]« Zaira ? Zaira Pichado ? C’est quoi comme nom ? _ Chut ! Tu vas la réveiller ! Montre-moi ça ! » Ce sont les mots les plus anciens dont je me souviens. C’est Tia et Menke qui m’ont trouvée sur la côte. En tout cas c’est ce qu’ils m’ont raconté et j’ai aucune raison de ne pas les croire vu qu’ils se sont occupés de moi depuis que j’ai 10 ans. Enfin, si c’est mon vrai nom et mon vrai âge du coup. Parce que la seule preuve de qui je suis c’est un extrait de naissance à peu près épargné par la mer et puis mon violon. Y a marqué mon nom dessus, enfin sur la mentonnière. Alors je sais pas et Tia et Menke non plus, comment je suis arrivée là avec mon fourbi. Menke est pêcheur et d’après lui, y avait pas eu de tempête dans le coin les derniers temps. Il y avait bien d’autres débris sur la côte comme s’il y avait eu un naufrage mais pas d’autres survivants ni même d’autres corps. Ca fait longtemps qu’on croit pas aux monstres marin par ici.
Alors depuis que j’ai dix ans, je fais marcher mon imagination. J’ai été confiée à la mer par des parents qui se sont sacrifiés pour moi, mon bateau a été coulé par des pirates, ou encore, des gens d’ici ont pas voulu me garder et m’ont abandonnée au hasard de la côte. En tout cas je parlais la langue d’Excelsa quand je suis revenue à moi. Faut dire que j’ai un drôle d’accent qui fait rire les gens, parfois méchamment pour me faire comprendre que je suis pas à ma place, mais la plupart du temps c’est plus l’exotisme qui fait rire, je trouve que c’est bienveillant et de toute façon j’y peux pas grand-chose. Ca serait pas mal que ce soit ce scénario, parce que sans doute je ressemble à quelqu’un que je pourrais croiser au coin d’une rue. C’est pas que ça mine ma vie mais de temps en temps je pense à mes vrais parents, je veux dire mes parents biologiques. Je me demande s’ils sont vivants ou pas, riche ou pauvres, artistes ou pas.
Parait que je suis restée inconsciente trois jours. Ils ont bien cru que je n’allais pas survivre, mais je dois avoir la vie bien chevillée au corps. Je me souviens aussi que je ne me souvenais plus de rien même pas de mon nom alors mes souvenirs il a fallu que je me les fabrique. C’est bizarre comme on est capable de se reconstruire un passé rien que parce qu’on pense que ça a pu se passer comme ça ! Tia et Menke, je les appelle comme ça parce qu’ils ont jamais voulu se faire passer pour mes parents, mais pour de vrai, ce sont mes parents. Enfin, bref, ce qui les a le plus impressionné c’est que la seule chose dont je me souvenais c’était jouer du violon et me trémousser partout en même temps. Lire c’est revenu plus tard parce que dans notre monde les livres et même l’écrit c’est pas monnaie courante.
C’est dans une masure de bloc de granit mal équarris et arrachés à la côte qui protège le port que j’ai donc grandi. Le chaume du toit devait être remplacé souvent à cause du sel des embruns maritimes, mais nous gardait au chaud. Souvent, quand le vent soufflait dans la mauvaise direction, la fumée de la petite cheminée envahissait notre chez-nous et nous donnait l’odeur du boucan. Le seul avantage de cette misérable demeure battue par les vents du large était son puits d’eau douce, denrée précieuse s’il en est. Nous en savons assez le prix pour ne pas nous vanter de la chose ni la gaspiller. Pour le reste, notre vie n’était pas très différente du reste du peuple, lampe à huile en période de faste et chandelle de suif le reste du temps, les soirées étaient courtes pour économiser la lumière et les repas frugaux, constitués d’un peu de poissons lorsque la pêche avait été bonne mais souvent du gruau du peuple.
Notre lot c’est de travailler dur pour vendre le poisson que papa ramène de la pêche et de ravauder les filets. Au marché et à la criée, il y a toujours des gars qui viennent. Maman leur met une bourse dans la main. Je n’ai compris que plus tard ce que cela signifiait. Je suis longtemps restée une oie blanche. Lorsque j’ai appris, j’ai fait une scène à mes parents. Comment pouvaient-ils accepter ? Et les patrouilles ? Les milices ? A quoi servaient-elle ? J’ai soudain appris la corruption et la loi du plus fort. L’injustice et l’amertume des faibles.
J’étais pas vraiment habituée à ça, vu comme mes mains ont souffert au début et pas que mes mains. Au fil des saisons les froides comme les chaudes venteuses et même tempêtueuses, j’ai appris à supporter les changements de climat, les blessures et les maladies. Je crois que peut-être avant mes parents du début, devaient être assez aisés pour que je sache lire, jouer du violon, et pas faire des trucs avec mes mains… Mais aujourd’hui, ça me parait naturel d’aider Menke et Tia. Je dis ça maintenant que j’ai dix-huit ans, parce que j’avoue vers mes douze ans, j’ai commencé à devenir une vraie peste quand je trouvais qu’ils ne me laissaient pas assez de liberté. Je me suis sauvée plus d’une fois pour aller écouter les concerts en resquillant. Je me faisais toute petite pour pas qu’on me remarque. Blottie sous la scène ou sous les bancs au risque de recevoir des coups de pieds, je ne manquais pas un air ni une mélodie, fermant les yeux pour fixer à jamais les merveilles que seule la musique pouvait créer. Quand Menke me mettait la main dessus, ça volait bas et j’avais encore plus la rage alors je les traitais de tous les noms et je leur criais que c’était normal qu’ils aient pas eu d’enfants parce qu’ils le méritaient pas et qu’ils avaient été bien contents de me trouver pour me réduire à l’esclavage. Ils n’avaient rien fait pour retrouver mes vrais parents parce que ça les arrangeait bien. En général j’en prenais une de plus, mais c’était pas grave parce que Tia pleurait et que ça me faisait du bien. Et puis je m’enfuyais encore et toujours pour jouer tout ce que j’avais glané dans mes fugues précédentes, pour danser avec le vent du large, avec les arbres ou les herbes folles.
Donc, mes nouveaux parents avaient tout de même décidé de me garder. Les pauvres ne savaient pas encore ce que j’allais leur faire endurer… Ils auraient pu me confier au prieuré ou je ne sais pas mais même s’ils ne roulaient pas sur l’or, ils m’ont gardée. Faut dire que la fertilité n’avait pas trop pris de place dans leur vie et qu’ils n’avaient eu qu’un enfant mort-né et depuis plus rien. J’essaie de dire ça avec détachement mais ça me pince le cœur à chaque fois parce qu’ils sont des parents modèles et que c’était pas juste de leur faire ça, d’où que ça vienne. Je devrais me réjouir de ça parce que sinon je serais peut-être pas là à vous raconter ma vie. Et donc j’ai grandi entre eux et mon violon. J’ai bien fait connaissance avec les autres enfants du district, mais ils avaient déjà leur connivence et moi je parlais que de musique et pas de bateau ni de prieur. Alors pendant qu’ils allaient courir à droite et à gauche, moi je travaillais mon instrument et mon corps. Au début je jouais que pour mes parents et puis Menke m’a demandé de faire un truc pour le mariage d’un camarade pêcheur. J’ai passé les jours qui ont précédé à réviser tous les morceaux que je connaissais, à inventer les pas qui irait avec leurs rubans enchantés.
Je ne sais pas pourquoi on m’a demandé ça et je me souviens de ma paralysie avant le premier morceau mais aussi des lumières dans les yeux des gens à la fin. On était arrivé à la nuit tombée, moi tenant la main de Menke dans une robe qu’une harengère avait prêtée à Tia. Je me sentais tout sauf une artiste, tout sauf à mon aise. Pourtant, personne ne paraissait descendre de la haute. Les visages burinés et les mutilations trahissaient le travail de chacun. Ouvriers et pêcheurs, petits artisans riaient au bonheur des mariés. Quelques-uns parmi les plus « chanceux » des déglingués de la vie arboraient leur prothèse, qui d’une main qui un côté du crâne. Chacun m’exhibait les souffrances que la vie leur infligeait et me renvoyais celles de mes parents dont je ne m’étais jamais rendu-compte et qui m’explosaient soudain au visage. Quel âge avaient-ils pour de vrai ? Jusqu’à quel point la vie les avait-elle usés. La trame était-elle encore solide ? Au moment des applaudissements du haut de mes treize ans que si je pouvais apporter quelque chose au gens ce serait en jouant.
Ça a été le début des concerts. Je me vante un peu mais les bistrots et tous les endroits qui me laissaient jouer voyaient leur chiffre augmenter et puis j’adorais ça. C’est comme un virus dont on ne guérit pas. Même le trac d’avant concert, devient un ami, la promesse de la communion avec le public, celle de voir briller leurs yeux et plus j’avais du succès, plus je travaillais pour jouer et présenter des morceaux de plus en plus beaux. Et puis petit à petit, je devais avoir 15ans, les improvisations sont venues et sont allées de soi. C’est venu en croisant le regard des gens dans l’assistance, sûrement que je devenais assez à l’aise pour ne plus être repliée sur le fil de mon numéro, et les notes se sont envolées pour répondre à leurs pupilles, à leur air heureux ou soucieux, leurs mines ravie ou amère. Je voulais leur dire que je les comprenais et que… Je n’étais pas certaine que ce soit vrai parce que, ici on est tellement cerné par le pouvoir, la pègre le travail et les croyances, qu’il n’y a qu’une petite utopiste dans mon genre comme dit Tia pour le croire. Mais je leur jouais et je dansais quand même que les choses pouvaient changer. C’est peu après que j’ai rencontré Mathé Mustaï. Ou plutôt c’est peu après ça, qu’il m’est tombé dessus. Je rentrais épuisée comme après avoir tout donné. De toute façon, on ne peut pas faire autrement que de tout donner.
« Hey ! La violoniste ! C’est vraiment bien ce que tu fais »
Personne ne m’avait interdit de parler aux étrangers, mais je trouvais un peu suspect d’être abordée ainsi aussi je continuai mon chemin sans répondre ni même tourner la tête vers la voix qui m’interpelait.
« T’es plus discrète dans la vraie vie que les planches ! Ça te dérange qu’on discute ? Parce que je veux dire, tu pourrais aller loin avec ton talent, faudrait que tu bosses et que tu trouves un maître pour te guider… »
Forcément, en mettant le doigt sur mes rêves, ça avait fini par ne plus me déranger… C’était un petit rouquin au regard malicieux mis comme une sorte de coureur des rues, du genre à vous embobiner en trois mots. Un acteur quoi.
« Et tu penses être cette personne ? _ Sans doute pas, quoique… Sur la musique je ne peux rien pour toi mais pour ta mise en scène et le conseil de ce qui peut fonctionner avec le public pourquoi pas ? Après à toi de te créer tes opportunités… Aide-toi et les princes t’aideront. »
Les princes ! Je ne comptais pas sur eux pour me permettre d’atteindre mon but. Je haussai les épaules.
« C’est ça ! Les princes ! t’as déjà vu qu’ils s’intéressaient au bas peuple toi ? _ Tu n’en sais rien. Le nouveau au conservatoire, il a assoupli le système de bourses. On dit qu’il envoie également des gens à lui dans les quartiers ouvriers pour offrir aux nôtres l’opportunité se trouver peut-être une place dans les arts. C’est un musicien. Ça devrait te parler. En tout cas ça te donne un but et si tu es déçue, tu auras au moins travaillé pour quelque chose. _ Mais pourquoi tu t’intéresses à moi toi d’abord ? Tu as quoi à y gagner ? _ Hum… J’avoue qu’il faudra que je me penche sur la question… Mais plus sérieusement, ça fait plusieurs fois que je viens te voir et vraiment c’est impressionnant ce que tu fais. Ce serait dommage que l’humanité passe à côté de ça. »
On s’était revu, toujours en terrain neutre et on avait discuté musique art, mise en scène, enchaînements et même Académie. Petit à petit on est devenu très complices. Il venait me voir en répétition c’est-à-dire sur une terrasse en contrebas de la falaise, plus ou moins à l’abri du vent. Il suffisait que je le regarde pour savoir ce qu’il pensait de ce qu’il venait de voir ou d’entendre. Je devais bien admettre que j’y trouvais mon compte et mes spectacles aussi. Mathé… Vingt-six ans, le métier d’acteur n’avait pas voulu autant de lui que lui du métier d’acteur, mais il n’en gardait aucune amertume. Il était resté dans le milieu du spectacle et disait-il, j’étais son diamant noir. Ça me faisait rire à chaque fois mais ça me faisait un plaisir immense et me donnait encore plus de cœur à l’ouvrage.
J’ai forcément fini par ramener quelques pièces à la maison, ce qui ne faisait pas de mal et même que j’étais assez impressionnée de ça. Je ne pensais pas que c’était possible. Moi qui jouais et dansais pour le plaisir des gens, je découvrais qu’ils étaient prêts à payer pour ça. Mathe connaissait pas mal de monde et d’endroits qui voulaient bien me laisser ma chance.
« Ecoute, m’avait-il dit, On va commencer par des lieux faciles et petit à petit on pourra faire monter la sauce si tu parviens à te faire une réputation. »
Et c’était vrai que le bouche à oreille semblait fonctionner. Moi qui me contentais de quelques planches à même le sol, callées sommairement pour avoir une surface à peu près plane, je me retrouvais dans les salles de moins en moins miteuses avec petit à petit des rideaux et des éclairages. Evidemment qui disait nouveaux moyens disait nouveaux spectacles. Je ne ménageais pas ma peine. Dès que le travail de la maison était terminé, je filais travailler avec mon complice. Evidemment, lavage et grattage du bateau, ravaudages des filets, rinçage des nasses et démêlage des lignes me prenaient plus de temps que je ne le souhaitais. Alors, je devais bien faire de concessions. Répétitions le soir et donc moins de spectacles, mais Mathé l’avait dit : « Pas la peine de présenter un truc bancal. » Heureusement, on trouvait maintenant toujours un endroit abrité pour répéter.
Pourtant au lieu de rendre fiers mes parents je me suis vue interdite de sortie et de concert. Ebahie, je ne comprenais pas cette décision. C’était comme s’ils découvraient que je faisais des représentations. Mais le virus s’était transformé en addiction et au lieu d’obéir à cette règle inique je me suis mise à jouer dans la rue en plus de me sauver pour assister ou donner des concerts ou répéter avec Mathé. Lui non plus n’était pas trop d’accord. « Bon sang Zaira ! Tu te gâches ! Comment feras tu payer les gens après avoir joué dans le rue ? »
Le raisonnement se tenait, mais justement il y avait tout ceux qui ne me connaissaient pas ou qui ne pouvaient pas se payer de place même si le prix en était modique, enfin, c’est toujours ce qu’on croit quand fait payer les autres et j’avoue que si j’appréciais de me rendre utile pour mes parents je n’étais pas très à l’aise avec le concept d’art payant, même si celui qui était devenu maintenant mon ami avait clos le débat une bonne fois pour toute : « Chacun fait ce pour quoi il est mis en ce monde et est payé en échange. Toi tu donnes du rêve aux gens c’est normal que ça soit reconnu. Si tu ne peux pas vivre de ton art comment pourras-tu leur en faire profiter ? » D’ailleurs, il prenait sa part de nos petites recettes. Moitié moitié ne ma paraissais pas scandaleux.
Du coup, je savais pertinemment que me produire dans le rue était interdit par mes parents et désapprouvé par Mathé. J’avais juste transformé ça en « interdit de se faire prendre » par l’un ou les autres. D’ailleurs je n’avais pas compris pourquoi c’était interdit par Menke et Tia. Je ne faisais de mal à personne et les forces de l’ordre s’en tamponnaient. C’était un caprice d’adulte pour garder la mainmise sur moi !
Pas question que j’abandonne mon rêve et je continuais à retrouver Mathé pour répéter et à jouer partout où je pouvais comme une morte de faim. Un jour de crise plus forte que les autres, j’ai cru que ce serait la fin de tout. J’avais si bien fait que Menke a saisi mon violon pour le fracasser sur la table. Nos regards se sont croisés. Il l’a reposé et est sorti. Moi j’ai pris mon instrument et je l’ai vite rangé dans le coffre sous ma paillasse dans la pièce commune. Tia et Menke ont une chambre minuscule, presqu’une alcove, mais la maison est pas plus grande que ça. Elle, elle a déposé le repas sur la table et est retournée dehors reprendre les filets. Alors je suis sortie moi aussi avec mon violon sous le bras, le cœur gros comme ça, prête à dévorer le monde et à jouer mes plus beaux morceaux. Je me suis installée à un carrefour et j’ai joué, joué, joué et dansé comme jamais. Menke est arrivé en même temps que cette bande de brutes et m’a poussé dans la rue adjacente en me criant de courir. Il s’est laissé emmener par ce gang. J’ai couru à perdre haleine à la recherche d’une patrouille. Mon père est en danger, il faut le sortir de là ! Je m’accroche à l’officier qui commande la patrouille, il me repousse violemment je tombe au sol et mon violon glisse dans la poussière. Je me relève et repars à la charge, barre le passage, crie, supplie, invective. Cette fois je reçois un coup de crosse ou de hampe je n’ai pas eu le temps de voir et je m‘écroule, je tente de me relever la poussière se teinte de rouge et la rue devient floue. Tout tourne autour de moi, tandis que la patrouille disparait au coin de la rue. On me remet mon violon dans les bras et je marche de mur en mur. Je me souviens avoir erré dans les rues à la recherche de Menke. Quand je l’ai retrouvé, il était assis recroquevillé contre un mur la tête en sang, son oreille dans la main. J’ai arraché ma manche pour lui envelopper la tête et je l’ai trainé à l’hospice sous le regard indifférent des passants.
La première chose qui m’a frappée fut l’odeur. Si on ne sait pas ce que veut dire sentir la mort il n’y a qu’à aller à l’hospice. Là s’entassaient tous les oubliés de la société. Bien plus oubliés que nous. Le personnel s’affairait sans organisation apparente entre les brancards, les lits et les éclopés qui arpentaient les couloirs et les réduits d’attente, en béquille de fortune ou en fauteuil à roulette. Les linges sales maculés de miasmes et de sang débordaient de panières lèprosées tandis que les gémissements de douleur ponctuaient les quintes de toux des tuberculeux. Mon père croisa mon regard et nous avons fait demi-tour. A la maison je’ l’ai veillé pendant trois jours durant lesquels il a lutté contre la fièvre. Tout ça, était ma faute. Mathé est venu aux nouvelles, bien qu’il ne soit pas vraiment en odeur de sainteté. Il s’inquiétait sincèrement pour mon père
« Tu ne pouvais pas savoir » m’a souri ce dernier lorsqu’il est sorti de sa torpeur. « Et puis il me reste l’autre pour t’écouter jouer. J’aurais dû t’expliquer que tous les talents se payent ici. Tu joues tellement bien que tes quelques pièces se paient aussi… ». Le ciel m’est tombé sur la tête et j’en ai gardé une culpabilité éternelle et une haine des gangs des milices et de la loi de merde qui ne valent pas mieux que les malfrats quoi imposent leur loi aux citoyens. Tous à vouloir s’arroger le pouvoir sur la plèbe ! Ils ne valaient pas mieux les uns que les autres ! Je n’étais pas dupe, je connaissais maintenant, la mainmise des gangs et des mafias sur les activités économiques de la cité. Pourtant je n’imaginais pas que même l’art y était soumis. J’ai passé les mois de convalescence de mon père avec lui en mer pour l’aider à remonter les nasses et les filets. Je ressassais en silence, en carguant les écoutes et en hissant les prises plus ou moins providentielles à bord, la condition du peuple. Le violon restait sous ma paillasse en pénitence. Jusqu’au jour où Menke m’a pris par les épaules pour que je le regarde.
« Ta vie c’est ton violon. Ne la laisse pas filer. On peut bien donner quelques pièces pour que tu continues. Continue à nous aider comme tu le faisais avant et puis je suis sûr que tu vas finir par gagner plus que nous avec lui. Et sèche tes larmes et souris à la vie. »
C’était l’an passé, j’avais 17ans.
Depuis, tous, les moments que j’ai eu de libre je les ai passés avec Mathé à travailler mon instrument et la danse. Bien sûr le violon passait d’abord, mais je n’ai jamais laissé tomber la danse et l’assouplissement de mon corps pour la plus grande satisfaction de mon complice qui avait bien cru me perdre pour les arts après l’agression de Menke. D’ailleurs on a consacré les cachets des derniers concerts à économiser pour offrir une prothèse de pavillon auriculaire qui protège son conduit auditif du vent et de la mer. Ca fait un trou dans nos projets mais au moins le pêcheur ne risque pas d’infection en allant en mer…
Pour de vrai, je crois que je me débrouille pas trop mal. En tout cas, le paye pas les gens pour m’applaudir. Je crois que j’avais gardé la mémoire des gestes que j’avais appris, parce que faut pas exagérer les génies qui apprenne ça tout seul, doit y en avoir mais pas tant que ça. Depuis j’ai un rêve, trouver un maître et pourquoi pas, entrer au conservatoire. Et puis débarrasser mes parents de « l’impôt de tranquillité » dont ils s’acquittent pour moi. Alors je joue encore et toujours et même en dehors du district portuaire : Manufacturier, Ste Héléna, Pharma, Domus, le centre historique et parfois même à Borée. Je sais que mon rêve va prendre corps mais chaque mois qui passe sans signe qui m’annoncerait que j’ai raison est un mois de trop. Mon rêve est de réconcilier les puissants avec le peuple qu’il opprime parce que quand je joue je vois bien qu’il n’y a pas de différence entre les yeux des uns et des autres. Alors mon père n’aura pas perdu son oreille pour rien. Je serre les dents lorsque je vais porter notre dime. Un jour je trouverai comment nous débarrasser de ces pourritures !
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Nom : Prénom : Zaïra Âge : 18 ans Genre : Féminin Titre(s)/Métier :Violoniste, danseuse Faction :Citoyenne District :Portuaire Vertu : Loyale Vice : Impulsive Pouvoirs : Musique Charme Acrobatie Résistance |