincère qu'il présente maintenant à Zaïra : une petite mine soucieuse et butée alors qu'il grince toujours discrètement des dents, comme si derrière son assurance et ses projets calculés au millimètre, une sorte de nervosité maladive se tenait encore bien embusquée. Son esprit minutieux requadrille chacune des possibilités qu'il a explorées de vive voix pour la jeune fille, à l'affût de la moindre contradiction ou d'une autre piste à prendre compte dans sa complexe équation. Mais il n'en décèle aucune sur le moment, aussi décide-t-il de prendre une bonne inspiration et de se tourner vers son élève, dans l'espoir qu'elle valide une de ses suggestions – car cette liberté lui revient pleinement.

« Alors... qu'en dites-vous ? »


Dernière édition par Elikia Lutyens le Mer 25 Juil - 0:24, édité 1 fois
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Zaïra Pichardo
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MessageSujet: Re: Like Diamonds in the sky   Like Diamonds in the sky EmptyMar 24 Juil - 22:53

Petit à petit je parviens à reprendre un peu de dignité. Les larmes avaient fini de couler et la brise qui perçait notre abri végétal les emportaient en laissant derrière elle une fraîcheur bienfaisante. En outre l’attitude et les paroles du directeur du Conservatoire mais paraissaient sincèrement compatissantes et rajoutaient à la sérénité qui bon an mal an reprenait le dessus. Cependant, je ne me décidais pas à quitter son épaule, me contentant pour l’heure d’écouter ses premières paroles de directeur. Elles gardaient la douceur d’expression, mais on sentait qu’elles émanaient de quelqu’un habitué à sérier les problèmes et à prendre des décisions.

Je ne pus qu’admettre ma surprise d’entendre Elikia Lutyens s’insurger contre le rendu de la justice. Après tout, même issu du peuple, il était une figure de l’ordre en siégeant au conseil. Je fronçai légèrement les sourcils, comme en débusquant une incohérence mais ne pus m’empêcher de hocher du chef sans souci de ce que le musicien en penserait. Il me semblait que ma rage contre les injustices de la cité recevait un écho dans les mots et le ton du compositeur. Il me suffisait de penser à « l’impôt » prélevé par les oisillons pour que Tia puisse vendre le produit du travail de mon père. Les oisillons ! Quel charmant nom pour les crapules de la pire espèce ! Je pense à l’oreille perdue de mon père parce qu’une patrouille a refusé de m’écouter. Pour un peu les sanglots me reprendraient mais c’est la rage qui est la plus forte.

Je ferme les yeux au contact délicat de ses doigts sur mon crâne. S’il est à l’unisson de ce qu’il est vraiment, je n’ai rien à craindre de lui. Pourtant, je sais maintenant que les gens peuvent être fourbes et mal intentionnés même sous des apparences de douceur. Je repense à cette camarade du cours de solfège capable de distiller un poison amer avec des mots choisis. Je me souviens avoir serré plus d’une fois les dents, incapable de lutter sur ce terrain. Ma seule arme était de mieux réussir que quiconque, intention mise à mal en ce début d’étude…

Alors par moment je me raidis malgré la confiance qui naît en moi pour mon Directeur d’étude. Je ne sais mêmes pas si ce titre lui est dû... Un silence lourd de toutes les injustices de notre ville s’installe pendant ce qui est une éternité de rage silencieuse et tendue. Lorsqu’il lâche ma main, c’est comme la dernière pincée de courage qu’il me fallait pour finir de me reprendre. Je me redressai avec toute la fermeté dont j’étais capable. Un index furtif fila sous le bout de mon nez pour vérifier qu’aucun signe de d’humidité n’y perlait encore. Seule la détestable moiteur qui devait sûrement coller mes cils en pinceaux ridicules se rappelait encore à moi à chaque battement de paupière avec cette sensation qu’elles allaient rester collées sous peu.

Maître Lutyens se fait alors pragmatique. Bien sûr que j’ai pensé à changer d’itinéraire dans mes déplacements quotidiens mais à chaque fois, un orgueil peut-être mal placé me l’avait interdit. Ses salauds n’allaient pas m’imposer leur volonté jusque dans les actes les plus quotidiens de ma vie ! C’était stupide ! Ils avaient déjà gagné en changeant ce que j’étais au fond de moi et cette révolte contre la nécessité de changer, par sécurité, mes allers et venus était dérisoire par rapport à ce qu’ils avaient déjà piétiné.

Plus d’une fois la terreur d’imaginer qu’ils aient pu aller jusqu’au bout de leur besogne animale m’avait saisie. Mais pourquoi avaient-ils jeté leur dévolu sur moi ? Sans l’intervention d’Hildred… Et si ?... Dans ces moments c’était jusqu’à ma personne qui me faisait horreur, capable d’inspirer ce genre de pulsion. Etait-ce tout ce que je valais ?!!! Plus d’une fois je m’étais vue porter la descendance répugnante de cette horde barbare. Cela valait-il le coup d’être capable de donner la vie pour mettre au monde des monstres ? J’enviais alors le sort de Tia qui n’avait pas pu connaître ces doutes et aussitôt je comprenais la double injustice de cette pensée. Ma mère adoptive aurait sans doute eu une autre vie si elle avait pu avoir des enfants, même si elle m’assurait, chaque fois qu’elle le pouvait, que j’avais été pour elle un cadeau des Saints.

Je savais donc qu’il avait raison et pourtant je ne pus m’empêcher de protester, la voix tremblante des derniers échos de mon chagrin et de ma rage ravivée.

« Mais… Je suis prudente mais… Ces salauds ! .... ne peuvent…. Certains cours finissent tard ! »

Certains cours certains travaux à mener à plusieurs étudiants m’avaient déjà obligée à rentrer à la tombée de la nuit passée. Evidemment je limitais mes sorties nocturnes, mais certaines m’étaient imposées même si j’y consentais la peur au ventre et évitais les quais où j’avais rencontré mes agresseurs. En plus je doutais profondément que cela puisse se réduire à une courte période. Qu’importait aux forces de l’ordre, milice ou prieurs que mes agresseurs courent toujours ? Ce n’était pas lui qui allait leur faire la chasse. Il n’en avait ni la formation, ni le temps et si j’avais bien compris les prérogatives.

Pourtant, je n’eux pas vraiment de réponse, même s’il s’adressait à moi j’avais la sensation qu’il se parla ensuite à haute voix essayant de mettre des dispositifs sur pied. Je pouvais l’imaginer dans son bureau au travail préparant ses interventions au conseil. La fermeté de ses doigts sur ma main renforce l’image d’un homme d’action et de décision. Je sens qu’il n’est pas facile de s’opposer à ses décisions surtout lorsqu’elles sont logiques et sans alternative.

Déménager ? Je n’y avais jamais pensé non. Les quelques moments que les études me laissaient, j’essayais de les consacrer à mes parents et à leur prêter main forte au filet, au bateau ou au marché. Je n’étais pas hostile à travailler loin s’en fallait mais abandonner mes parents ? Mon premier élan fut de refuser, mais cela méritait d’être examiné. Je rêvais même de pouvoir gagner assez pour soulager les finances parentales. Depuis mon entrée au Conservatoire, les prestations publiques qui me permettaient de gagner six sous s’étaient faites plus rares voire inexistante… Mon hésitation parut sans équivoque dans ma réponse, malgré les encouragement muets que son visage me prodiguait.

« Je ne sais pas… C’est peut-être une bonne idée… »

J’hésitai à faire allusion à mes parents et me ravisai.

« Je ne sais pas si je suis capable de donner des cours… Mais je veux bien accepter n’importe quel travail ! Pourvu qu’il soit honnête ! »

J’avais complété en toute hâte une phrase qui pouvait porter à confusion avant de me répandre en remerciements.

« Merci c’est très gentil, je ne sais pas si je mérite votre aide. Il y a sûrement d’autres étudiants plus à plaindre. »

Les détails matériels d’un déménagement étaient pour moi bien peu de choses comparés à mes scrupules d’abandonner la maison familiale ou de bénéficier d’un quelconque privilège de la part d’un puissant. A part d’une paillasse et de mon violon je n’avais besoin de rien en tout cas dans l’immédiat. Une nouvelle fois la certitude d’Elikia Lutyens sur le règlement de mes problèmes me semblait un doux rêve. Mes agresseurs jouaient sur du velours, pouvaient disparaître réapparaître, faire agir des complices… Et puis doubler les patrouilles sur un quartier sans intérêt pouvait tout aussi bien attirer l’attention sur la chaumière sur la falaise.

Une nouvelle fois je ne comprenaient pas qu’ils veuillent s’en prendre une nouvelle fois à moi. Mes fuites réussies devant leurs deux premières tentatives ne pouvaient pas tout expliquer sauf à imaginer que le fait de laisser une petite comme moi leur faire la nique était un mauvais signal pour le reste de leur engeance et pour leurs potentielles victimes. Si tel était le cas je m’en réjouissais.

« Pour déménager ? Non. Pas de souci majeur, mais je ne veux pas que ça mette en péril mes parents. Vous savez bien que pour eux… »

Je parlais des truands et le ton dont ce « eux » était emprunt ne pouvait laisser de place au doute.

« … ce n’est qu’une question de temps peu importe. Et puis qui a vraiment envie de les voir neutralisés ?! »

Je sentais ma voix dépasser sans doute ce que l’on peu accepter lorsqu’on est directeur du Conservatoire. Inutile donc que je poursuive en laissant libre cours à mes pensées. J’étais persuadées que si on le voulait vraiment on pouvait réduire à néant toutes les mafias mais qu’on ne les tolérait que pour justifier les milices et ses satanés prieurs qui abusent de leur statut sous prétexte de protection de la cité et soi-disant du peuple !

Me proposer l’aide d’un homme en rouge en cet instant relevait donc de la provocation. Frère Joseph ou un autre, ils étaient tous pareils. Imbus de leur uniforme sanglant, de leur magie masochiste, mais d’une telle inutilité au peuple !

« Un prieur ?!! Mais ! »

Je me sentais comme une enfant qu’on aurait trahie à qui on a promis de revoir son père absent et que l’on conduit à des trafiquants d’esclaves.

« Vous savez bien que… Vous disiez...»

Mais qu’elle aille se faire foutre Sœur Isabela ! S’il était assez stupide pour faire confiance à des prieurs c’est qu’il n’était pas aussi avisé que je l’avais cru un instant ! Même le premier prieur n’était pas la caution suffisante pour me faire changer d’avis, au contraire même, car si les novices pouvaient être suspectés d’avoir encore des illusions sur leur rôle et leur utilité, leurs dirigeants savaient parfaitement qu’ils étaient les complices plus ou moins volontaires des pègres en tout genre. Je me recule du maître compositeur et le considère avec stupeur et fureur. Heureusement, soit il n’a rien remarqué soit il n’a cure des mes sentiments en fin de compte, toujours est-il qu’il continue comme enflammé par des idées nouvelles. Un pénitencier ? J’avoue que je n’ai pas d’idée préconçues sur le sujet mais si les malfaiteurs peuvent disparaître des rues d’Excelsa…. Ce que j’en dis. Je n’en sais trop rien mais j’ose tout de même répondre.

« Un pénitencier ? Oui je ne sais pas trop… Il y a tant d’injustice à éradiquer d’Excelsa ! J’aimerais tant y être pour quelque chose… »

Mon regard s’est perdu dans le vague de l’horizon qui enserre l’uniforme de frère Joseph que je ne vois déjà plus. Puis j’adresse un sourire un peu triste et désabusé au prince compositeur. Si lui n’y parvient pas…

« Mais je… »

Trêve de rêve de réformes de révolution, d’équité, d’égalité… Je baisse la tête un peu désespérée.


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MessageSujet: Re: Like Diamonds in the sky   Like Diamonds in the sky EmptyMer 25 Juil - 2:28

Les protestations de Zaïra sont souvent étouffées dans l’œuf et elle se contente la plupart du temps de bouillonner en elle-même, toujours intimidée, sans doute, à l'idée de faire fourcher sa langue aux côtés d'une des hautes autorités de la Ville, ou ne trouvant peut-être simplement pas les mots qu'elle voudrait pour s'exprimer. Après tout, la jeune fille semble encore submergée par ses émotions, il faudrait lui accorder un peu de temps avant qu'elle ne recouvre l'entièreté de son éloquence. Cependant, son impulsivité trahit continuellement cette lourde révolte qui lui pèse sur les tripes, et il n'est nul besoin d'Empathie pour le sentir. Elle fulmine de tous les côtés, cette petite. Malgré la gravité de la situation, Elikia peine à retenir une sorte de petit sourire nerveux, qu'il dissimule derrière ses doigts gantés en prétextant de se racler la gorge. Non pas que la colère de la violoniste lui inspire de la moquerie : elle avait toutes les raisons du monde de s'emporter. Seulement, il est saisi, chaque fois, par l'impression de se reconnaître en elle, ou de reconnaître le gamin qu'il était, avant de dissimuler sa passion trop bruyante derrière un masque policé pour manœuvrer plus utilement en société.
Zaïra est franche, spontanée, enflammée même, et si cela pouvait la conduire à un certain nombre de déboires dans un endroit aussi spécieux que le Conservatoire, aujourd'hui, ce n'était pas le cas. Cette fougue a la vertu de bien disposer le jeune Directeur qui l'observe avec un intérêt palpable, et peut-être même un début de connivence.

Quand la frustration finit par déborder de sa pauvre soupière, il ne reste plus à l'étudiante qu'à siffler sa rancœur entre ses dents et à Elikia de la recueillir en levant un sourcil curieux.

« Vraiment ? »

Il plisse doucement des cils sur son regard de velours et observe un moment son élève, dans l'attente qu'elle corrobore un peu son opinion, mais tristement, rien ne vient. Elle s'enferme dans le silence, bornée dans un sinistre sentiment de résignation qu'il peut percevoir d'ici. Cela rend Elikia très pensif et les yeux perdus parmi les floraisons timides du buisson qui garantit l'intimité de leur entrevue, il se rappelle combien il est fréquent chez les travailleurs excelsiens de passer d'une jeunesse contestataire au renoncement de l'âge adulte. Il se rappelle les sourires navrés et les moqueries condescendantes que les gens de son milieu lui destinaient lorsque, dans son adolescence, il s'épanchait avec virulence sur le sort qu'on leur avait assigné. C'est comme ça, Eli, il faut bien qu'il y en ait qui bûchent... oh, oui, il en faut, des prolétaires, pour faire tourner toutes ces usines et accomplir les ambitions de la Ville.
A cette époque, il ne se serait tu devant personne, pas même un Prince si celui-ci avait eu la bonté inouïe de lui prêter oreille. Il n'était pas encore aussi modéré qu'il l'aurait fallu, dans ses propos, aujourd'hui. Mais Zaïra, elle, a déjà la mine basse et l’œil désabusé. Pour ça, ça le mettrait presque en colère !

Du nerf, enfin ! Où trouvera-t-on du courage, si ce n'est plus dans le cœur des jeunes gens ?

Il se mord la lèvre, ennuyé, et contient tant bien que mal son mécontentement. Il y a mieux à faire que de la houspiller, de toute façon : d'abord, la rassurer, encore, inlassablement, puis en venir aux choses sérieuses. Car elle ne pouvait pas décemment faire comme si tout lui était impossible ou interdit, alors qu'il était là, lui, à ses côtés, et qu'il lui promettait de lui offrir assez de soutien pour soulever des montagnes ! Refuser des solutions quand elles se présentent, par fatalisme, il n'y a rien de plus scandaleux au monde.
Cependant, cette fade réaction à l'ensemble des propositions qu'il lui avait soumises n'efface pas, bien sûr, la compassion qu'il éprouve pour la jeune fille, et il étire un sourire encourageant sur ses lèvres.

« Vous savez, prononce-t-il, d'une voix douce, c'est encore ce qui motive certains Prieurs à s'engager : la justice, le respect de la loi, la sécurité des honnêtes gens... Sœur Isabela ainsi que Frère Joseph sont originaires de la garde urbaine de la Borée. En ce qui le concerne en particulier, il est né là-bas, il a grandi là-bas, et enfin, ils ont tous deux pris la décision d'être utiles à ce District en endossant l'uniforme. »

Il porte son regard jusqu'au bout du chemin, pour y retrouver la robuste silhouette de son garde du corps rouquin, là-bas, qui se dandine d'un pied sur l'autre, très désœuvré. Il sourit encore, inéluctablement attendri par ce spectacle, puis en revient à Zaïra après un moment de flottement.

« Ni vous ni moi n'ignorons, évidemment, qu'entrer au Prieuré constitue souvent le moyen de sortir de sa condition et de pouvoir envisager parfois une ascension sociale fulgurante, concède-t-il avec patience. Et effectivement, cela se vérifie avec nos deux larrons. Du jour au lendemain, on a décidé d'honorer leurs états de service en leur commandant de constituer une escorte princière. C'est une perte, de mon point de vue, mais enfin... »

Plissant des lèvres d'un air de contrariété, il secoue la tête, conscient de son impuissance. Le Premier Prieur avait fait son choix et il n'avait ni l'autorité ni les moyens de corriger le tir, à présent. Joseph et Isabela auraient probablement été plus utiles à la Ville dans les rues des Districts défavorisés, ils n'avaient en outre reçu aucune formation pour exercer les fonctions qui étaient les leurs aujourd'hui. Parfois, cela inquiétait Elikia. Mais il l'oubliait rapidement pour se concentrer sur des tâches qui relevaient de son ressort. Il les appréciait, de toute façon, ces braves petits soldats, malgré leur détermination agaçante à ne jamais le lâcher d'une semelle, et il leur souhaitait tout le confort et la reconnaissance qu'il avait lui-même acquis en s'élevant dans les hautes sphères d'Excelsa.

« Quoi qu'il en soit, ces Prieurs-là ont servi de chair à canon pendant longtemps contre le crime organisé à la Borée... Et il serait injuste de dire qu'ils ne s'intéressent pas au sort des gens du commun, déclare-t-il, les yeux brillants de sévérité. Ce sont eux-mêmes des gens du commun. »

Il incline son chef avec beaucoup de sérieux, soucieux de peindre un tableau fidèle à la réalité, de ne pas conforter son élève dans la vision étroite, naïve, qu'elle avait des autorités, mais aussi de ne pas laisser de côté son opinion. Il avait déjà admis à plusieurs reprises sa pertinence, maintenant, elle doit aussi s'efforcer de se montrer plus scrupuleuse quand il s'agit de prononcer un jugement aussi général – sous peine de n'exprimer qu'une suite de sottises manichéennes.

« Je ne parlerai pas pour l'ensemble des soldats du Fort, bien entendu, concède-t-il. Ne croyez pas que j'ignore de quel bord ils se trouvent lors des insurrections ouvrières. Votre méfiance, je la partage, plus que vous ne pouvez l'imaginer. Mais ce n'est pas le moment de disserter sur ce sujet, votre affaire est urgente. »

Et d'un geste ferme de la main, il remet à plus tard cette discussion qu'il n'est de toute façon pas pressé d'avoir. Hors de question de s'embarquer sur le récit larmoyant de ce qu'avaient été les émeutes de l'année 1108. Il les avait vécues une fois, et c'était bien suffisant. Il n'en convoquerait le souvenir que si l'exemple devait servir de façon décisive à son argumentation. Or, débattre sur l'intégrité d'une entière faction politique, ce n'est pas ce qui l'intéresse en cette heure. Ils ont d'autres chats à fouetter, et ils sont plus menaçants dans l'immédiat que les matois matous du Prieuré. Alors, Elikia reprend en vissant ses yeux intransigeants vers le visage encore luisant de Zaïra :

« Vous me dites qu'il y a actuellement au District Portuaire un gang entier qui circule en toute impunité, sans rien craindre des autorités, et qui par conséquent risque chaque jour qui passe d'agresser, de trousser, d'assassiner d'autres jeunes filles comme vous... Alors que je vous donne le moyen d'agir pour les arrêter, tout en restant à l'abri du danger ? » Il se ménage une pause, pour donner à l'étudiante tout le temps d'envisager l'étendue des responsabilités qui lui incombent désormais. Puis, avec autorité : « Il faut que vous me fassiez confiance et que nous agissions, sans quoi un drame finira par arriver. »

Il a lui-même le sentiment que sa réprimande est un peu trop féroce à encaisser pour un esprit choqué comme celui de Zaïra, mais il éprouve aussi le besoin de la piquer au vif pour lui rendre sa combativité. C'est de l'ardeur, de la hardiesse qu'il veut de nouveau voir animer ce visage volontaire, et non plus cette insupportable apathie dont il accuse le trait depuis tout à l'heure.
Une idée est d'ailleurs née en chemin, parmi toutes les élucubrations auxquelles il se livre avec passion, échauffé par le malheur de la jeune fille et la franche indignation qu'elle avait manifestée un peu plus tôt. C'est de personnes de conviction comme elle dont il a besoin, pour mener à bien certains de ses projets. Et si elle est trop mal en point aujourd'hui pour concevoir qu'elle peut occuper un rôle concret dans l'opposition, il serait toujours possible de remettre sa suggestion à plus tard...

« Si vous voulez être utile au peuple d'Excelsa, Zaïra... insiste-t-il, plus précautionneusement cette fois, tendant de nouveau sa main gantée vers elle, pour serrer ses doigts autour des siens. C'est par là que vous devez commencer. Je vous le promets, vous et vos parents demeurerez en sécurité. Et puis, plus tard, si vous vous sentez toujours engagée à œuvrer contre ces injustices qui vous causent tant de préjudices... j'aurais peut-être moi-même un travail à vous proposer. »

Il murmure ces derniers mots du bout des lèvres, qu'un petit sourire secret brode délicatement. Puis il relâche sa main et reprend d'un ton conciliant :

« Quoi qu'il en soit, je ne vous imposerai pas mon aide. Vous avez maintenant le moyen de la saisir, saisissez-la ou ne le faites pas. Sachez néanmoins que la porte de mon bureau vous sera toujours ouverte. »
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MessageSujet: Re: Like Diamonds in the sky   Like Diamonds in the sky EmptyLun 30 Juil - 15:03

Je me demande bien où va me mener cette entrevue. Cela fait quelques semaines  peine que je suis au conservatoire et je suis déjà mise sur la sellette par mes professeurs et dans le même temps, le directeur semble tout faire pour me venir en aide. J’avoue que je suis un peu perdues. J‘ai envie de lui faire confiance et pourtant quelque chose m’en dissuade encore un peu. Pourtant depuis que je suis au conservatoire, entourée de plus de gens que je ne l’ai jamais été, j’ai l’impression de ne jamais avoir été aussi seule. Je ne parle pas de Mathé qui m’a apparemment rayée de ses listes. Son avis me manque ainsi que son exubérance et sa mine espiègle. Je n’ai pour le moment aucun collègue avec qui je me suis assez liée pour lui fair part des mes soucis et puis et d’ailleurs, qui voudrait se lier avec une fille qui n’a en somme que des problèmes? Ce n’est pas tout à fait vrai, je sais qu’à bien des égards, j’ai beaucoup de chance, mais j’ai l'impression que c’est l’image que je renverrais aux autres. Les professeurs, n’en parlons pas. Je n’ai pas envie de passer pour la fille qui cherche des excuses à ses incompétences et puis la plupart font suffisamment comprendre qu’ils sont là pour leur matière un point c’est tout. Quand-à mes parent, ils ont déjà assez d’efforts pour me lisser suivre les cours au Conservatoire, je n’ai pas envie de leur ajouter le soucis de mes problèmes. Le directeur arrive donc au bon moment, mais c’est tellement… Je ne trouve pas le mot qui convient. Moi si méfiante à l’égard de l’autorité institutionnalisée, de la hiérarchie, me voilà secourue par la plus haute instance du Conservatoire où je me suis engagée. Si Mathé m'avait proposé son aide, j’aurais sauté dessus immédiatement, mais là...

Mais là… La leçon de morale et de sociologie que le directeur m’assena me fit l’effet d’un électrochoc. Je redresse la tête et plante un regard brûlant de colère. J’hésite une seconde, je ne sais pas si c’est un bonne idée de répondre à la leçon que je viens de recevoir, mais j’ai l’impression d’un malentendu sur ce que j’ai voulu dire ou sur ce qu’il pense que je suis et quoi qu’il en soit, je n’ai pas envie qu’il perdure plus longtemps. Soudain c’est comme si tout notre environnement disparaissait. Je n’ai plus conscience ni du vent ni du feuillage qui nous entourent et encore moins des oiseaux ou des autres créatures.

“Je me doute effectivement qu’il existe des personne droites honnêtes et investies par le rôle qui doit être le leur, mais vous l’avez dit, j’ai trop vu d’injustices perpétrées par les forces de l’ordre quelles qu’elles soient. Alors il faut que j’aie de bonnes raisons de leur faire confiance!”

Je sens que mon ton s’échauffe aussi je rend le temps de respirer pour me calmer et m’exprimer posément. Je me dis qu’il serait intéressant d’interroger les deux personnes mentionnées ce qui les motive encore, car elles sont les mieux placées pour savoir que le Prieuré ne se soucie que peu des plus faibles.

“Vous me dites qu’ils sont dignes de confiance et de respect. Soit! Mais ils ne seront pas ceux qui vont se mettre en chasse ni protéger mes parents s’il le faut. Mon père a déjà perdu une oreille à cause de moi et d’une patrouille rouge! Cela fait des années que ma mère paie un impôt à la pègre pour pouvoir continuer à vendre le produit de la pêche de mon père! Alors pour ce qui est de l’urgence!  ”


Soudain je me rends compte que j’ai dépassé le ton que le respect impose à une étudiante à l’égard de son directeur qui de plus a proposé son aide.

“Je suis désolée, je ne devrais sans doute pas vous parler sur ce ton.”


Je baisse les yeux pour le contrôler avant de reprendre façon plus posée.


“Mais vous avez raison. Il ne s’agit sans doute pas que de moi ou ma famille. Je ne pardonnerais pas s’il arrivait la même chose  quelqu’un d’autre. Il ma faut donc vous faire confiance.”


Je sais de toute façon que je n’ai pas le choix et que quelque chose me dit que le compositeur mérite cette confiance. Je sais aussi qu’il suffirait que quelque chose arrive à mes parents pour remettre en cause cette confiance. Lui est trop intelligent pour ne pas le savoir.

Mais c’est la dernière partie de sa harengue qui me met le plus sur le grill. Si je suis prête  me rendre utile au peuple d’Exelsa? Mais c’est sans doute ce que j’ai le plus envie de faire en même temps que de jouer et danser! C’est d’ailleur mon art la seule arme que je possède.

Mon ton est plus calme mais possède la même détermination lorsque je finis de répondre.  Sans doute la conséquences des mais d’Elikia Lutyens sur les miennes

“Je veux être utile au peuple d’Excelsa! C’est certain! Je ferai tout ce qui pourra le servir donc si votre proposition n’était pas qu’un effet de langage...”

Je me sens tout  coup honteuse. Et la dernière phrase du directeur du Conservatoire ne fait que l’accentuer. Je me demande parfoi si je ne réfléchis pa trop et ce en dépit du bon sens. Il n’y a pas si longtemps, je me contentais de me fier à mon intuition et je ne me sentais si souvent ridicule que durant ses dernières minutes. Le feu me monte aux joues et je ne sais plus dans quelle direction regarder. Je parviens néanmoins à articuler.

“Je suppose que je dois aller trouver frère… Joseph?”

Je me mis à finir de ranger en toute hâte mes affaires avant de me lever.
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Elikia Lutyens
Prince Compositeur

Elikia Lutyens

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MessageSujet: Re: Like Diamonds in the sky   Like Diamonds in the sky EmptyMer 8 Aoû - 4:00

Sa brève mais solide remontrance a manifestement porté ses fruits. Une fulgurance a frappé Zaïra en plein cœur et son regard sombre s'est illuminé d'une sainte colère qui n'a pas tardé à trouver le chemin de sa voix. Elle proteste et gronde déjà avec véhémence, mais curieusement, c'est un réel soulagement pour Elikia. Il aurait été bien ennuyé si elle avait fondu en larmes de nouveau ou si sa petite démonstration d'autorité l'avait retranchée plus loin dans le mutisme et l'indécision.
Non pas que la jeune violoniste semble avoir fait son choix, dans l'immédiat, car elle est trop occupée à vitupérer contre le monde entier, distribuant les fautes comme une cantinière jette ses louches de gruau dans les écuelles des ouvriers à l'heure de midi : indistinctement, d'une poigne lourde, expéditive et très peu méthodique. On a peu de temps pour le discernement quand la nécessité de se nourrir et de nourrir sa famille accapare ses journées et qu'on y ajoute l'inquiétude pour sa survie, renouvelée à chaque échéance soumise par la mafia locale. C'est ce qui rend les revendications des classes laborieuses difficiles à formuler et à entendre. Mais ce ne sont pas à elles, et ce n'est pas à Zaïra, de se pencher sur les injustices qu'elles subissent pour les étudier et les régler efficacement.

C'était aux gens comme Elikia, qui s'effacent et opinent avec humilité quand on évoque les tributs extorqués par la pègre, l'indifférence et la brutalité policière, des oreilles coupées, des jeunes filles violées, des vendettas sanglantes et des cadavres abandonnés dans la crasse boueuse et les ordures du fleuve. Rien de neuf sous le soleil, mais on prend un air grave, on compatit et on persévère. Un problème à la fois, et tant pis si on leur reproche toujours de venir trop tard. Il y a tant de travail à abattre, et comme Arbogast l'avait si justement remarqué tout à l'heure, il est impossible de venir à bout de ses objectifs si on court sans cesse plusieurs lièvres à la fois.

Aussi, Elikia reste tout à fait silencieux, lorsque Zaïra s'étouffe de l'entendre parler d'urgence et lui rappelle qu'elle a vécu dans l'attente toute sa vie, il patiente, grave et immobile comme une statue, et ploie respectueusement des paupières à chacune de ses récriminations. Elle mesurait mal la portée des paroles qui lui avaient été adressées, évidemment, il aurait été audacieux de penser qu'elle puisse réaliser sur le champ que pour une fois dans son existence, l'aide qu'on lui proposait était bien réelle et tangible.
Heureusement, l'ultime argument (un peu osé) qu'il a opposé tout à l'heure à ses réticences fait mouche. En appeler à la pitié des hommes envers leurs prochains et à leur obligation d'agir devant la morale, ce n'est bien sûr pas toujours un pari gagnant – c'est même rarement le cas dans les hautes sphères de la politique. Mais il est apparu avec une entière transparence à l'Empathie d'Elikia que Zaïra était une de ces âmes probes et sensibles qui ne laisserait pas du mal arriver par sa faute à un autre, ou quoi qu'il en soit à une de ses semblables.

Un sourire discret monte aux lèvres du Directeur tandis que son étudiante s'assagit et s'excuse tout bas de l'insolence qu'il lui avait permise – et peut-être même soufflée.

« En effet, rétorque-t-il, les yeux pétillants d'un paisible amusement. Mais votre fougue fait plus plaisir à voir que toute la résignation et la passivité du monde. En ce qui me concerne, en tout cas. Je ne parlerai pas pour vos autres professeurs. »

Ce n'est pas le meilleur moment pour les traits d'humour, aussi inoffensifs soient-ils, mais cette petite lui plaît et un brin de complicité au milieu de ce champ de bataille lui adoucirait peut-être l'humeur – sait-on jamais. En tout cas, il ne prend pas la peine de revenir sur le débat houleux qui les divise tous les deux depuis de longues minutes déjà et il accorde sans amertume le dernier mot à Zaïra. Inutile de lui répéter ce qu'elle finirait par constater par elle-même. Tout ce qui importe, c'est qu'il a désormais une réponse et son autorisation pour agir. Quand on remporte la manche, il est grossier d'ajouter d'autres raisons à sa victoire. Il hoche donc simplement la tête.

« C'est une sage décision. Je sais bien qu'elle vous coûte et que la parole semble trop vaine quand on attend des actes, alors je vous remercie de prendre cette peine. »

Il lui sourit très courtoisement.
Maintenant, il s'agit de réfléchir à rediriger l'énergie formidable de sa nouvelle protégée vers des fins plus constructives, puisque l'idée remporte chez elle un très franc enthousiasme. Sa première visite au Palais et sa rencontre avec le Prince Egidio avaient promptement confirmé à Elikia qu'il ne devait son statut qu'aux intérêts conjoints d'au moins deux des dirigeants en fonction. On ne l'avait pas mis là pour œuvrer avec lui aux mêmes projets, car c'est un concept étranger au gouvernement d'Excelsa que d'exercer une politique unie. Il espérait bien sûr que le premier Conseil serait l'occasion de les convaincre à faire front commun, mais il n'était pas non plus naïf. Étant donné les charges très peu sérieuses qu'on lui avait personnellement confiées, il y avait de grandes chances qu'il ait été assis parmi eux pour faire office de polichinelle ou d'homme de paille. Un choix étrange, ou en tout cas, un bien mauvais calcul. Ils auraient aisément pu trouver Prince plus malléable parmi les candidats à l'élection. Comme le lui avait souligné si sagement Catherina, ils ne s'étaient pas méfié. Ils l'avaient laissé entrer.
Tant pis pour eux, tant mieux pour la Ville. On ne le suspecterait pas non plus quand il aurait rassemblé sa petite clique d'informateurs.

Ceci dit, il bat lentement des cils, surpris par le revirement radical dans le ton de Zaïra, qui s'effraie exagérément, tout à coup, de l'entendre faire des « effets de langage » là où il lui proposait un travail. Étonnant. Elle se fait un talent de s'aplatir très vite devant lui chaque fois qu'elle s'est indignée un peu fort, comme on s'efface avant de prendre une paire de claques. Mais si Elikia Lutyens n'est pas tout à fait insensible à la flatterie, il goûte pourtant très peu à l'obséquiosité. Comme tout intellectuel engagé qui se respecte, il a toujours préféré une bonne confrontation, quitte à se remettre en question, à ces reptations serviles qui ne lui sont utiles à rien. Il n'a pas besoin qu'on lui passe la pommade dès que la conversation devenait susceptible de lui déplaire, c'était bon pour les petits héritiers pleurnichards et pour ces pauvres bourgeois qui ne pouvaient blâmer que leur privilège pour leur avoir rendu les nerfs fragiles. Que voulez-vous, le pouvoir et l'argent ont toujours eu le défaut d'engendrer de sales cons très chatouilleux.
Aussi, Eli balaie la remarque de Zaïra du revers de la main, un petit sourire malicieux au bord des lèvres.

« Non, bien sûr. Mes propositions d'emploi sont rarement métaphoriques, c'est quelque peu contre-productif. » réplique-t-il, calmement. Ce léger sarcasme couperait peut-être les ailes à de prochaines courtisaneries, et le reste de ses paroles à d'autres doutes quant à ses intentions : « Ce dont je vous parle, c'est d'un travail payé qui pourrait couvrir une part de votre loyer dans une colocation. Mais surtout, il ne faudra pas vous en vanter sur tous les toits, et je pèse mes mots. Personne ne devra savoir. La principale question que vous serez tenue de vous poser avant d'accepter sera celle de la force de vos convictions. Car elles devront me garantir de votre silence le plus absolu. »

Il cligne des paupières sur son regard noir et luisant, observant sévèrement la jeune fille par-dessous ses cils et sondant son cœur avec une vigilance accrue. Il ne peut pas se permettre de laisser passer le moindre détail de ces sentiments dans un moment si crucial. Après tout, ce n'est encore qu'une inconnue que cette Zaïra et il n'est pas exclu qu'il se trompe à son sujet. Il recevait déjà assez de menaces de mort dans son courrier du matin, et comme on s'en doute, pour beaucoup, ce ne sont pas des lectures agréables entre la biscotte et le café.

« J'ai beaucoup d'ennemis, Mademoiselle Pichardo. Zaïra, souffle-t-il en croisant délicatement ses mains gantées sur ses genoux, le visage penché sur le côté. Et si ma voix compte désormais au Conseil des Princes, j'ai acquis trop peu de pouvoirs pour m'assurer de la réalisation de mes projets, quoique ma volonté soit toujours de travailler pour l'intérêt général – celui d'Excelsa dans son ensemble. Mais savez-vous où l'on trouve de source sûre du pouvoir ? » Il lève un sourcil d'un air professoral, le menton levé, et la scrute avec curiosité pendant un instant, avant de lui offrir une réponse très sentencieuse : « C'est dans la connaissance. Savoir, c'est prévoir, prévoir, c'est pouvoir. »

Il se tait à cette annonce et la laisse à méditer à son élève. Quant à lui, il gonfle ses poumons de l'air frais du jardin et sourit en lui-même, distrait à l'idée que ces lieux bucoliques offrent souvent le couvert idéal à ses petites manigances. On ne conspire jamais mieux qu'au chant de l'alouette, à l'ombre d'un rosier ou d'un arbre en fleurs. Quoi de plus délicat ? Quoi de plus innocent ?

« J'espère que vous me pardonnerez ces quelques litotes, reprend-il avec une piquante légèreté, vous devez voir à peu près où je veux en venir. Elles sont rares, de nos jours, les personnes qui se préoccupent davantage d'un idéal que de leur profit personnel – et ce sont pourtant les plus dignes de confiance, tant qu'on veille à mériter leur respect. C'est pourquoi j'ai besoin de vous, de vos yeux et de vos oreilles. »

Il la scrute de son regard de chat ou de sphinx, très longuement, et cille dans le plus grand silence. Puis, tandis qu'elle rassemble très hâtivement ses affaires, il lui sourit avec une entière bienveillance.

« Mais nous en reparlerons plus tard, ainsi vous aurez le temps de la réflexion et peut-être qu'alors, la foi que vous m'accordez aujourd'hui sera plus qu'un simple pari. En attendant, je crains  qu'il ne suffise pas que vous interpelliez Frère Joseph pour me faire échapper à sa très consciencieuse surveillance. » Il gonfle ses lèvres, esquissant une moue précieuse, pleinement étudiée pour amuser la jeune fille, avant de soupirer avec emphase et de regretter d'un ton languissant : « Même les remarques acariâtres de Maître Arbogast n'ont réussi qu'à l'éloigner d'une vingtaine de mètres. Je vais venir avec vous, nous irons directement rencontrer Sœur Isabela afin qu'elle prenne des dispositions. Allons, nous avons assez parlé ! »

Désormais, il faut agir. D'un bond énergique, il s'élance sur ses jambes qui ont déjà trop attendu de pouvoir courir et vaquer à leur tâche. Puis, rabattant élégamment son écharpe sur son épaule, il marche aux côtés de la jeune violoniste pour aller trouver le grand Joseph au bout de leur chemin bordé d'iris violettes et de narcisses immaculés.


Dernière édition par Elikia Lutyens le Mer 8 Aoû - 21:05, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: Like Diamonds in the sky   Like Diamonds in the sky EmptyMer 8 Aoû - 20:32

Était-ce la brise qui caressait le jardin ? Était-ce le réconfort apporté par le directeur du Conservatoire ? Était-ce le retour de mes capacités à décider ? Je me sentais soudain plus forte. Il n’y a que le premier pas qui coute. C’était un peu court comme explication, mais la sérénité qui revenait en moi avait sans doute à voir avec ça. L’échange avec maître Lutyens avait réussi à me faire prendre du recul par rapport à ma situation particulière tout en la mettant au centre de ce que je devais faire. Il était compliqué pour moi d’expliquer plus clairement le fait que je me sentais réconfortée en même temps que le monde autour réapparaissait avec ses exigences. J’avais aimé la colère qui m’avait traversée un moment. Elle m’avait prouvé que j’étais toujours vivante et m’avait rappelé ce que j’aurais pu oublier de mes engagements et de mes priorités.

Un voile venait de s’envoler de devant mes yeux. La lumière devenait plus limpide, sans doute parce que mes yeux avaient été nettoyés de toutes leurs larmes. Je passai mes mains sur mes joues pour vérifier qu’elles avaient bien séché et estomper les éventuelles marques qu’elles avaient laissées. Le garde du corps n’était pas obligé de savoir qu’elle avait été pitoyable quelques minutes plus tôt.

Je sens petit à petit un sourire se dessiner sur mon visage, j’en ai un peu honte mais cela m’a fait un bien fou. Je croise le regard d’Elikia Lutyens et je ne peux que m’étonner d’y trouver une complicité que je n’aurais pas soupçonnée et que les doutes et l’amertume m’avaient dissimulée. Je ne sais pas pourquoi, mais j’ai envie de lui faire confiance. Tout à coup mes intuitions parfois trop angéliques que j’avais remisées pour les remplacer par la méfiance et le soupçon reprennent le dessus. Il n’est pas possible qu’il ait pris tout ce temps pour me manipuler alors que cette rencontre n’était pas prévue ! Et puis dans son regard brille la sincérité et une sorte d’attention que je n’avais plus rencontrées depuis bien longtemps.

A demi-mot, il accueille mes excuses avec bienveillance même s’il laisse entendre que les autres professeurs du Conservatoire pourraient ne pas être aussi compréhensifs. Je me contente de hocher la tête en signe de compréhension et d’un timide sourire reconnaissant. Un instant je me demande si les sourires son précieux et à distribuer avec circonspection ou bien s’ils méritent d’être semer chez tous ceux qui le méritent. Je suis étonnée de cette question que je ne me serais jamais posé avant. Les sourire c’est pour tous ceux qui les méritent ! C’est étrange comme toutes ces considérations me paraissent si frivoles et pourtant essentielles !

Ma poitrine se soulève dans une inspiration nécessaire alors que le moment d’aller trouver les prieurs qui sauront tenir la promesse du directeur approche. Je lui souris en signe du renouvellement de ma confiance en cet instant mais je sens que j’ai plus l’air d’un condamné à mort en route pour l’échafaud que d’une victime qui vient revendiquer la justice. Je déglutis avec peine et me racle la gorge comme si cela allait aider à faire redescendre la pointe de méfiance qui remonte soudain.

Je ne sais pas si le répit qui m’est accordé par les explications du compositeur tombe à propos. Je suis ébahie de constater la confiance qu’il me fait. Je sens muon regard s’agrandir d’étonnement. En même temps les termes qu’il emploie me font un peu peur. Je comprends tout de suite que ce ne sera pas un travail de complaisance mais au lieu de m’effrayer, à ma grande surprise, ça me rassure. Si je dois gagner de quoi poursuivre mes études autant que je serve effectivement à quelque chose. Je plisse les yeux afin d’être certaine de bien comprendre tous les tenants et aboutissants de cette proposition.

Me dire qu’il a beaucoup d’ennemis est superflu. Je suis certaine que tout personnage de son rang doit être dans ce cas, mais il est vrai qu’aucun autre personnage de ce rang ne m’a tendu la main, comme Elikia Lutyens et je trouve ça tellement injuste ! S’il me fallait une raison supplémentaire pour accepter la tâche qu’il souhaite me confier, elle était toute trouvée. De toute façon d’agir pour le peuple, pour les opprimés d’u système qui n’a de cesse de brimer la moitié de la population pour le bien être de l’autre moitié, suffit à guider mon choix. Je me redresse face à lui et aux doutes qu’il exprime dans ses explications et le regarde

« Agir pour le peuple est mon plus grand souhait.  Vous pouvez me faire confiance. Je serai dévouée à sa cause et une véritable tombe. Quand-à la force de mes convictions, vous pourrez la mettre à l’épreuve dès que ce sera nécessaire. »

Je me demande si je n’ai pas parlé trop vite. Je suis consciente de parfois être impulsive, mais je ne vois pas ce qui pourrait me retenir d’accepter cette proposition inespérée pour mes idéaux et mes études au Conservatoire. En outre, hors de scène je n’ai pas l’habitude de me mettre en avant ou de fanfaronner, garder le silence est un exercice aisé pour moi. Quand-observer et écouter, ce n’est pas ce qu’il y a de plus compliqué. Evidemment, je n’ai pas de formation d’espionne et je devrai faire mes preuves, mais je doute être envoyée dans une mission délicate immédiatement et commencer par les couloirs du Conservatoire peut être un bon entraînement. En fait, plus j’y pense et plus je sais que j’ai fait le bon choix et une réponse pas trop stupide quoiqu’un peu ampoulée. Mes phrases résonne dans mon esprit comme celles d’un bon petit soldat mais je suis tellement heureuse de cette proposition et pour tout dire excitée que j’ai envie de sauter de joie en applaudissant. Ce serait un bon début pour une espionne sensées être discrète !

Ça y est je suis déjà dans le costume du nouveau rôle que je dois jouer ! Mais comment est-ce possible d’être aussi excessive ? J’ai l’impression que cela va jouer en ma défaveur et je n’ai pas envie de laisser passer cette chance. Aussi fais-je semblant d’accepter de prendre le temps de la réflexion. Mes affaires dans les bras j’ai peur de les laisser tomber tant les dernières annonces m’ont surprise et chamboulée. En même temps je retiens un sourire de fierté.

Heureusement, il vient me prêter main forte avec sa mine faussement précieuse. Je ne peux m’empêcher d’éclater de rire. Mais je me reprends bien vite. C’est le directeur du Conservatoire qui est jour après jour dans l’embarras. C’est à son tour de faire des efforts pour supporter cette contrainte.  Il ne semble pas apprécier les prieurs plus que moi, ou bien est-ce leur présence constante accrochée à ses basques qui l’indispose. C’est évidemment cela et d’ailleurs alors que nous nous dirigeons vers l’endroit où nous sommes supposés rencontrer sœur Isabella, frère Joseph nous emboîte le pas de si près que je n’imagine pas en effet que nous puissions parler plus avant de mon nouveau travail. En imaginant un prince derrière des barreaux dorés, j’aborde ma future entrevue avec plus de décontraction. De temps à autre je regarde le profil du Prince Compositeur. Et si on l’appelait le Prince du Peuple ?
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