Devoir de mémoire ~ Wilhelm

L’apothicariat.

Dès que Feriel devait s’y rendre, qu’elle le savait à l’avance, son humeur devenait de plus en plus maussade jusqu’à la date finale. Alors, quand elle avait contacté Zolt, elle avait fixé l’entrevue au lendemain. Elle n’avait pas le temps de se miner à l’idée de revenir dans ces lieux qu’elle haïssait tant.

C’était peut-être irraisonnable, n’empêche qu’elle se sentait toujours oppressée, comme si Siritsa pouvait sortir du moindre recoin du Campus dès qu’elle y mettait les pieds.

Ce fut d’un pas martial qu’elle traversa les plates-bandes piétinées par tout un tas d’étudiants qui lui adressèrent des regards curieux auxquels elle ne répondit pas.
Normalement, elle aurait sûrement dû attendre Zolt dans son bureau, pour se faire recevoir en bonne et due forme, mais elle avait passé ce stade avec le Légiste.

Elle l’aimait bien, vraiment, si ça n’avait pas été pour le travail, ils auraient peut-être pu devenir amis. Mais on ne mélangeait pas les torchons et les serviettes.

Il y avait eu deux ou trois fois où elle avait bu un coup avec lui, forcée par le sort, parce que Layla avait eu la merveilleuse idée, voilà des années, de la traîner à un concert d’une artiste stupide au nom imprononçable, une pianiste, où Feriel avait dépensé toute sa prime pour avoir les places et satisfaire son aimée dans sa promesse de changer.

Sauf que, malheur, il avait fallu qu’elle se retrouve à côté de Zolt, tout en costume, la mine méconnaissable comme celle d’un gamin avant son anniversaire. Ah ça, ça l’avait refroidi de la voir là, et inversement, surtout quand ils avaient dû passer toute la représentation dans un silence gêné, et que Layla avait insisté à la fin pour lui parler parce que « mais je n’ai jamais l’occasion de rencontrer tes collègues ! » et que Feriel avait dû lui expliquer que le principal boulot du légiste était de fouiller les tripes tièdes des macchabés sur lesquels la Sœur devait enquêter.

Il s’était montré courtois, pour la peine, elle lui avait payé un verre. Et avait recommencé de temps à autre, surtout après la violente rupture avec sa fiancée. Elle voyait en lui un gars fiable, le genre sur lequel on pouvait se reposer au travail, qui ne parlait pas trop, et accomplissait sa tâche sans rechigner. En plus, il avait de bons goûts en termes d’alcool. Dans le privé, il n’était pas beaucoup plus bavard, et comme elle non plus, c’était sûrement pour cela qu’ils n’avaient jamais vraiment pu devenir très proches.

Eh puis, elle avait du mal à fermer l’œil sur le fait qu’il n’avait pas l’air d’avoir la lumière à tous les étages. Déjà, il parlait aux cadavres. Et ça, c’était pas très bon signe. Mais en plus, elle ne pouvait s’empêcher de le soupçonner de tremper dans deux trois trucs louches. Peut être parce qu’il était de l’apothicariat, ce qui la poussait toujours à avoir plus de suspicions que nécessaire.

Feriel, l’uniforme aidant, finit par obtenir la salle où le Légiste donnait ses cours ce matin-là.

«  Mais il n’aime pas être dérangé ! »

Piailla celui qui lui indiqua, et qui n’écopa que d’un « Je le dérangerai pas. ».
Décidément, tous ces gamins ne semblaient jamais avoir vu un prieur de leur vie. C’était vrai, elle venait rarement autre part que dans sa salle d’autopsie ou dans le bureau du Légiste, mais là, c’était une affaire particulière. Le genre importante, critique, et dans laquelle le Prince Egidio s’était déjà impliqué. Rien que cette pensée fit accélérer le pas à Feriel.

Après l’entraînement du matin, elle avait à peine eu le temps de passer se débarbouiller, mais avait conservé la même tenue : cuir près du corps, épée qui tapait la hanche, ses bras musculeux dénudés, laissant apercevoir une vilaine brûlure sur le côté droit.

La porte de l’amphithéâtre était close quand elle y arriva. Elle rabattit légèrement ses voilages en arrière, ses grosses boucles brunes venant mordre sur ses épaules, tant il faisait chaud, relevant le regard sur le porche.

Zolt serait vert si elle l’interrompait, et elle n’avait jamais eu l’intention de le faire, alors elle s’appuya simplement contre la pierre du couloir qui lui délivra un regain de fraîcheur.

Sans trop d’idée du temps qui passa, elle demeura ainsi, le cerveau en ébullition sous tous les maigres éléments qu’elle avait déjà, et avec lesquels elle se débattait pour tenter d’établir un semblant de suite logique.

Peine perdue vu l’avancement de l’enquête, et elle fut soulagée quand les grands battants de bois s’ouvrirent, et que les étudiants sortirent en petits groupes, détournant vite le regard devant la mine peu avenante de la prieuse.

Elle n’attendait qu’une seule chose, maintenant : que Zolt sorte de là, et la remarque. Il pourrait être surpris, mais pas mécontent, elle lui avait apporté du rhum pour qu’ils puissent discuter à leurs aises, même autour d’un cadavre ou deux.

Matinée banale, journée normal, salle de cours presque silencieuse. Ledit silence paisible simplement troublé par les quelques soupirs courroucés d’étudiants anxieux et le bruit des crayons sur les papiers. L’amphithéâtre tient lieu de salle de classe pour cette évaluation des plus mesquines, mais le Légiste n’est pas à son premier coup d’essai, et bien que de nombreux collègues le fustigent de cette pratique, les examens surprises sont l’une des spécialités du Docteur Zolt. Avec les dissections.

Il est toujours amusant de voir des jeunes tourner de l’œil à l’ouverture d’un organe de bête quelconque. Wilhelm éprouve une certaine hâte à proposer à ses étudiants une dissection d’humain.

Wilhelm arpente lentement l’estrade sur laquelle se trouve son bureau, sa mallette de cuir délicatement déposée à plat, de laquelle s’échappe quelques feuilles, ainsi qu’une chemise. Celle-ci contient tous les documents qu’a pu trouver le Docteur sur les affaires concernant les meurtres de la fête de la Vie. Si ses charmantes têtes blondes sont au courant, aucune n’a osé le questionner sur l’affaire, celles-ci n’étant pas avares de curiosité parfois selon les enquêtes en cours.

L’évaluation du jour n’était pas prévue, mais Zolt déteste de nombreuses choses, et par-dessus tout, la paresse. Entendre, alors qu’il fait son entrée dans la salle, certains étudiants se vanter d’avoir essayé divers alcool la veille, en lieu et place des révisions quotidiennes qu’il leur demande d’effectuer, a le don de mettre le Légiste en rogne.

Le pacte fut rapidement signé, et la décision prise.

« Jeunes hommes, jeunes filles. » Sa présence impose généralement le silence dans les rangs, mais sa voix et sa posture terminent le plus souvent le travail, les étudiants, presque au garde-à-vous sur leurs sièges, attendant que l’homme dont le travail est d’étudier les morts les abreuve de son savoir.

Arpentant son estrade, Zolt jouit presque de son effet, tant de futur candidat aux affres de la médecine, si peu souhaiteront être ses disciples, et encore moins réussiront à tenir la cadence infernale… Le dernier a tenu 9 mois et demi. Le dernier record en date, avant de se réorienter dans la médecine plus classique, et les greffes.




« Je… J’ai fait ses études pour utiliser mes mains en sauvant des vies Docteur, pas fouiller dans les entrailles de pauvres morts... »

Ce discours, Zolt l’entend plusieurs fois par années, et il ne peut pas leurs en vouloir. Qui peut se vanter de sortir de l’autopsie d’un gamin qui pourrait être notre petit-frère, retrouvé dans un état déplorable, indemne.

« Comment faites-vous ? Ça ne vous affecte pas ? »

Que répondre ? Des yeux auparavant débordant de rêves et d’espoirs, qui se brisent bien vite, laissant place à la froide méthode médicale. Tout n’est que savoir et savoir-faire. Pas de hasard, pas de « bonne étoile ». Zolt informe les jeunes recrues dès le premier jour, c’est à chaque fois un moment de grande déception pour les nouveaux arrivants. Palmer fait certainement son discours, mais Wilhelm possède sa diatribe personnelle.

Les nouveaux arrivants observent à chaque fois le Légiste entrer dans la salle avec ce mélange d’effroi, d’incrédulité et de scepticisme propose aux jeunes ayant entendu trop d’histoire. Oui Wilhelm Zolt est un homme qui plonge ses mains dans les entrailles des morts. Mais il ne possède pas de longs crocs, il n’est pas courbé comme l’on-ne-sait quelle créature maléfique. Et c’est un médecin.

« Tu sais... » Zolt avait appris à le tutoyer, ce jeune homme partagé désormais son quotidien depuis des mois. « Tu sais David… Notre travail est d’expliquer la mort des gens pour que le Prieuré puisse rendre Justice. Nous ne sauvons pas des malades, nous sauvons des innocents de barbares qui tuent. » Le jeune homme avait assisté aux prélèvements d’organes, il avait vu d’où provenaient les greffons. Il était au courant.

« Mais nous volons les morts… ! » Classique. La première fois Zolt a bien vu que le jeune homme était réticent au prélèvement, mais il ne peut pas lui en vouloir. Si peu comprennent les sacrifices à réaliser pour le bien de la ville.




Continuant d’arpenter l’estrade, Wilhelm Zolt est tiré de sa réflexion par une jeune femme éternuant. Celle-là même qu’il a entendu se vanter de soirées alcoolisées. La fustigeant d’un regard en coin, le Légiste en blouse blanche reprend sa diatribe.

« Jeunes gens. Saviez-vous que… J’adore le Rhum. »

Quelques rires qui se taisent bien vite, des sourires, des soupirs, des clins d’œil complices. Toujours ménager son effet.

« J’adore le Rhum, mais surtout le bon rhum. Et le vieux Rhum arrangé par excellence est pour moi le plus doux des nectars… Saveur miel noisette citron menthe, je vous le conseille. Je vous conseille de même le Tabor de l’Octo, si vous jamais vous avez à vous y rendre. La saveur de la tomate ajoute une certaine touche d’exotisme… Qui n’est pas à jeter. »

Des rires plus francs, des chuchotements, Zolt continue de déambuler sur son estrade, martelant le planché de ses talons, portant la main à son menton pour venir masser ses rouflaquettes, avant de se poster au centre du montant de bois, détaillant ses étudiants.

« Certains d’entre vous oublient une chose. » Il se pointe du doigt. « Le savoir que je vous offre, est connu et reconnu par tous les médecins de l’Apothicariat. Chacun ici connaît ce que je vous apprends sur le bout des doigts. » Le silence se fait, l’air se charge de tension, d’hésitation.

« La blouse blanche se mérite. La blouse blanche, que vous soyez médecin ou alchimiste, est la preuve de votre savoir, et de votre passion pour les Arts que vous offre à l’apprentissage l’Apothicariat... » Le ton se fait plus dur, plus cassant. « Si notre savoir ne vous intéresse pas, que vous préférez faire de fantasques beuveries sans avoir les bases. Rentrez chez vous. »

L’homme se détourne, saisissant une craie, il se met à rapidement dessiner sur le tableau noir le schéma d’un homme.

« La prochaine dissection sera celle d’un cadavre. » Soupire incrédule, exclamation de dégouts, plaintes. Tout ce que déteste Zolt. « Êtes-vous ici pour devenir médecins ? Ou vétérinaires ? Êtes-vous ici pour soigner vos pairs ? Ou pour parader avec une blouse ? Si le corps que vous êtes amenés à soigner vous dégoûtes, quittez mon cours. »

L’homme avait attendu quelques minutes, devant une salle aussi stupéfaite que subjuguée/

« L’anatomie d’un corps humain. Les principaux organes et artères. Vous avez deux heures. »

Ainsi fut scellé le pacte de l’évaluation surprise, et Zolt, observant les têtes blondes penchées sur leurs copies, ne put que se satisfaire de l’effet produit.

Les deux heures allaient bientôt sonner, et les documents présents dans l’attaché-case de Wilhelm Zolt sont pour une personne toute particulière. La veille, le Légiste a reçu une convocation de la part de Sœur Feriel, l’une des hautes têtes pensantes sur les enquêtes du Prieuré, et le Docteur se doute fortement de la venue d’une telle figure au sein de l’Apothicariat. Les affaires de la fête de la Vie. Ainsi il a pris soin de coucher sur papier toutes les informations dont ils disposent, permettant ainsi à l’enquêtrice d’avoir une trace écrite, et favorisant un gain de temps.

Après que la sonnerie annonçant le glas des étudiants ait retenti, laissant la salle se vider, Zolt récupère sa mallette et se dirige vers la porte à double battants, ayant aperçu, non sans un sourire sincère, une silhouette rouge l’attendant de l’autre côté, Wilhelm se trouve, après l’avoir franchi à son tour, face à la silhouette que certains qualifieraient d’austère de la Prieuse.

« Il est rare de vous voir parcourir les couloirs de notre chère université Sœur Feriel… Mais c’est toujours un plaisir de vous voir. » Simplement, le Légiste sourit franchement à la femme en rouge, la saluant d’un signe de tête.

« Où souhaitez-vous réaliser cette entrevue ? »

En le voyant venir, Feriel sourit à Zolt, tendant la main pour serrer la sienne, quoi que de l’expérience de la prieuse ce soit un exercice risqué, puisque les mains du Légiste pouvaient souvent être pleines de fluides humains ou autres substances ragoûtantes.

Elle lui rendit un léger sourire, captant sans mal les regards curieux des élèves qui passaient derrière eux, et qui tentaient d’entendre ce qui se dit, sûrement intrigués de connaître quelques bribes de l’affaire.

Elle ne leur ferait pas ce plaisir.

- C’est tellement rare que vous quittiez la Ville, Zolt, et il faut que ce soit à ce moment qu’un drame n’arrive juste à votre localisation ! Vous parlez d’une chance.

Commença-t-elle simplement, avec un souffle nasal amusé.

- Mais oui, oui, le plaisir est partagé. Je suis contente de vous revoir en un seul morceau.

Feriel asséna une tape amicale dans le dos du Légiste, avant de croiser ses mains dans son dos, l’observant d’un air un peu plus sérieux, baissant légèrement le ton.

- Vous savez pourquoi je suis ici, donc, vous avez bien reçu mon télégramme. On peut bien aller où vous voulez, votre bureau pourrait faire l’affaire, ou même ici…

Elle désigna l’amphithéâtre, à présent vide, d’un geste de la main.

- Tant que les oreilles de vos chères têtes blondes évitent de râcler les planchers à essayer de nous écouter.

La Sœur s’exprimait avec cet habituel ton brut de décoffrage, en bougeant à peine le reste de son corps, formidablement statique avec un flegme tout militaire.

Revoir Zolt atténuait un peu le malaise qu’elle ressentait de se trouver au sein de l’apothicariat. Il avait l’air encore plus vieux que dans son souvenir – quand ils allaient boire un verre, elle ne se privait pas de le lui rappeler souvent, qu’il prenait de l’âge.

Elle ne pouvait pas dire grand-chose non plus de son côté, en réalité. Si la chevelure de jais de la sœur n’était pas très prompte à grisonner, son visage se marquait progressivement de légères rides.

14 ans. Ça faisait 14 ans qu’elle connaissait le Légiste. C’est vrai, leur relation n’était pas ce qu’on pourrait appeler « proche », mais c’était un élément habituel dans le paysage, le genre indévissable, toujours sur la brèche.

Comme elle.

Parfois, elle se demandait si cela l’effrayait, ou si cela la rassurait, la manière dont ils étaient semblables, mariés à leur travail. Elle espérait simplement ne pas paraître aussi louche et perché que lui, parfois.

- J’ai amené du rhum sinon. Le genre que vous aimez.

Elle ne buvait pas en service. Mais rien n’empêchait Zolt de l’inviter à boire un verre plus tard – vu le prix qu’elle avait mis dans la bouteille, elle espérait bien qu’il le ferait, donc elle tenta pas une mimique, avec un demi sourire, de lui faire passer le message.

- Enfin bon, sauf si vous voulez directement me montrer les tripes des cadavres, je préfèrerais ne pas aller dans votre salle de malheur, et directement embrayé sur les questions pratiques – même si je sais que vous adorez vous donner en spectacle en découpant des gens, hm.

Elle s’était saisie de son vieux carnet, se tapotait désormais la joue du bout de sa mine de graphite.

- Toutes les preuves retrouvées autour me sont chères, par contre. Armes, poisons, la moindre pièce de tissu…

Il le savait, mais un petit rappel pouvait toujours valoir la peine, histoire de s’assurer qu’il ne soit pas trop rouillé après ses petites vacances.

L'attitude de Soeur Feriel peut parfois impressionner ceux qui n'ont pas l'habitude de la côtoyer. Mais depuis le temps, Wilhelm Zolt a appris à se contenter, voire même à apprécier le peu d'émotion qu'offre l'enquêtrice. Sa manière de directement rentrer dans le vif du sujet est quelque chose de foncièrement bénéfique aux affaires. La justice d'Excelsia a de toutes les manières besoin de cette rapidité, les Prieurs étant en charge d'interpeler les contrevenants, de rendre le verdict, et de l'appliquer.

Le Légiste est devenu, malgré lui, proche de la dame en rouge, au fil du temps. Les premières fois furent bien évidemment compliquées. Lui, débutant dans l'art délicat de la médecine mortuaire, et elle, n'ayant pas encore tous les réflexes de l'enquêtrice qu'elle est désormais. Des rares personnes dont le Docteur apprécie la présence, Feriel a cet avantage non négligeable lorsqu'ils se rencontrent…

Le rhum.

Wilhelm est un homme simple. Une discussion sur un sujet passionnant, et un bon verre du spiritueux le plus apprécié par le Légiste, transforme n'importe qu'elle morne journée en un moment d'exception.

"Je vous précède jusqu'à mon bureau. Mais depuis le temps, l'on pourrait presque dire qu'il s'agit aussi du votre." Soufflant un rire, l'homme s'avance en silence en direction de son bureau, arpentant aux côtés de la dame en rouge les longs couloirs de l'Apothicariat."Je ne dispose pas de grands éléments, vous vous en doutez ma Soeur." Tournant légèrement la tête, pour lui poser une question banalement. "Vous êtes aller voir le jeune Sigmund par hasard? Il a réalisé des prélèvements."

L'homme s'accorde un sourire entendu à la remarque de la Soeur sur le spectacle, avant de prendre une pause mélodramatique."Hélas ! Nous étions trop loin de la ville, et le transport des corps jusqu'ici ne pouvait avoir lieu en de bonnes conditions... Vous m'en voyez tellement navré." L'homme souffle un rire, dévisageant la dame du Prieuré.

Ce n'était pas totalement faux en réalité, Wilhelm Zolt ne détourne jamais le regard d'un possible apport d'organes à la réserve de l'Apothicariat.

Après quelques minutes de marche, le duo se trouve dans le bureau du légiste. Soupirant Zolt observe avec une certaine nostalgie les nombreuses planches d'anatomie tapissant les murs de son bureau. En permanence entourée de son savoir, le docteur a prit soin de classer finement toutes ses années d'études, les exposant dans une étagère vitrée, aux côtés d'organes flottant lentement dans des flacons de formolés. Sclapel, scies et autres objets indispensables à la dissection sont suspendu au mur, par-dessus une longue languette de cuir, prêts à être emballés.

Rejoignant sa table de bureau, Wilhelm Zolt pense à l'avancement de ses recherches. Le bois est jonché de feuille de note, s représentant moult dessins de cadavres disséqués, une écriture rapide ayant couché sur le papier des annotations précises, sur chaque parcelle de feuilles disponibles. Avec un froncement de sourcil, le légiste y jette un oeil attentif, frôlant du bout des doigts les dessins, laissant son esprit voguer avant de secouer la tête, se concentrant sur le présent.

Proposant un fauteuil à la dame de rouge, le légiste se laisse aller contre le dossier de son assise, soupirant avant d'ouvrir l'un des nombreux tiroirs de son meuble, tirant de celui-ci une petite boîte de bois. Déposant celle-ci sur le bureau, le Docteur la glisse en direction de Soeur Feriel, souriant finement avant de glisser par-dessus une pochette qu'il tire de son attaché-case."Je sais que vous aimez aller à l'essentiel, voici donc toutes les notes et observations que j'ai réalisées sur les cadavres à ma disposition sur place. Mais... Je ne suis pas alchimiste." Souriant plus largement, l'homme ouvre une boîte finement ciselée, de laquelle il en sort deux verres à fond plats.

"Donc, ce rhum ?"

Il y avait toujours une drôle d’impression dans le bureau de Zolt. Feriel s’y sentait à l’aise, avec cette impression de se trouver dans un lieu connu, en sécurité en quelques sortes.

Mais c’était aussi un endroit où elle avait dû souvent se rendre dans des circonstances navrantes. Pour le travail. Parce qu’elle tournait en rond, et qu’elle avait besoin du Légiste, et en soit c’était toujours une sorte d’échec.

La prieuse laissa son regard courir sur les murs, le petit univers du Docteur tapissait les environs, impossible de passer à côté de ses étranges passe-temps, ni de ne pas frissonner toujours un peu devant certains schémas qui faisaient étalage de trop de détails.

Feriel avait toujours trouvé que cette pièce était à l’image de Zolt : ordonnée, remplie de savoir, froide, et à la fois étrangement accueillante, familière.

Elle s’arracha à ces pensées malvenues pour prendre place, et écouter avec attention ce que le Légiste avait à lui dire. Apparemment peu, elle s’en était doutée, mais elle ne pouvait pas s’empêcher d’être déçue.

Elle saisit le dossier entre ses doigts, y glissant un regard, analysant avec attention les différentes notes, pendant plusieurs instants, coupée du monde.

La rage bouillonnait toujours, à bas bruit, au creux du ventre de la prieuse. Quatre de ses frères assassinés alors qu’ils accomplissaient leur devoir. Elle se plongea dans ses réflexions plus profondément que d’habitude, le cerveau déjà vibrant de possibilités et de pistes, à peine ébauchées.

L’amirale d’Excelsa… Qui aurait pu lui vouloir du mal ? A priori, beaucoup de monde, mais si près de la frontière, une nation étrangère, peut être... Une tentative drôlement bien organisée mais… C’était un peu gros, pourquoi pas un montage pour mal aiguiller les enquêteurs ? Car c’était folie d’attaquer excelsa, une figure si en vue, aussi directement. Quelqu’un devait manquer de jugeotte, mais on n’en manquait pas en étant capable de mettre tout ceci sur pied.

Et puis cette histoire d’incendie… Pourquoi avoir mis le feu à l’auberge ? Pour détourner l’attention des autorités sur ce point précis ?  La femme qui avait tenté de mettre fin aux jours de O’Fell était elle la même qui avait assassiné les prieurs ? Peu probable, mais combien étaient-ils, et quelle chance maintenant de les retrouver, si loin des lieux du crime ?

Apparemment un poison avait été utilisé. Une autre Sœur était aussi sur l’affaire, Feriel songea qu’elle était peut-être déjà allée voir l’alchimiste qui devrait en savoir plus sur la substance.

C’était central, comme indice, mais il y en avait un autre qui semblait tout aussi, voire encore plus important à Feriel.

- Quelle était l’arme du crime ? Vous pensez que c’est la même que tenait la femme qui a tenté d’assassiner l’Amirale ?

Fit-elle en redressant la tête, plantant son œil ambrée dans ceux du Docteur. Elle cilla, sans idée du temps qu’elle avait passé exactement à ressasser. Il était primordial qu’elle se détache émotionnellement de cette affaire, sinon elle allait recommencer à se miner la santé. Depuis l’explosion, on lui avait bien dit que son physique n’était plus aussi fringuant qu’à ses 20 ans.

Et si quelqu’un le savait bien, c’était Zolt.

Le regard de Feriel dériva vers les verres qu’il avait posé sur la table, et elle poussa un léger soupir, rangeant la paperasse avec une attention presque maniaque dans la chemise.

- Je ne bois pas en service.  

Quelle que soit son envie de le faire, elle se tenait scrupuleusement aux règles qu’elle se fixait.

- J’ai besoin que vous me parliez de l’arme du crime, du type de blessure qu’avaient reçu les prieurs, et surtout de la femme coupable, celle qui est morte, c’est son corps qui pourra nous en dire le plus… Vous avez eu le temps d’y jeter un coup d’œil, j’espère ?

Bien sûr qu’il l’avait fait, c’était forcé, il était trop méticuleux, elle ne pouvait pas l’imaginer négliger ses devoirs, pour… Pour quoi, d’ailleurs ?

- Qu’est ce que vous fichiez là-bas, Zolt, vous ne sortez jamais de la ville.

Cela ne sonnait pas comme une accusation, en tout cas pas aux oreilles de la Sœur. Mais sa tendance paranoïaque avait le don de la titiller, surtout sur une affaire de telle importance.

Elle observa avec son acuité naturelle son interlocuteur, sortant le rhum de sa sacoche, et le posant sur la table devant elle.

Le liquide était d’une alléchante couleur de miel, dans une bouteille solide sans fioritures. L’un des préférés du Légiste, Feriel le savait bien.

Si ça ne lui déliait pas la langue, rien ne pourrait le faire.

Tandis que Feriel analyse son dossier, le Légiste se laisse lentement aller contre le dossier de son assise, observant sans être intrusif la Prieuse à l’œuvre, se demandant quels questionnements peuvent bien agiter sa cervelle. Mais hélas, ou tant mieux pour lui, depuis les années passées à se côtoyer, Zolt commence à comprendre légèrement le cheminement des pensées de la dame en rouge. Une logique implacable alliée à une motivation sans faille, et une rage de la vérité sans bornes.

Les questions fusent, comme prévu, mais le Rhum tarde à montrer le bout de son nez. La dame ménage son effet et sait y faire, Zolt ne peut lui retirer ça. Elle a toujours su tenir en haleine le Légiste, dans le travail comme dans le privé. De bons souvenirs lui reviennent en mémoire, reliquat d’un passé et de soirées agréables en compagnie de la Prieuse. Un passé, et Zolt l’espère, un futur qui tranche quelque peu avec la morbidité du quotidien.

Saisissant avec une précaution toute particulière la bouteille, une lueur de tendresse et d’affection dans le regard, autant pour le réceptacle de la tant espérée liqueur, que pour Feriel, dont l’attention va droit au cœur du Légiste, Wilhelm Zolt serre donc deux verres, remplissant l’un trois fois plus que l’autre, déposant le moins garnis devant la Prieuse, goguenard, un sourire enfantin sur les lèvres.

« Voyons Fériel. Depuis le temps, ce bureau est un peu le vôtre, certes. Mais c’est aussi un peu votre « chez-vous » … Et chez-soi on trinque ! »

Levant son verre, le Légiste s’enfile une rasade de liqueur digne des derniers piliers de bar du Discrit de la Borée. Une rasade de courage pour affronter l’entretient qui va suivre. Bien qu’ayant de l’affection pour lui, Wilhelm sait sœur Feriel implacable dans sa traque de la Justice, et dans une affaire où quatre Prieurs ont trouvé la mort, mieux vaut ne pas trop jouer avec sa patience, c’est pourquoi il se redresse et croise les mains sur son bureau en reposant son verre, devenant aussi sérieux que possible. La dame en Rouge est connue au sein de l’Apothicariat pour avoir fait tomber Siritsa, mieux vaut qu’elle ne fouine pas d’avantage.

« Concernant ma présence inopinée à Viminal, et bien vous seriez surprise d’apprendre que c’est là-bas que réside le Docteur Lisbeth Paranez, ex-Légiste de la Ville, et donc, par corolaire, mon mentor. Voilà pour ma présence dans cette pauvre bourgade, dont l’on m’a vanté les termes, mais où je n’ai pas pu y mettre les pieds, si ce n’est pour ausculter votre jeune femme.

Parlons-en d’ailleurs. » Zolt se sert machinalement un autre verre. « Rousse, athlétique. Très athlétique. Les muscles étaient entretenus. Hélas mais aussi tant mieux pour nous, l’Amirale était mieux préparée. J’oserais dire qu’elle n’a pas souffert, mais ça nous importe peu. O’fell lui a littéralement broyé la trachée. L’on peut aussi noter un hématome cérébral, et des chocs à l’arrière du crane net et rectiligne. Au vu des traces retrouvées le long du bassin, je suppose que notre dame Blanche a cherché à assommer son opposant sur le carrelage ? Les poumons étaient plein d’eau donc la noyade a fini d’achever votre femme. »

Zolt se penche pour ouvrir un tiroir duquel il sort une enveloppe fine, dans laquelle un mince objet rectiligne se trouve. L’ouvrant et déposant le contenu sur la table, le Légiste commente simplement.

« Elle avait cette arme sur elle. »

Nouvelle inspiration. Le cœur du sujet approche. Courage Wilhelm, pour la Ville.

« Concernant les Prieurs. » Toussotement gêné, nouvelle gorgée d’alcool. Serait-ce du miel ? Feriel dans le privé est une femme très intéressante… Mais Feriel en uniforme…

« Les Prieurs donc, ont été empoisonnés. Pas de plaies apparentes sur la surface du corps. Ils ont donc dû ingérer la drogue ou le poison. Boisson ou autre. Le poison a coagulé le sang, ce qui a provoqué une embolie pulmonaire, un bouchon dans les vaisseaux des poumons si vous préférez. Le sang ne circule plus. Il y a trop de pression donc il sort dans les poumons, d’où la mousse rosée que nous avons pu observer sur place. Je vois venir votre question. Oui nous utilisons ici pareille drogue, à faible dose elle permet à nos chirurgiens d’endiguer une hémorragie lors d’une opération, et elle est utile pour les personnes souffrant de troubles de la coagulation. Le principe actif que nos… Alchimistes isolent, provient du venin d’une vipère de Suran. L’on peut s’en procurer n’importe où…
Un verre peut-être ? »

Il est temps d’aborder une notion encore passé sous silence. Une notion qui questionne le Légiste autant que la magie de la Douleur des Prieurs, que l’Alchimie et que Kemeth. Zolt tousse à nouveau, s’humectant les lèvres pour annoncer ce qu’il n’aurait jamais supposer dire.

« Le cadavre… Se désagrège. Il tombe en poussière. Depuis son arrivée ici, il… Il ne pourrie pas. Il se disloque. Je n’ai jamais vu ça. »

Nouveau verre. L’alcool monte et fait son effet, mais le plus dur est dit.

« Dès que j’effectue un prélèvement, le processus s’accélère sur la partie qui se sépare du corps. C’est stupéfiant. Et très salissant. »

Feriel nota rapidement les remarques du Légiste, en une série de signes qui lui permettaient une prise écrite la plus efficace et brève possible.

La première réplique de Zolt tira un sourire à la femme, qui roula de son œil unique, d’un air faussement excédé. Mais son contentement fut de courte durée avec ce qui suivit.

O’Fell semblait avoir été très efficace pour éliminer la vermine qui s’en était prise à elle, une femme d’autorité, vraiment.

Entre ses longues mains osseuses, Feriel récupéra l’arme que lui remit le Docteur, la faisant tourner sur elle-même de ses doigts, observant chaque finition, chaque petit détail, d’un œil acéré.

Rien à noter de bien intéressant, si ce n’était que c’est le genre de stylet utilisé par les gens qui souhaitaient demeurer coquets tout en étant bien protégés. Parfait pour se glisser dans les bains, l’arme glissée dans le chignon, faisant croire à une aiguille.

Parfait mais classique. Rien de bien intéressant là-dedans.

Quant à la mort de ses frères et de ses sœurs… la prieuse ferma à demi la paupière, affligée. Les circonstances du décès étaient épouvantables, et même si ce n’était pas vraiment son genre de donner dans le sentimentalisme, elle éprouvait une vive empathie quant à leur sort. Assassinés sans même pouvoir se battre, abattus avec lâcheté.

Depuis les années qui avaient passé, Feriel ne croyait plus vraiment à l’honneur, c’était un fantasme un peu utopique. Mais ces prieurs et ces prieures méritaient mieux. Bien mieux que d’être tués comme des rats.

Et pour quoi ? Une auberge brûlée, une amirale sauve. La bonne affaire.

Au moment où Zolt évoqua l’étrange état du cadavre, Feriel se figea dans sa contemplation de l’arme.
Elle connaissait la magie de la douleur, sans jamais avoir souhaité approfondir le sujet, et avait conscience que certaines forces dépassaient la compréhension des mortels, tout en sachant que l’esprit pragmatique du Légiste devait avoir un mal fou à digérer cette information.

Quant à elle, elle la pesa, et la classa, avec toutes les autres : rien qui faisait avancer l’enquête. Pour le moment. On en était qu’au tout début.

Donc, sûrement était-ce, soit une substance alchimique quelconque, soit quelque chose qu’on avait fait à ce corps, voire que cette rousse s’était infligée elle-même. Qui sait ? Ce n’était pas le boulot de Feriel de savoir ce genre de choses, mais…

De nouveau, son regard se porta sur Zolt, le dévisageant avec cette manière insistante et exigeante qu’elle avait toujours de regarder autrui, le visage encore plus fermé qu’à l’accoutumée, son nez en bec d’aigle et ses sourcils froncés lui donnant le désagréable aspect d’un rapace.

C’était son travail à lui. Et il n’était jamais aussi frustré que quand il ne parvenait pas à l’accomplir. S’il ne pouvait rien dire de plus, elle savait pertinemment que ce n’était pas par paresse. Il était réellement bloqué.

Un soupir échappa à la Sœur, alors qu’elle posa stylet et carnet sur le bureau, et attrapa le verre de rhum, simplement pour y tremper ses lèvres. Un peu pour faire plaisir un Zolt, un peu pour détendre l’athmosphère, beaucoup pour s’occuper les mains.

C’était compliqué, plus compliqué que ça ne semblait l’être au départ. Il lui faudrait sûrement tout son zèle, et toute sa patience pour dénouer tous les nœuds de cette affaire-là.

- Je suis conscience de votre frustration, Zolt.

Fit-elle, sans même qu’il l’ait vraiment évoqué.

- Et vous connaissez la mienne en cet instant. Vous ne pouvez pas avancer sur votre autopsie, je ne peux pas avancer sur mon affaire…

Feriel posa ensuite ses mains sous son menton, y reposant sa tête, ses traits ayant emprunté un air songeur.

- Un poison de Suran. Une arme de la région vers Prinn et Atlas – faites moi confiance, j’en ai déjà vu de similaires. Une tentative d’assassinat près de la frontière. Un processus bizarre qui nous arrache des preuves… Bon.

Devant lui, elle ne craignait pas à dérouler sa pensée, il était même assez doué pour réussir à la compléter.

- Si je voulais aller vite en besogne, je dirais que le poison est quand même bien suspect, mais Suran demeure un carrefour commercial… quelqu’un de fortuné aurait très bien pu le faire importer de là-bas. L’arme est trop répandue pour avoir grande valeur. Comprendre le procédé qui est à l’œuvre sur cette femme, par-contre… C’était sûrement un simple mercenaire, à moins qu’elle ne soit membre d’une organisation, d’une nation, au sens large du terme. Je ne peux pas m’avancer pour le moment, et je ne souhaite pas faire de spéculations hâtives.

Elle saisit de nouveau les notes qu’il lui avait tendu, les éplucha encore pendant plusieurs minutes, avant de passer sa main dans sa crinière foisonnante, en pleine impasse.

- Quelqu’un a fait des relevés au niveau de l’auberge ? On sait ce qui y a mis le feu, peut être une substance spécifique ?

La prieuse pesa ses prochains mots avec attention, sachant que ce qu’elle allait demander n’enchanterait pas Zolt, et que cela lui déplaisait autant, voire plus, mais il fallait bien s’y résoudre.

Comme à chaque fois qu’elle faisait des propositions un peu ardues, elle préféra changer de dénomination, manière plus directe de l’apostropher.

- Wilhelm, j’ai besoin de ces réponses. Est-ce que vous auriez un collègue alchimiste à nous conseiller pour débrouiller cette histoire ? Si le corps est bientôt perdu, il faut faire vite. Je ne veux pas voir cette opportunité nous filer sous le nez.

Laissant l’Enquêtrice a ses ruminations et pensées, le Légiste s’adosse contre le dossier de son fauteuil pour laisser libre court à son intellect. Les enquêtes ne sont pas son domaine, le Prieuré ne le contacte que lorsque les hommes et femmes de rouge sont bloqués sur une affaire. Wilhelm arrive alors, équipé de sa blouse blanche et de ses instruments, coupant et dépeçant les cadavres pour trouver solution à offrir aux Prieurs, leur permettant bien souvent de résoudre des enquêtes au point mort.

Zolt connait et devine aisément que le peu d’informations qu’il a à offrir à la dame de rouge ne lui convient pas, et n’est pas suffisant pour avancer dans une enquête, mais son questionnement sur la mise à sac de l’auberge lui rappelle un souvenir en mémoire. Mince détail qui peut expliquer la rapidité de propagation des flammes ? A la Sœur d’en décider.

« Concernant l’auberge, il me revient un détail. » Se redressant, le Légiste de la Ville fait face à l’une des meilleurs Enquêtrices d’Excelsa. « Feriel, je suppose que vous vous souvenez de nos moments à l’Octo… » Une phrase anodine, Zolt connait la curiosité de la Sœur lorsqu’elle enquête, et si quatre de ses frères et sœurs sont empoisonnés lâchement, comme il vient de lui apprendre, trop trainé en longueur transformerait ce tendre souvenir en un interrogatoire horrible. Et la Prieuse sait y faire…

« L’Octo donc. La tenancière était présente. Elle aurait repéré une caisse d’armes, et je suppose de munitions. Mais nous n’avons pas creuser cette déclaration sur place. Le jeune alchimiste présent avec elle ce soir-là, déjà questionné par votre consœur, a dû vous en dire plus à ce sujet. Et… Winifred c’est son nom il me semble ? Pourrait vous renseigner sur le contenu. Autrement, de mon point de vue extérieur, et n’étant pas ingénieur et spécialiste des armes à feu et explosif, je pense pouvoir supposer que l’importance du feu de l’auberge est dû à ce charmant chargement. »

Toussotement gêné, nouvelle gorgée de rhum. Les contours de la vision deviennent flous. L’ivresse augmente. L’ivresse au travail ? Dans l’état que se trouve le corps de l’assassin de l’Amiral, le Légiste s’accorde cet excès. Lui qui adore la logique et la science, il pose son regard sur la Prieuse.

Zolt a toujours apprécié Fériel, et le fait qu’elle n’ait pas suivi la formation de Vicaire jusqu’au bout y est pour beaucoup. Se faire mal pour se… Déplacer… ? Se téléporter ? Une « magie de la douleur » ? Sans la moindre explication scientifique et biologique. L’enquêtrice se doute bien que l’état du corps met en rogne le Légiste, et celui-ci se doute bien qu’elle cherchera quand même des solutions… Mais osera-t-elle lui demander ?

« Fériel. » Léger dodelinement de la tête. Le monde commence à tanguer quelque peu, mais Wilhelm se resserre un verre. « Je ne veux pas jouer à l’apprentie enquêteur. Mais si j’ai à tuer quelqu’un… Vais-je utiliser la spécialité de mon pays pour ainsi donner une piste sur l’auteur à toute la population ? Ou bien je le fais pour que justement ils aient cette pensée… Mais alors… C’est un cycle infini. »

Aïe. Au moment même où Fériel l’appel par son prénom, Zolt sait qu’il n’aimera pas les prochains mots. Il la dévisage avec de grands yeux surpris. Presque déçus ? Non il ne se formaliserait pas pour si peu et elle le sait. Mais quand même ! Lui demander à lui l’aide d’un alchimiste… Profond soupir de lassitude et de frustration.

« Nous avons bien le jeune Von Einzbern. Bien que jeune son expertise dans le milieu de l’alchimie n’est pas mauvaise. Et je suppose qu’il sera plus amène de nous répondre. Je vous avoue que tout ceci me dépasse… »

Silence gêné, nouveau verre. Il n’a pas réellement envie de terminer l’entrevu, mais son expertise n’est pas très utile en l’état.

« Autre chose ? »