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 L'Art de l'Esprit [Pv : Phineas]

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Gabriel Gaultier
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Gabriel Gaultier

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MessageSujet: L'Art de l'Esprit [Pv : Phineas]   L'Art de l'Esprit [Pv : Phineas] EmptyMer 29 Mai - 22:54

L'amertume du café s'engouffra dans sa gorge, tandis que la chaleur enveloppa ses membres. Gabriel était assis à une table, près de la fenêtre, et au fond de la salle. Dos au mur, il privilégiait toujours les places qui ne le rendaient pas vulnérable. Dos au mur, il ne prenait pas le risque d'être surpris. Au fond, il avait le loisir d'étudier ses congénères humains graviter autour de lui. La population était diversifiée, peu de visages se ressemblaient. Les couleurs des habits, la musique, respiraient le désordre et l'harmonie. Les humains vivaient, ils discutaient autour d'un verre, faisant un bruit qu'il jugeait péniblement supportable. Habitué au calme de ses études, le jeune Gaultier sortait peu de sa tanière. Du moins, c'était ce qu'il prétendait lorsque Mère lui demandait ce qu'il faisait de ses soirées.

Gabriel croisait les jambes, bien droit sur sa chaise, le regard plongé dans la noirceur de son café. Il le buvait plus par habitude que par véritable amour. Il savourait l'amertume et la chaleur de la boisson, mais cela s'arrêtait là. Même dans ses goûts des choses, il n'y avait pas de passion. Il inspira, puis il respira l'arôme du café, avant de soupirer. Il jeta un coup d'oeil à sa montre, puis il balaya de son oeil intense l'assemblée. Dans la masse, il était aussi discret qu'une ombre. C'était à peine si le serveur l'avait remarqué lorsqu'il était entré. Il ferait bientôt nuit.

Dans tous les cas, malgré lui, quand bien même ne le dira-t-il point, Gabriel se sentait fier. Fier d'être commandité par un journaliste pour parler de la discipline qu'il était en train de créer. Sa thèse prenait forme de jour en jour, ses travaux se faisaient connaître. Pour l'instant, il ne faisait rien d'illicite ; il théorisait surtout. Il prescrivait des médicaments aux malades du coeur, prévoyant leurs effets, puis il avisait de la suite. Bien sûr, il était toujours intrigué de savoir combien leurs cerveaux changeaient lorsqu'ils étaient sous psychotropes, mais... cela n'était hélas qu'un fantasme encore.

Phineas Gold, journaliste ; quelqu'un capable de trop en connaître à son sujet. Gabriel ferma les yeux, préparant mentalement son entretien avec lui, comme il le faisait avant de voir ses patients. Préparer son masque de craie, se montrer expert, mais pas trop. Secret - juste pour le charme - sans être timide. Poli. Toujours. L'heure tournait.

Phineas Gold, rédacteur du Vox. Papier sorti de l'imagination d'étudiants. Hum. Numéro un de la Ville. Gabriel en avait un exemplaire sous les yeux, plié en deux sur la table. Il déposa la tasse, le poing sur la joue, il se mit à parcourir les lignes du journal. Phineas Gold. Difficile de se faire une impression sur quelqu'un, sans jamais l'avoir vu en chair et en os. « La firme de production et ventes d'armes Mac Alister & Co, parmi les plus renommées de la Ville, a annoncé hier un accord d'investissement avec un groupe mené par Alexander Shah. Un partenariat inattendu qui fait débat. » racontait le journal. Les armes à feu... Oui. En effet. Il aimerait apprendre à chasser.

Gabriel passa sa langue sur sa lèvre supérieure, il reprit une tasse de café.

En retard d'une minute.

Hum...
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MessageSujet: Re: L'Art de l'Esprit [Pv : Phineas]   L'Art de l'Esprit [Pv : Phineas] EmptyJeu 30 Mai - 21:37

Phineas grimaçait. Il détestait être en retard à une interview. Il n'était jamais en retard à une interview. Au contraire, le journaliste avait bâti une réputation sur sa ponctualité. Il avait l'habitude d'arriver au point de rendez-vous avec 15 minutes d'avance. Mais là, le sort avait joué contre lui. Il était dans les temps, dans ses standards. Il connaissait la route à travers Domus, mais il y avait eu un léger contretemps. Le fait divers aime frapper quand on ne l'attend pas.

Un attroupement inhabituel dans la rue. Une patrouille du prieuré qui va et viens dans une maison. C'est une de ces habitation classique du district, un peu décrépie, plus large que haute, le genre où s'entasse des familles de sept ou huit. Des faits divers dans ce coin-là, il y en avait souvent, le quartier était propice à sortir de la norme. Le Vox bénéficiait d'ailleurs de nombreux pigistes qui vadrouillaient dans le district. Il y en avait un d'ailleurs qui était sur place quand Phineas était passé.

Andy, un petit gars d'une vingtaine d'année, pas bien grand, pas bien gros. Un petit rusé qui savait se faufiler, mais il lui manquait encore un peu de rigueur à l'écriture pour viser plus haut que les fait divers en tant que pigiste. Il collaborait avec le Vox à hauteur de trois ou quatre brèves par semaines, et il était sur le coup. Phineas lui avait serré la main avec le sourire. Et il s'était enquis de la situation.

De ce qu'il se murmure, il y avait une personne qui vivait là, avec deux cadavres dans le salon.

Et bah ! Pas le genre d'affaire commune. Ça vaut plus qu'une simple brève. Essaye de trouver des gars du coin qui connaissaient la survivante ou les victimes, si elles sont identifiées. Je m'occupe d'aller parler aux Prieurs.

C'est comme ça qu'il avait perdu du temps. En parlant aux Prieurs sur place. C'est toujours difficile de faire parler les Prieurs, surtout quand ils sont en plein boulot. C'est une histoire de timing, et d'identifier l'interlocuteur parfait. Le chef d'abord. Il faut toujours commencer par le responsable sur place, bien reconnaître son autorité. Généralement c'est des Prieurs qui sont briefés sur les relations publiques. Leur parler permet de confirmer les rumeurs de la rue. Ensuite il faut réussir à isoler le plus "faible". Le petit jeune qui débute, qui est susceptible de laisser échapper l'information. C'est un peu vicieux, ça peut leur créer des problèmes, mais pour Phineas, c'est le genre d'affaire qui aide à faire vendre le Vox.

Là, il avait repéré la cible parfaite. Il avait l'air plus jeune, il restait un peu en retrait, repoussait de temps en temps les passants un peu trop indiscrets. Alors Phineas s'était approché sur sa gauche. Il avait discuté avec lui quelques instants, rien de très intéressant, juste de quoi le mettre en confiance. Et il avait récupéré l'info : la survivante était la mère et l'épouse des deux victimes, deux hommes. Abattus à coup de hache dans le crâne. Sordide, mystérieux, deux adjectifs qui rimaient avec de beaux chiffres de vente. Le Prieuré allait essayer de comprendre le pourquoi du comment, avant sans doute de laisser parler la guillotine. Le Vox avait tout intérêt à être le premier média sur le coup.

Alors Phineas, avait noté toutes les informations à sa disposition sur son calepin. Il avait arraché la page, l'avait donné à Andy, et il lui avait dit :

Si tu penses pouvoir trouver plus, vas-y. Dès que tu as tout ce qu'il te faut, va au bureau et demande à Harper de t'aider pour la rédaction.

Harper Benjamin, c'était celle qui supervisait le travail des pigistes. Les brèves, les faits divers, les imprévus, c'était son truc. Des six co-fondateurs du Vox, c'était celle qui faisait le plus d'heures, et vu les bosseurs qu'ils étaient tous, ça voulait dire quelque chose. Qu'Andy demande son aide ou non, son papier serait très certainement relu par ses soins.

Mais avec ces conneries, il était donc en retard pour son rendez-vous avec Gabriel Gaultier. Un homme qu'il n'avait jamais rencontré, mais il avait été mis en relation avec lui via des amis à l'Apothicariat. Il était temps que le Vox se penche sur le cas du Masque, l'assassin masqué qui sévissait à Excelsa depuis quelques mois. Pas seulement retracer ses macabres pérégrinations, mais aussi essayer de comprendre son fonctionnement. Pas en s'improvisant spécialiste comme avaient pu le faire certains concurrents, mais en demandant l'expertise de personne s'y connaissant vraiment. Gaultier était l'un d'eux, du moins c'était ce qu'on lui avait dit. Un jeune talentueux qui préparait une thèse, mais qui avait un intérêt pour l'étude de la folie. Ça valait le coup, selon Phineas, qui pressait le pas en direction du café dans lequel ils s'étaient donnés rendez-vous.

Il arriva avec cinq minutes de retard, à son grand désarroi. Son interlocuteur était déjà arrivé, assis au fond de la pièce, un café et le Vox près de lui. Ça lui mis un peu de baume au cœur de voir ça. Il s'approcha en essuyant sommairement son front de toutes potentielles trace de sueur, d'un revers de manche. Il tendit une main ferme vers Gabriel.

Je suis navré d'être en retard, un imprévu sur la route... Merci d'avoir attendu. Et bonjour, je suis Phineas Gold, du Vox.
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MessageSujet: Re: L'Art de l'Esprit [Pv : Phineas]   L'Art de l'Esprit [Pv : Phineas] EmptyJeu 30 Mai - 22:35

Une main tendue vers lui. Gabriel leva lentement son regard clair sur le nouvel arrivé. Il le fixa, deux secondes - pas plus -, avant de lui sourire avec douceur. Il avait l'air de l'étudiant ravi qu'un professeur renommé lui accorde de son temps, comme s'il avait conscience qu'on lui offrait un véritable privilège. Si Monsieur Gold ne lui avait pas tendu la main, il n'aurait pas présenté la sienne. Il n'aimait pas particulièrement le contact - davantage lorsqu'il s'agissait de toucher d'autres hommes -, mais lorsque ses interlocuteurs signifiaient qu'ils pouvaient les toucher, il obéissait. Toujours s'adapter aux autres. Il déduit par son air, le geste sur son front qu'il s'était dépêché de venir. Il lui présenta sa main, aux longs doigts effilés, aussi froide que la glace, aussi frêle que celle d'une statue de marbre. Toutefois, en contraste, sa poignée était ferme, et soulignait que derrière son air jeune et fragile, il jouissait d'une certaine poigne.

Un autre sourire, Gaultier-fils lécha sa lèvre inférieure, puis il invita d'un signe du menton Phineas à prendre place. Là, d'un geste lent, Gabriel caressa le rebord de sa tasse. Une sensation qu'il aimait sentir sous son index, tandis que le contour de la tasse était suivi, avec minutie. Tout n'était qu’harmonie.

« Ce n'est pas grave, Monsieur Gold. »

Gabriel coula d'ailleurs un regard sur le Vox, l'exemplaire plié en deux. Puis, il toussota, comme gêné. Il le rangea ensuite, il le plia en quatre, puis il le glissa dans sa mallette. Il cala celle-ci entre sa jambe et le mur, avant de recroiser les jambes. Il était sophistiqué, peut-être même trop comparé aux hommes de sa profession. Monsieur Gold était très différent de lui, avisa-t-il après un battement de cils. Il le fixait, sans faillir, avec son sourire malicieux dessiné d'un trait de pinceau au coin de ses lèvres pâles. Il posa sa mâchoire contre son poing droit, tandis que sa main gauche jouait avec la tasse. Il détaillait l'homme face à lui, notant tous les détails qu'il avait à sa portée ; on aurait dit qu'il analysait une oeuvre d'art.

« Je suis ravi qu'un homme tel que vous fasse appel à moi, lâcha Gabriel, un brin gêné, et en baissant les yeux sur sa tasse. »

Peut-être que c'était vrai.

Peut-être que ce n'était que la fierté mal placée. Il semblait soudain timide, comme s'il s'avouait quelque chose à demi-mot. Gabriel jeta un coup d'oeil par la fenêtre, il toussota, puis il raccrocha son attention sur Monsieur Gold. Il pensait le comprendre, il l'avait connu grossièrement grâce aux écrits qu'il avait lu de lui. Le Vox n'était pas difficile à se procurer ; il lui arrivait souvent de l'emprunter. Mais... la plume de Monsieur Gold était un masque. Il n'était pas la même personne à l'écrit qu'en face de lui. Il était plus petit que lui - Gabriel mesurait exactement 1,78 cm -, mais il semblait... plus... Pfff.

Viril.

Même un enfant de douze ans, pour peu qu'il eût de la barbe, paraissait plus « homme » que lui. Et ils avaient quoi ? Un an d'écart ? C'était le genre de chose capable de le frustrer. D'ailleurs, Gabriel avait essayé plus jeune la technique du rasage ; celle qui consistait à se raser la peau nue, tous les jours, jusqu'à voir des poils apparaître. Sans résultat. PENDANT DEUX ANS.

« Qu'est-ce qui vous amène vers moi ? J'imagine que vous ne voulez pas que j'ouvre votre cerveau... »

De l'humour ? Peut-être pas.
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MessageSujet: Re: L'Art de l'Esprit [Pv : Phineas]   L'Art de l'Esprit [Pv : Phineas] EmptyDim 2 Juin - 18:20

Phineas était loin d'être essoufflé, ses longues heures de marche, en vadrouille aux quatre coins de la cité, avaient fini par lui offrir un excellent cardio. Mais à sa respiration, on sentait facilement qu'il avait forcé le pas. Ça se calmerait vite. Il sera fermement la main de Gabriel. Personne n'aimait les gens qui présentaient une main flasque à leurs interlocuteur, l'Apothicaire n'était pas de ceux-là, quand bien même il pouvait avoir l'air frêle. Ses contacts l'avaient prévenus : Gaultier avait l'air jeune. C'est ainsi qu'il l'avait si facilement identifié. Ici, au milieu d'une auberge de Domus, peuplée d'habitués aux travaux manuels, bâtis comme des taureaux, le médecin dénotait. Sur son visage, dans ses habits ou dans son attitude, il suintait le luxe comparé aux riverains habituels.

Le journaliste aussi faisait quelque peu tâche. Plus petit, toujours l'air négligé qu'il laissait, avec ses vêtements extrêmement basiques et cette barbe de trois jours qui faisait toujours son effet. Il s'installa en face de son interlocuteur, en allongeant son rythme de respiration. Il était arrivé en retard, Gabriel avait dit que ce n'était rien, il avait acquiescé avec un sourire. Fin de l'histoire, place maintenant au professionnalisme à toute épreuve. Inspirer, expirer. S'il avait eu le temps, il aurait fumé une cigarette.

L'Apothicaire le flattait. Il sourit, baissant légèrement le regard, un peu embarrassé qu'il le fasse ainsi passer pour quelqu'un d'important. Il ne se considérait pas comme tel.

Et je suis tout aussi ravi que vous ayez accepté. Vos collègues m'ont dit beaucoup de bien de vous.

Contribuer à installer une atmosphère positive. L'interviewé est toujours plus enclin à s'ouvrir quand il est mis en confiance. Avec des gestes mesurés, Phineas sort tranquillement ses affaires de la poche intérieure de sa veste. Le strict nécessaire : carnet et stylo. Puis il retire ladite veste, qui vient mollement s'abattre sur la banquette à sa gauche. Une serveuse arrive, il commande un café serré. Le médecin fait une blague, il rit.

J'ai vu ma dose de crânes ouverts pour aujourd'hui ! Mais si un jour mes forces m'abandonnent, je penserais à vous pour donner mon cerveau à la science.

Un sourire entendu. Il dit ça avec légèreté, mais il a plus ou moins prévu de laisser son corps à la science une fois son heure venue. Si son cadavre pouvait contribuer, directement ou indirectement, à une avancée médicale pour la ville, alors son devoir de citoyen serait accompli jusqu'au bout.

Plus sérieusement, on m'a aiguillé vers vous en raison de ce que j'ai cru comprendre être votre domaine de spécialité. Vous vous intéressez au fonctionnement de l'esprit, c'est cela ?

Il attend la confirmation ou la correction de Gabriel avant de poursuivre.

Vous avez sans doute entendu parler de l'assassin masqué qui sévit en Ville depuis quelques temps. Le Vox tente d'établir une sorte de profil psychologique, et qui de mieux que vous pour nous aider à comprendre l'esprit d'un fou ?
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Gabriel Gaultier
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MessageSujet: Re: L'Art de l'Esprit [Pv : Phineas]   L'Art de l'Esprit [Pv : Phineas] EmptyDim 2 Juin - 22:40

« Ah oui ? »

Susurra Gaultier, dans un demi-sourire, lorsque Monsieur Gold affirma que ses collègues le complimentaient ; il était toujours intéressant de savoir ce qu'autrui pensait de soi. Cela aidait à savoir comment on était perçu, puis de pouvoir s'ajuster en regard à leur avis. Gabriel joint les mains sur ses cuisses, les jambes croisées. Son regard ne quittait pas l'homme face à lui, comme s'il était en train de mémoriser toute sa physionomie, sa barbe taillée négligemment, la forme de ses yeux, leurs couleurs. Et sa gestuelle. Enfin, concernant sa petite plaisanterie - puisqu'il aimait avoir le dernier mot - le jeune homme se contenta de souffler du nez :

« Ne vous inquiétez pas, je serais doux... si j'en venais à vous ouvrir le crâne. »

C'était son humour, à lui ; en demi-teinte. Impossible de savoir s'il était sérieux.

Dans tous les cas, le rédacteur du Vox était différent de ce quoi le jeune Gaultier s'était attendu. Bien sûr, les gens étaient souvent très différents de ce qu'on imaginait, surtout lorsqu'il l'avait connu à travers ses articles. Il avait lu ce qu'il pouvait, afin de mieux cerner le personnage avant de le rencontrer. Il attendit donc, placide. Il faisait effectivement tache dans la foule ; il n'était pas balaise, ni musclé, il ne transpirait pas la masculinité de tous les pores de sa peau. Il n'était pas poilu ni goguenard, encore moins vulgaire. Et pour autant, Gabriel Gaultier paraissait se sentir parfaitement à l'aise, comme si c'était son environnement. Quant à Monsieur Gold, il songeait qu'il appréciait ce genre d'endroit pour l'ambiance ; c'était vivant.

« En quelque sorte, oui... »

Un autre sourire.

Ce n'était pas tout à fait ça.

« Disons que... je cherche à comprendre certaines maladies, certaines attitudes, ce qui compose la personnalité d'un être, et comment il perçoit le monde. »

Et surtout...

Oh voyons... Non... Non. C'était son petit secret.

« Un assassin masqué... cela est une image quelque peu romantique. »

Lâcha Gabriel. Il se redressa, il fit signe à la serveuse de venir à leur table, afin qu'elle puisse prendre la commande de Monsieur Gold. Il le lui désigna, après avoir accordé un regard intéressé à la jeune femme d'un battement de cil. Il reprit sa tasse de café ; il s'était plus ou moins attendu à quelque chose du genre. Le fameux assassin masqué. Il fixa longuement Monsieur Gold, le passant encore et encore sous son oeil avisé. Beau, oui. Enfin, si on aimait les hommes.

Pendant ce temps, son index caressait le rebord de la tasse d'un geste léger.

« Est-ce pour donner plus de détails sur cette personne dans vos journaux, ou bien parce que vous voulez en savoir plus sur lui ? »

Question anodine. Certes, Monsieur Gold était journaliste, mais la curiosité pour un assassin pour défrayer la chronique ? Allons voir.

« Pour savoir si notre ami est fou, il faudrait que nous nous mettions tous les deux d'accord sur le sens que nous donnons à la folie. Quant on y réfléchit, une personne dites folle est souvent en dehors des normes sociales. Entendre des voix et interagir en public avec elle ? Voilà ce que communément, nous appelons folie. Mais si pour elle, le fait d'être silencieuse et de ne pas entendre ces voix était... la folie ? Ensuite, il y a cette idée de la barbarie, il faut qu'elle soit une origine pour que des gens en arrivent jusqu'à là... Mais... dans le cas de meurtres violents et répétés, il s'agit d'un fétiche, dans le sens où ce que le meurtrier cherche est une satisfaction sexuelle. Pensez-vous que votre assassin masqué ressente une excitation sexuelle ? Ensuite, cherchez-vous un but, une explication à ses actes ? Une raison ? Là, encore, vous pouvez parler de folie, mais ce n'est pas une raison suffisante. Avant de savoir si je peux comprendre l'esprit d'un fou, il faudrait que vous me disiez ce qu'est un fou pour vous. Pour moi... »

Gabriel se lécha lèvre inférieure, il se rapprocha, et il désigna dans la rue un Prieuré en train de vomir sa foi.

« Remettre sa vie ainsi, c'est ce que j'appelle de la folie. Ou du reste, de l'insouciance ? »

Pour ne pas dire stupidité.

D'ailleurs, à son tour, Gabriel attrapa sa mallette, il en sortit du papier, et un crayon.

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MessageSujet: Re: L'Art de l'Esprit [Pv : Phineas]   L'Art de l'Esprit [Pv : Phineas] EmptyVen 7 Juin - 21:51

L'entrevue commençait bien, avec cette touche d'humour. C'était comme ça que Phineas le prenait en tout cas. Un léger hochement de tête et un sourire, mi-amusé mi-reconnaissant. Il était encore trop jeune pour se faire ouvrir le crâne. Et l'homme en face de lui avait l'air trop jeune pour savoir comment bien le lui ouvrir. Mais les apparences étaient souvent trompeuses.

L'auberge n'était pas encore bondée. La plupart des clients réguliers devaient encore être à l'usine, quelque part dans le district Manufacturier. Mais en tout, il devait y avoir une dizaine de personnes. Soit des grands bonshommes barbus, cheveux longs, vêtements tâchés de nourriture, bière et sueur. Soit des petits gars rachitiques qui venaient dépenser leur maigre paye pour un morceau de pain et une soupe tiède. Et donc eux deux. L'Apothicaire aux traits enfantins et le journaliste aux airs de citoyen par défaut de la ville.

Vaste sujet, mais passionnant. Admis Phineas.

La perception du monde... Le journaliste songeait souvent à l'étendre. À partir en reportage dans des contrées lointaines, pour voir comment les gens y vivaient, quelles étaient leurs occupations, leurs problèmes.

Une image romantique. Certains le voyait ainsi, et Phineas comprenait. Le masque qui changeait à chaque nouveau crime, le fleuret, les vêtements amples qui ne laissaient rien filtrer sur la silhouette du tueur, il y avait un certain soucis du détail. L'immense tâche d'ombre qui enrobait les intentions du criminel contribuait également. Mais dans l'esprit du journaliste, c'était un sale type qui s'en prenait à la ville. Donc c'était intolérable.

Attentivement, Gold écouta les explications de Gabriel au sujet de la définition de la folie. Il en nota quelques extraits, griffonna quelques mots-clés tout en s'octroyant le luxe de boire une gorgée de café de temps en temps. Son travail pouvait sembler mal organisé ou fait à la hâte, mais Phineas s'y retrouvait toujours. Parfois ça lui prenait juste un peu plus de temps.

Une définition de la folie... En vous écoutant, je prends conscience que je me suis mal exprimé. L'assassin masqué est-il un fou à mon sens ? Je ne peux pas l'affirmer. Je le prends pour ce qu'il est : un homme armé, dangereux, qui s'en prend à la ville et à ses représentants. Son comportement passe outre nos lois, ce qui me laisse penser que sa perception du monde doit être bien différente de la mienne ou de la votre, non ?

Il marque une pause, griffonne quelques notes supplémentaires.

Plutôt que de le traiter comme un fou et de le pointer du doigt, je pense qu'il serait plus productif de l'envisager comme un homme avec une pensée différente. Est-ce qu'il ressent une excitation sexuelle en donnant la mort ? Je ne saurais le dire. Mais si c'était le cas, qu'est-ce que cela signifierait à son sujet ? Finalement, c'est là tout le but de mon article : envisager différentes hypothèses quand au mode de pensée du tueur, et avec l'aide de vos connaissances, tenter de comprendre ce que cela nous dit de lui.

Avec ces conneries, il n'a déjà plus de café. Il avise le Prieur à l'extérieur et hausse les épaules. Peut-être est-ce un poivrot, peut-être a-t-il une raison (plus ou moins) valide de se mettre dans cet état. Il manque un peu de contexte. Tout comme le cas du Masque manquait de contexte, mais s'ils se trouvaient à cette table, c'était pour essayer d'en donner.
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MessageSujet: Re: L'Art de l'Esprit [Pv : Phineas]   L'Art de l'Esprit [Pv : Phineas] EmptySam 8 Juin - 15:56

« Pas tout à fait. »

Amena Gabriel, avec un sourire. Pour autant, il n'en dit pas plus pour l'instant. Il prit une gorgée de café, alors qu'il écrivait ce que Monsieur Gold avançait. Il inspira, puis enfin, il l'écouta. Il notait plusieurs choses, le portrait que le journaliste en faisait, ou ce qu'il pensait en faire. Ensuite, il expliqua :

« Il peut très bien avoir la même perception que nous, cependant... pour une raison ou une autre, il peut avoir décidé de ne pas y obéir. Par exemple : vous savez pourquoi il y a les lois, vous estimez que sans elles, le monde ne tournerait pas rond. Que plutôt de museler notre liberté, elle l'exploite dans une autre forme. Mais... cela vous conviendrait-il pour autant ? Pensez-vous que ce qui le motive est le chaos ? »

Apprendre à penser en dehors de la boîte. Gabriel fixait Monsieur Gold, il parlait d'une voix claire, et posée, comme s'il donnait cours aux premières années en médecine. Il caressait son stylo sur la longueur, réfléchissant tout en écoutant. Il ne faisait plus attention à ce qui l'entourait, puisqu'il était concentré sur son interlocuteur. Le profil d'un « tueur en série » l'intriguait, sans pour autant aller dans le fanatisme. Quelque part, il le comprenait.

« L'excitation sexuelle est ce qui motive les meurtriers répétés. Ils vont avoir une sorte de rituelle, le même type de victimes, et ce qui les motive est une forme d'orgasme dans le meurtre. Sans cet aspect-là, ils ne tuent pas. Cela signifie pour lui, donc, si c'était le cas, qu'il aurait toujours un type de victimes. Vous comprenez ? Si vous voulez comprendre cet individu, vous devez d'abord vous défaire de tous les à priori que vous avez. Ne le jugez pas pour ses actes, prenez son point de vue. Là, vous aurez une idée de ce qu'il est réellement. »

Petite leçon de morale, sans pour autant présenter du mépris, ou dire ce qu'il en était vraiment. Gabriel Gaultier en savait peu, sur le tueur en question, il s'essayait à ce petit jeu, car au fond, cela l'amusait. Il avait besoin de stimulation pour maintenir son intérêt ; s'il le perdait, bah... Il décroisa les jambes, il jeta un coup d'oeil par la fenêtre. Les Prieurs étaient partis. Il raccrocha son regard à Monsieur Gold, sans essayer de voir ce qu'il écrivait, quoique la curiosité le piquait ; c'était simplement impoli.

« Si vous souhaitez divulguer cela dans votre journal, vous devriez faire attention. Au final, les premiers concernés sont les Prieurs. Les gens sont vite inquiets, ils fantasment facilement ; ils risqueraient de prendre n'importe qui pour ce tueur masqué, soupçonner leurs voisins, leurs familles... et vous ne voulez pas que cela arrive. »

Quoique l'expérience serait fort intéressante. Quand bien même, la sécurité publique pouvait en prendre un coup.

« Si vous étiez l'As, pourquoi tuerez-vous ? Quelles cibles choisirez-vous ? Ses victimes peuvent nous en dire beaucoup. »
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MessageSujet: Re: L'Art de l'Esprit [Pv : Phineas]   L'Art de l'Esprit [Pv : Phineas] EmptyLun 10 Juin - 16:16

Le chaos... Je ne sais pas. Ça semble être la réponse évidente, si l'on regarde les choses à travers le prisme de son mépris des lois. Mais il nous manque trop d'éléments pour vraiment formuler une hypothèse...

Le chaos, l'argent, le sadisme, l'ennui... autant de raisons possibles qui pourraient pousser l'As à opérer. Laquelle était la bonne réponse ? Toutes les options étaient-elles valables ? Phineas les notaient, puis les relia à un mot-clé qu'il entoura : "Masque".

C'est sans doute pour ça qu'il fascine nos lecteurs. Souffa-t-il, plus pour lui-même que pour Gabriel. Il élabora ensuite. Le masque, c'est l'anonymat sur son identité, ses origines et ses intentions. C'est aussi une façade qui permet aux gens de se projeter dans sa peau, de laisser libre court à leur imagination quant à ce qu'il cherche ou représente... non ?

Il n'y avait pas encore eu d'affaires d'imitateur officielle. Peut-être certains criminels de bas étage s'amusaient-ils déjà à se grimer comme le mercenaire au fleuret ? Ceux-là aussi cherchaient-ils l'orgasme dans le meurtre ?

Le problème, c'est que l'As ne semble pas, à première vue, avoir un type de victime bien défini. Parmi la liste de ses cibles connues, il y a eu un Vicaire, une héritière de bonne famille, une journaliste ou encore des criminels de bas étage, ici-même à Domus... Difficile d'établir un lien direct entre les profils de ces victimes. Hormis l'argent.

Le journaliste souligne l'hypothèse "argent". C'est la seule qui semble tenir la route. Une lame à vendre. Était-ce au plus offrant, ou à un seul mécène ? Et quelles raisons l'avaient poussé à accepter cet argent plutôt que de gagner sa croûte comme n'importe quel citoyen honnête ? Chaque semblant de réponse semblait amener de nouvelles questions. Mais au moins, Gaultier était là pour tenter de guider son raisonnement.

J'avais déjà prévu de faire attention à mes tournures de phrases et au ton de mon article. Assura Phineas avec un sourire. Mais je redoublerais d'attention, en effet.

Il se massa les tempes. Se mettre dans la peau de l'As. Qui attaquer, et pourquoi ?

Si j'étais l'As... je ne travaillerais pas seul. Au vu du profil de ses victimes connues, sois je suis à la solde d'un autre, sois je cherche à brouiller les pistes et à rester imprévisible. Dans le premier cas, c'est donc mon mécène, ou mes mécènes, qui me permettent de me payer mes masques ou d'entretenir mon fleuret, et la raison de mes meurtres est celle de ceux qui l'ordonne. Dans le second cas, je dispose des moyens pour le faire moi-même, ou je menace d'autres personnes pour me fournir. Dans cette hypothèse, je tue pour... la peur ? Créer un sentiment d'insécurité en ville, et sur mes "collaborateurs", pour m'assurer qu'ils ne me trahiront pas.

Dans sa colonne d'hypothèses, Gold ajoute "la peur".
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Gabriel Gaultier
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MessageSujet: Re: L'Art de l'Esprit [Pv : Phineas]   L'Art de l'Esprit [Pv : Phineas] EmptyDim 16 Juin - 13:39

« Nous portons tous un masque. »

Commença Gabriel en attrapant la tasse de café. Il eut un sourire au coin, tandis que ses yeux s'ancraient dans ceux de son vis-à-vis ; il semblait extrêmement confiant. Après tout, si Monsieur Gold lui retournait la question, il répondrait assurément que lui aussi portait un masque.

« Nous avons tous une personnalité factice que nous montrons aux autres. Elle permet à la fois de se faire accepter en société, mais aussi de s'en protéger. Elle aura un peu de vous, mais elle ne sera pas vous. C'est pour le bien commun, si je puis dire. Bien sûr, il existe une poignée de personnes sans masques, mais généralement, ces personnes-ci paraitront anormales ou inadaptées. L'As se sert du masque pour une raison pratique : il ne veut pas être reconnu, et comme vous l'avez dit, cela lui permet d'être “tout le monde”. Il pourrait s'agir de vous, comme de moi, impossible de savoir. Il ne veut pas être reconnu, par déduction, l'on pourrait songer qu'il s'agit de quelqu'un de connu. Ce n'est pas un simple citoyen. »

Pour agir de la sorte, ce n'était pas quidam. Plus la conversation avançait, plus Gabriel avait envie d'en savoir plus sur l'As. Il était rarement stimulé, son quotidien était cadré, et au final, les gens agissaient toujours comme il s'y attendait. Il avait besoin d'autre chose. Et il pensait comprendre ses motivations, il ne se sentait pas si différent de lui.

« Je ne vois pas l'intérêt qu'il aurait de tuer pour la peur. »

Chose que Gabriel jugeait inutile. Les Prieurs et leurs micro-cerveaux étaient suffisants. Il inspira, il souffla sur son café, et il en but une gorgée.

« Si l'on part du principe qu'il est relativement connu, suffisamment pour vouloir dissimuler son visage, il doit avoir divers moyens de financer ses actions. Vous avez dit qu'à priori, ses victimes n'avaient pas de liens. Elles n'ont pas de liens directs, mais est-ce qu'il y a autre chose qui les relie ? Une personne commune ? Un fait ? »

Il fallait partir d'un point de vue global, afin de préciser les chemins à prendre. Le jeune homme ne prenait rien au sérieux, il partait du principe que ses théories pouvaient être fausses. Après tout, c'était la définition d'une théorie : rien de tangible et de vrai. Il posa le coude sur la table, la tasse de café était vide. Gabriel regarda sur le côté, en caressant sa lèvre inférieure avec l'index. Il battit des paupières, puis il souffla :

« Si j'étais à sa place... »

Sincèrement, Gabriel n'emploierait pas les mêmes méthodes, il n'avait pas la carrure pour cela. Mais admettons...

« Si j'étais un garçon de bonne famille, quelles raisons me pousseraient à agir de la sorte ? »

Non. Il était trop décent.

« Ce ne serait pas le besoin d'argent qui serait la motivation principale, mais... la colère. Si je trouvais que le système est injuste, j'essayerais de le combattre. Fuir aussi, peut-être ma situation. Je m'entourerais de personnes différentes de moi, en essayant de faire en sorte qu'ils en sachent peu pour ne pas me faire trahir. Mais... la peur ? Soit j'aurais une personnalité tellement distincte de ma première condition — le garçon de bonne famille — que je devrais montrer une autre facette, bien cruelle et absolue pour propager la peur. À moins... que mes collaborateurs partagent les mêmes ambitions. Est-ce que vivre dans cette société me plairait ? Qu'est-ce que je peux bien lui reprocher qui justifient le meurtre, et de se mêler à des criminels ? »

Gabriel haussa un sourcil, il ne souriait plus, il fit signe à Monsieur Gold de lui répondre.
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MessageSujet: Re: L'Art de l'Esprit [Pv : Phineas]   L'Art de l'Esprit [Pv : Phineas] EmptyDim 30 Juin - 14:27

Ou alors, la raison pour laquelle il porte un masque, c'est pour que personne ne puisse donner son signalement au Prieuré, et ainsi limiter les recherches de ces derniers lorsqu'il est en civil ?

C'était une hypothèse qui lui semblait aussi plausible que celle émise par Gabriel. Les deux se tenaient, alors Phineas note. Simple criminel prudent ou visage relativement connu qui souhaitait rester anonyme, impossible de savoir avec certitude. Il faudrait explorer ces deux pistes pour les besoins de l'article.

Restait ensuite à établir le « Pourquoi ? ». Quel était son intérêt à tuer ? Le journaliste écoutait le raisonnement de son interlocuteur. Ils partaient du principe que ce n'était pas n'importe qui. La solution semblait légèrement plus plausible, du fait des moyens financiers à déployer pour l'entretien et l'achat de tout le kit du petit criminel. Il réfléchit.

Difficile à dire, là comme ça, de tête. Ses victimes n'ont rien en commun, à première vue, mais peut-être qu'une étude approfondie révélerait quelque chose.

Pour se défaire des préjugés du bon citoyen, il fallait se mettre dans la peau du Masque. Essayer d'en comprendre les motivations, les méthodes, les préférences. Plus facile à dire qu'à faire, mais Gabriel se lança dans l'exercice. La colère... une haine du système en place si forte qu'elle pousserait à tuer pour forcer le changement. Mentalement, Phineas reprit les profils des anciennes victimes de l'As. Un Vicaire, logique de s'en prendre à un représentant de la loi, mais si le mercenaire voulait éliminer tout le Prieuré, il en avait pour un moment. Un fils de très bonne famille, qui devait hériter d'un père mourant. Sa petite soeur avait rapidement été identifiée comme la seule bénéficiaire de la mort des deux hommes, et était soupçonnée d'avoir commandité l'assassinat, sans preuves concrètes cela dit. Une jeune femme, liée au commerce d'armes à feu. Pas l'outil de prédilection de l'As, mais peut-être cherchait-il à diversifier ses méthodes pour brouiller encore plus les pistes ? À moins qu'il n'ait conclut un accord avec la jeune Elisabeth, et maquillé le tout en agression ? Il y avait aussi la journaliste, Salwa, qui avait semble-t-il eu affaire au fleurettiste après qu'elle ait rédigé un article à son sujet. Une réaction d'orgueil. Enfin, des criminels de bas étage, à Domus. Là encore, selon toute vraisemblance il ne s'agissait pas d'une attaque gratuite, mais bien d'un massacre rémunéré. Mais il y avait là un semblant de logique. Jusqu'ici, l'As ne s'était pas attaqué à deux représentants de la même "classe sociale".

Si la colère l'anime, elle est dirigée contre le monde entier. Quand on y réfléchit, il s'en est pris à un représentant de la loi, un représentant de la très haute société, une représentante de l'industrie, une journaliste et une bande de criminels des quartiers pauvres. Si c'est la colère, alors il estime que toute la ville est pourrie jusqu'à l'os. Si c'est la colère, il pense peut-être que faire s'écrouler les différentes classes sociales mènerait à... à une sortie de nouveau départ pour la Ville ? Une Excelsa où ses collaborateurs commandent ? Qu'en pensez-vous ?

Il interrogeait Gabriel du regard. Il avait noté les classes sociales déjà touchée. La liste était-elle exhaustive ? Où les Académiciens, les artistes et autres médecins étaient-ils en danger également ?
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MessageSujet: Re: L'Art de l'Esprit [Pv : Phineas]   L'Art de l'Esprit [Pv : Phineas] EmptyDim 30 Juin - 16:32

« Dans tous les cas, le masque est pratique. Il permet d'être ce qu'on veut.»

Ajouta Gabriel en avalant une gorgée de café, bien noir et amer ; il ne mettait jamais de sucre, il détestait cela. Il reposa la tasse, puis il observa Monsieur Gold noter ce qu'il racontait. Ses notes pour sa part étaient concises, peu détaillées ; elles étaient des idées avant tout. Si quelqu'un tombait dessus par hasard, il — ou elle — peinerait à comprendre sans contexte. Il écouta la suite, rajoutant ce que le journaliste disait. Le jeune homme le trouvait intéressant, mais il s'interrogeait surtout de la finalité de l'article. Que cherchait-il au demeurant ? Comprendre l'As ? Satisfaire sa propre curiosité, ou une demande qu'on lui avait faite ? Gabriel brûlait de le savoir.

Une fois que Monsieur Gold termina, Gaultier-fils hocha lentement la tête. Il croisa les jambes sous la table, tandis que la population locale attira son attention. Il fixa ses yeux sur deux hommes, accoudés au bar, en train de reluquer les fesses de la serveuse, qui de l'autre côté, se tenait sur la pointe des pieds afin de saisir un verre sur l'étagère. Ils échangèrent des ricanements, des remarques à voix basses, couvertes par le brouhaha ambiant. Puis, ils remarquèrent qu'ils étaient épiés, et Gabriel entendit le caractéristique « qu'est-ce qu'il veut lui » des gens dérangés. Il se contenta d'un sourire poli, puis il retourna son attention sur le journaliste.

« Je vais vous proposer un autre angle qui contredira cette idée : lorsque nous avons la chance de naître du “bon côté”, nous n'avons aucun intérêt à bousculer les choses. Aucune raison d'être en colère, ou de penser que le monde ne fonctionne pas, qu'il faut le changer. »

Gabriel aimait jouer avec les paradoxes. Et puis, il testait un peu son vis-à-vis. Il caressa son index sur le rebord de sa tasse de café — presque vide — d'un geste lent, mesuré.

« Il faudrait posséder un grand sens de la justice pour vouloir détruire cette société, et la refaire. Ou bien avoir eu un traumatisme. »

Une théorie comme une autre. Qui sait ? Peut-être voulait-il lui-même en savoir plus sur cet homme masqué. Ses véritables intentions ? Que cherchait-il à vérifier ?

«  S'il ne vient pas d'une bonne famille, il doit avoir des relations bien haut placées. Peut-être le paye-t-on pour les cibles à assassiner, peut-être fait-il partie d'un système plus grand que nous ne l'imaginions. Mais... si j'étais à sa place... »

Gabriel leva son regard clair vers le plafond, il faisait mine de réfléchir. Il se prenait comme référent, dans l'idée que l'As venait du même milieu que lui.

« Qu'est-ce qui me pousserait à devenir un criminel ? La liberté de faire ce que je veux ? Je ne suis pas assez romantique pour une telle chose, admit-il avec sarcasme. En toute franchise, ce serait l'ennui. »

Ses pupilles rétrécissement, il les planta dans celles de Phineas. Il semblait extrêmement sûr de lui. Il marqua une pause, profitant du silence pour noter toutes les réactions du journaliste ; il détailla d'ailleurs sa barbe mal rasée. Il se mit ensuite à sourire :

« J'interprète sans doute un peu trop. »

Gabriel posa ensuite les coudes sur la table, les mains jointes, il pencha la tête sur le côté. Il demanda alors, avec une certaine malice :

« Mais dîtes-moi... Monsieur Gold, qu'est-ce qui vous... vous pousserait à vouloir vous retourner contre le système ? »
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MessageSujet: Re: L'Art de l'Esprit [Pv : Phineas]   L'Art de l'Esprit [Pv : Phineas] EmptyJeu 18 Juil - 16:34

Tenter de plonger dans l'esprit d'un criminel était aussi fascinant qu'épuisant. Quand on avait vécu toute sa vie comme un citoyen lambda, plutôt fier de sa Ville et de ce qu'elle représentait et entouré de personnes aux perceptions similaires, il devenait difficile d'imaginer que quelqu'un puisse la détester. Pourtant, c'était ce que semblait indiquer les profils si variés des victimes du Masque. Ce qui rendait cette introspection délicate, c'était également l'infinité de pistes plausibles. Le fleurettiste n'avait pas laissé une foule d'indice sur ses motivations, sur le pourquoi du comment. Faute d'idées, cette discussion ressemblait de plus en plus à un brainstorming dont il faudrait démêler les meilleures idées.

Il était assez d'accord avec le point de vue de Gabriel. Naître au sein d'une famille aisée, ou dans le « pire » des cas une famille qui n'était pas misérable, ne laissait pas beaucoup de place à la colère. Le journaliste était lui-même issu de la classe moyenne, ni riche ni pauvre, mais suffisamment aisée pour lui offrir une éducation et les moyens de vivre de sa passion. L'ordre établi, bien qu'imparfait, était aux yeux de Gold suffisamment convaincant pour rester en place encore un moment. Hormis une meilleure répartition du pouvoir, il n'avait pas grand chose à améliorer pour vivre dans sa ville idéale.

La théorie du traumatisme vint rejoindre la longue liste déjà notée, pêle-mêle, sur le papier. Une hypothèse de plus donc... Phineas allait avoir un gros travail à faire pour pondre un papier clair et concis.

L'ennui ? Répéta-t-il, interloqué. C'est ce qui vous pousserais à revêtir le masque ? Si l'on suit votre hypothèse... alors le Masque fait partie de la très haute société. Seuls les familles quasi-toute-puissantes peuvent se permettre d'avoir des membres qui ne font rien de leurs journées, sans que cela impacte leurs affaires... Il marque une pause, mordille son stylo. En partant de cette hypothèse, ce serait certes plausible... mais c'est vraiment pousser à fond une hypothèse parmi tant d'autres.

L'article à venir se voulait spéculatif, mais pas à ce point. Si Phineas menait jusqu'au bout se raisonnement du fils de très bonne famille, criminel pour tromper l'ennui, alors il accuserait indirectement tous les Excelsiens remplissant ce profil. Et ça, ça poserait problème à beaucoup de monde, en plus de ne pas être journalistiquement intéressant. Il note, mais laisse tout ça entre parenthèses. Mieux vaudrait effleurer la surface de chaque hypothèse plutôt que d'en pousser une seule jusqu'au bout de la réflexion. Ça éviterait les conclusions hâtives.

Moi ? Il réfléchit plusieurs secondes. Hormis... un quelconque putsch, une soudaine centralisation des pouvoirs dans les mains d'un seul homme ou d'une seule faction... je ne vois pas vraiment. Une gorgée de café. Ah si, si quelqu'un venait à détruire le Vox. Mais ce serait plus une histoire de vengeance contre une seule personne, et pas une croisade contre le système.

Il s'esclaffe.

Enfin, tout ça, c'est à supposer que je sois capable de me battre au fleuret, évidemment ! Parce qu'en l'état, à part poignarder quelqu'un avec mon stylo, je serais bien incapable de blesser qui que ce soit.
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MessageSujet: Re: L'Art de l'Esprit [Pv : Phineas]   L'Art de l'Esprit [Pv : Phineas] EmptyJeu 18 Juil - 18:51

« Vous savez... Monsieur Gold, il existe bien des façons de s'ennuyer. »

Gabriel reprit la tasse de café entre ses doigts, mais il ne prit pas de gorgée. Il attrapa du sucre, et il en versa dans ce qu'il resta. Il attrapa ensuite une cuillère qu'il plongea dedans, et il la fit tourner avec lenteur, raclant le fond de la faïence.

« Et l'ennui peut prendre diverses formes. Il n'est pas tout le temps un loisir, le résultat du luxe, il peut être aussi une malédiction. »

Gabriel releva ses yeux sur le journaliste, il le fixa longtemps, sans sourire, sans réelle expression. Puis, il continua en portant la tasse à ses lèvres.

« Pour y échapper, vous avez plusieurs façons... mais la majorité du temps, ce sera en provoquant des situations que vous saurez inconfortables pour vous. L'ennui provoque le vague à l'âme, les réflexions métaphysiques, mais aussi ce soupçon de chaos propre à l'autodestruction. »

Gabriel avala une petite gorgée, il haussa les sourcils, et il eut une expression d'écœurement contenu. Il lâcha tout bas qu'il détestait le café sucré, et il reposa la tasse. Là, il capta le regard de la serveuse, et il repoussa la tasse sur la table. Avec politesse, il lui commanda :

« Pouvez-vous m'en apporter un autre ? »

Et la jeune femme hocha la tête, en reprenant la tasse sans commenter. Ce n'était que l'illustration de ce qu'il avait exposé à Monsieur Gold.

« Certains aiment se saboter, cela leur permet d'apporter un peu de piment à leur existence. »

Les mains de nouveaux jointes qu'il posa sur ses cuisses, il ajouta dans un sourire :

« Mais ce n'est que mon point de vue. Il n'est peut-être pas assez passionnant pour déclencher l'émotion chez vos lecteurs. »

Enfin, Phineas lui raconta ce qu'il ferait. Gabriel l'écouta, il hochait de temps en temps la tête pour affirmer en silence qu'il lui racontait. Il garda les yeux fixés sur le journaliste, puis il lui répondit :

« Je vois... mais ce qui vous pousserait à une telle chose, ce serait en premier lieu la rancune ? Est-ce que je me trompe ? »

Gabriel désigna d'un geste de la main les notes du journaliste.

« Vous pouvez condenser vos hypothèses à partir de là, et orienter l'opinion de votre lectorat en conséquence. L'idée que l'As est habité par un fort désir de vengeance pourrait séduire davantage que le fils à papa qui essaye de tuer le temps. C'est à vous de décider quelle histoire vous souhaitez raconter à vos lecteurs. Vous pouvez lui façonner le masque que vous désirez. »

Gabriel remercia la serveuse lorsqu'elle revint lui rapporter une tasse de café, la couleur était bien noire. Il attendit qu'il refroidisse avant de le goûter. Il souffla d'ailleurs un « mieux » à peine audible. Puis, il tapota son doigt sur la table, concentré sur son interlocuteur.

« Vous avez vos propres armes, il a les siennes. Gabriel marqua une pause, puis il fit : votre journal est le travail de toute une vie, n'est-ce pas ? »
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MessageSujet: Re: L'Art de l'Esprit [Pv : Phineas]   L'Art de l'Esprit [Pv : Phineas] EmptyVen 19 Juil - 16:51

L'ennui, une malédiction... Phineas était d'accord, mais sans doute pas au sens où Gabriel l'entendait. Pour lui, journaliste, l'ennui était en effet une malédiction. L'ennui voulait dire « pas d'actualité », qui voulait dire « rien à mettre dans le journal ». Et un journal vide d'information, c'était un journal qui se vendait mal, et c'était toujours un gros problème. Donc, quand on raccourcissait la chaîne de réflexion, ennui = problème.

Enfin, je suppose quand même que pour tromper l'ennui, il y a d'autres solutions avant de chercher les situations inconfortables et l'autodestruction, vous ne pensez pas ? Si c'est bel et bien un ennui résultant d'une vie de luxe, rien n'est impossible. Sur un coup de tête, vous pouvez partir dans un autre pays, organiser n'importe quelle activité susceptible de vous divertir... Je pense qu'il y a quand même plusieurs étapes avant d'en arriver à un point d'ennui où revêtir un masque et donner la mort devient une source de distraction.


Cela pouvait signifier que le Masque était déjà passé par ces étapes. Ce qui renforçait évidemment l'hypothèse du fils de très bonne famille. Mais Phineas gardait à l'esprit que tout n'était que spéculation. Aucun d'eux ne détenait la moindre preuve pour valider leurs hypothèses.

Ce saboter pour pimenter son existence... quel concept étrange. Flirter avec la mort où prendre du plaisir à la donner, ça me fait froid dans le dos... souffle le journaliste. Comment peut-on en arriver à ce raisonnement ?

La première idée qui lui venait en tête, c'était le mimétisme. Pour une raison ou une autre, les proches du Masque, ou plutôt de l'homme sous ledit masque, n'avaient jamais hésité à éliminer définitivement les obstacles sur leurs routes. Ce qui aurait conduit le criminel à penser que tuer était quelque chose de normal et d'admis en société. Mais dans ce cas-là, pourquoi poursuivre ses activités lorsqu'il s'est rendu compte que le Prieuré le traquait ? De toutes évidences, il y avait encore de grosses zones d'ombres dans son hypothèse.

En effet, ce serait une forme de rancune... je suppose.

Gold admet cela en terminant son café. Pas besoin d'un autre pour le moment, il se sent bien. Mais alors que Gabriel désigne ses notes, ses sourcils se froncent et son visage se ferme légèrement.

Monsieur Gaultier, il n'a jamais été question d'orienter l'opinion de nos lecteurs dans une direction précise. Cette discussion, purement spéculative, a été très stimulante. J'espère que l'article qui en découlera le sera tout autant pour nos lecteurs. Mais il ne m'appartient pas de façonner leur façon de pensée en étayant une hypothèse plutôt qu'une autre. Ce serait extrêmement malhonnête.

Son ton s'était également un peu durci. Comme ça avait déjà été le cas, dans le passé, lorsque sa vision du journalisme s'était opposée à un point de vue différent.

C'est justement car ce journal est le travail d'une vie que je ne vais pas m'abaisser à façonner un nouveau masque au criminel. Seule la vérité m'intéresse, et à l'heure actuelle, je ne la détiens pas. Il ne m'appartient pas, ni à personne d'autre au sein du Vox, de créer une vérité qui nous conviendrait. Les faits viendront en temps et en heure. Pour l'heure, il s'agit surtout d'établir un profil psychologique potentiel du Masque. Ce à quoi nous nous sommes attelés depuis tout à l'heure.
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MessageSujet: Re: L'Art de l'Esprit [Pv : Phineas]   L'Art de l'Esprit [Pv : Phineas] EmptyVen 19 Juil - 18:20

« Les étapes vont différer d'une personne à une autre. Et pour arriver à ce stade, eh bien... encore une fois, cela dépendra des individus. Dans le cas d'un employé d'usine, des "petites mains", comme on dit... Gabriel fit les guillemets avec ses doigts avant de reprendre : l'ennui pourrait venir du quotidien triste et morne, la sensation que rien ne changera. Le manque de stimulation est dangereux. Des gens peuvent passer leur vie entière à se complaire dans cet ennui, pensent que cela ne servira à rien, lorsque d'autres auront la volonté de faire bouger les choses. »

Gabriel reprit la cuillère, jouant de nouveau avec en la faisant tourner dans sa tasse.

« Nous vivons tous les choses de manière différente ; notre perception n'est jamais similaire à celle de notre voisin. Si vous souhaitez établir un portrait-robot de l'As, il faut arriver à se mettre à sa place. »

Pourrait-il arriver à ces extrêmes pour « passer le temps » ? Pas vraiment. La violence n'était pas quelque chose qui l'émouvait ; tuer une personne englobait trop de responsabilités, trop de choses à penser. Ce genre de violence lui était indifférente ; un vague sentiment de vide. Mais Gabriel se sentait rarement vivant.

Gabriel plissa les yeux. Sa cuillère arrêta de tourner dans la tasse, lorsqu'il constata qu'il avait touché le journaliste sur un « sujet sensible ». Il eut un rire soufflé par le nez.

« Cependant, ce qui intéresse vos lecteurs, c'est l'histoire que vous allez raconter. »

Gabriel fit la moue. Depuis longtemps, il avait compris qu'il vivait dans une société où tout était orienté. La manière dont le Prieuré couvait la population, la façon dont il avait été éduqué ; même son prénom avait une orientation politique. Un désir de bien se faire voir. Hum...

Mais ce n'était que son avis.

« Je pense que vous aurez toutes les clefs en main, si jamais il se retrouve capturé par les Prieurs. Là, vous pourrez confirmer — ou non — ce que nous avons avancé au cours de notre entretien. À votre avis, qu'est-ce qui intéresse les gens lors de l'achat de votre journal ? »

Demanda-t-il en posant le coude sur la table. Il reprit une gorgée de café, et il jeta un rapide coup d'oeil par la fenêtre. Monsieur Gold devait avoir plusieurs types de lecteurs, allant du petit employé au médecin, du Prieur, et qui sait ? Peut-être l'As lui-même. Ce qui ne l'étonnerait pas : s'il voulait agir, il devait plus ou moins savoir ce qu'on pensait de lui. L'information l'aiderait à avoir un pas d'avance. Et quel sentiment l'article de Monsieur Gold allait susciter chez lui ? Allait-il être agacé qu'on tente de le connaître ? Constater qu'il y avait des erreurs ? Ou bien serait-il flatté ? Comment agirait-il ensuite ?

« La vérité ? »

Ajouta-t-il en posant les yeux sur la tasse. Que cherchait-il au fond ? Gabriel ne croyait pas à l'hypothèse que l'As voulait changer les choses. À part peut-être par un ennui : pourquoi ne pas essayer et voir où cela nous mènera ?

« Aux premiers abords, les faits sont relativement simples : un homme est en train de défrayer la chronique en tuant aléatoirement — semble-t-il — des Excelsiens. Les raisons ? Nous essayons de les établir ensemble. Mais tout cela relève du domaine de la théorie. »

Gabriel haussa les épaules. Son ton s'adoucit alors :

« Puis-je me permettre une question, Monsieur Gold ? »
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MessageSujet: Re: L'Art de l'Esprit [Pv : Phineas]   L'Art de l'Esprit [Pv : Phineas] EmptySam 27 Juil - 13:30

Arriver à se mettre à la place de l'As. C'est ce qu'ils essayaient de faire depuis le début de la conversation. Tenter de comprendre qui est la personne sous le masque. D'où elle vient, ce qu'elle recherche, pourquoi tente-t-elle d'accomplir ses objectifs par la voie du sang. Autant de questions dont les réponses demeuraient au stade d'hypothèse à l'air plus ou moins plausible.

J'ai bien conscience de ce qu'il faut arriver à faire pour établir un semblant de portrait-robot. C'est ce que nous sommes en train de faire en ce moment même.

Gabriel étudiait les comportements humains, les différents fonctionnement de l'esprit, c'était le spécialiste. C'était pour cela que Phineas l'avait contacté, lui. Le journaliste avait l'habitude de se focaliser exclusivement sur des faits. Là, les faits venaient à lui manquer. Fabuler ne faisait pas partie de ses domaines de prédilection. Tirer des conclusions en fonction des agissements d'une personne non plus. Il essayait, mais l'exercice était nouveau pour lui. Les premiers pas dans la psychanalyse n'étaient pas les plus simples.

Et il y avait cette perception erronée que Gaultier se faisait de son métier. Le Vox n'avait jamais eu la volonté de manipuler l'opinion publique. La ligne directrice du journal avait toujours été les faits, les informations vérifiables et vérifiées. En se lançant dans cet article sur l'As, Phineas élargissait un peu cet horizon. Mais il ne comptait pas raconter une histoire. L'article qui devait découler de cet entretien serait basé sur des faits, et présenterait l'ensemble des hypothèses évoquées. Sans en avancer une comme plus probable qu'une autre. Sans donner l'impression de formuler des accusations indirectes. Le travail du journaliste était de rester neutre.

Il appartient aux romanciers et aux dramaturges de raconter des histoires. Au Vox, nous faisons du journalisme, pas de la fiction.

À nouveau, ce ton sec.

Depuis le jour de sa création, le Vox a toujours fait de son mieux pour proposer à ses lecteurs des articles factuels. Des enquêtes approfondies. Nos journalistes traitent l'information avec les faits à notre disposition. Pas de titres mensongers, pas d'histoires fantaisistes et romancées pour rendre une information plus alléchante. C'est une ligne éditoriale qui n'a jamais changée, et j'ose espérer que cette politique joue un rôle majeur dans les très bonnes ventes du Vox.

Il y a toujours cette fierté dans sa voix lorsqu'il parle de son bébé. La satisfaction d'un pari réussi. Celui de quitter l'Académie, sans le moindre diplôme, sans le moindre plan de secours, pour suivre sa vocation. Forger sa propre voie. Forcément, il n'aimait pas qu'on se méprenne sur son travail, ou sur les valeurs de son journal.

Exactement. La vérité. Notre discussion, comme vous le dites, est uniquement théorique. Aucun de nous ne peut se targuer de détenir la vérité au sujet de l'As. Mais il est au centre de l'actualité de la Ville. Il tue et agresse des Excelsiens, et personne ne connaît son identité. Voilà la vérité à l'heure actuelle. Voilà ce qui sera abordé en premier dans mon article. Nos théories, toutes nos théories, viendront après.

Il s'adosse un peu plus confortablement à son siège, et joue distraitement avec son stylo.

Je vous en prie, quelle est votre question ?
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Gabriel Gaultier
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MessageSujet: Re: L'Art de l'Esprit [Pv : Phineas]   L'Art de l'Esprit [Pv : Phineas] EmptyDim 28 Juil - 0:50

« Vous ne comprenez pas là où je veux en venir, répliqua Gabriel sans se dépareiller de sa douceur. Vous interprétez “raconter une histoire”, comme “raconter des histoires”, ou un “mensonge”. Mais ce n'est pas ce que je vous incite à faire ni ce que j'accepterais. »

Gaultier-fils était prêt à sortir le grand jeu, une théorie de ces dernières décennies, sur laquelle il était tombé durant sa première année. Il posa la tasse sur la table, et il s'élança d'une voix claire, presque sans émotion si ce n'était sa façon caressante de terminer ses mots à chaque fois qu'il faisait une pause :

« Pourquoi les gens lisent, à votre avis ? Mouvement de la main vers le journaliste, mais il enchaîne directement : parce qu'ils veulent qu'on raconte une histoire. Et une histoire peut avoir de nombreuses formes : récit auto-biographiques, comme un journal de bord, étude, ou sous forme d'article. À chaque fois que vous interrogez quelqu'un, vous recueillez une histoire, bien sûr... il arrive qu'elle soit moins formelle qu'ici, ou qu'elle soit factuelle comme vous le dites si bien. Mais cela reste une histoire. Même au cours de mes études, j'ai eu mon lot d'histoires, sous forme d'anecdote donnant l'origine du nom, beaucoup de mots en médecine tirent leurs origines d'un nom, celui de la personne qui aura découvert et nommé dans son égocentrisme bien humain... la chose à partir de lui-même. Et bon sang... croyez-moi, il n'y a rien de plus ennuyeux qu'un livre de médecine, théorisé par son auteur qui pensait que son histoire aurait un impact sur les décennies suivante ; toutefois, cela pose un contexte.  Cela va bien au-delà du romancier, du dramaturge, ou de l'artiste de rue. Le fait est là : les gens aiment lire une histoire, ils s'y retrouvent. De plus, vouloir absolument la vérité... ne dénaturera pas le fait que ce soit une histoire. D'autant plus que ni vous ni moi, nous ne pouvons nous vanter de connaître la vérité au sujet de cet homme. Ses victimes peuvent en dire un peu, mais cela reste très faible. Raconter une histoire n'est pas changer la vérité, ni d'imposer. »

Petite pause. Gabriel fronça les sourcils, et il reprit :

« Gabriel de Myre planta sa pelle dans le sol et essuya la sueur sur son front. Le soleil brûlant de la Péninsule Sud l'aveuglait mais il ne perdait pas ses objectifs de vue. Avec sa compagnie, il était là pour une raison bien précise. »

Gaultier-fils reprit sa tasse.

« Ceci est une histoire, l'histoire d'Excelsa. »

Ce n'était que pour illustrer ses propos, mais la manière dont cette scène avait été racontée prenait diverses formes : chansons, théâtre, livres, ou encore les tableaux.

« Si l'As obéissait à des pulsions, cela serait plus facile de connaître son histoire. S'il aimait s'attaquer au même type de personne, par exemple, avec un côté obsessionnel et cérémonieux ; nous pourrions dire qu'il fait cela pour une forme de jouissance sexuelle. Ce n'est pas si anodin. Lorsque ce genre d'individu est pris dans ce genre de boucle, il peut passer du bon père de famille au meurtrier le plus sanguinaire, comme si le meurtre, et cette façon de l'accomplir étaient une drogue. »

Gabriel pensait d'ailleurs que le comportement de certains Prieurs relevait de ce caractère obsessionnel.

« Cependant, comme nous l'avons déduit plus tôt, ce n'est pas le cas. Peut-être même que nous interprétons, inconsciemment, l'histoire de l'As au vu de nos histoires respectives. Ceux qui en savent davantage sont les Prieurs. »

Gabriel ne prenait rien pour acquis. Il but une énième gorgée de café noir ; il ne cherchait pas à imposer ses idées. Il avait simplement pu observer à loisir les êtres humains ; bien sûr, il avait encore des choses à apprendre. Mais il avait pris conscience, assez tôt, de l'importance de l'histoire dans la Psychée humaine. D'autant plus que le ressenti face aux choses, un livre, une pièce de théâtre, un article de journal, qu'importe, pouvait changer si la personne n'était pas dans les bonnes conditions. Cependant, il ne pensait pas que ce point pouvait intéresser Monsieur Gold. La plupart des gens trouvaient ça barbant.

« Pourquoi l'As vous intéresse-t-il ? Relater les faits serait suffisant, mais pourquoi voulez-vous aller plus loin ? Enfin... cette recherche de la vérité et de la neutralité sont en lien avec la raison pour laquelle vous a créée le Vox ? »
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MessageSujet: Re: L'Art de l'Esprit [Pv : Phineas]   L'Art de l'Esprit [Pv : Phineas] EmptyDim 4 Aoû - 18:20

Peut-être qu'il interprétait mal, en effet. Phineas n'avait pas pour habitude de garder sa langue dans sa poche. Ainsi, lorsqu'il était piqué dans sa conception du métier, il avait tendance à vite monter sur ses grands chevaux.

Plus que le "mensonge", c'est l'idée de romancer la réalité qui ne me plaît pas.

Il y en avait, des torchons qui aimaient exagérer les faits, ou tenter de tirer une grande histoire à partir d'un fait ridicule. Ce genre de papier étaient la mort du journalisme. Le Vox donnait les faits, froids, sans artifices. Si un type se fait tuer, le titre de l'article, c'était « Un homme assassiné à [lieu] ». Pas « drame atrocement sanglant, la suite va vous surprendre ! ». Avec une flèche rouge vers une illustration au rabais.

Finalement, Gabriel expliquait juste qu'il voyait chaque écrit comme une histoire. En gros. Pour Phineas, on entrait dans le domaine du trop-plein d'intellectuel. C'était utiliser un terme, certes juste une fois l'explication donnée, à la place du nom communément utilisé. Un peu comme appeler une salière un « récipient à sel ». Cependant, Gold comprenait l'exemple donné. La légende de Gabriel de Myre était en effet une histoire, mais elle ne dénaturait en rien la vérité telle qu'elle est contée à tous les Excelsiens depuis plus de mille ans.

Je vois ce que vous essayez de dire. Finit-il par admettre.

Mais pourquoi s'intéressait-il tant à l'As ? Pourquoi tentait-il d'offrir à ce criminel une couverture médiatique neutre, juste ? Relater les morbides faits dont il s'était rendu coupable. C'était suffisant, mais il voulait aller plus loin. Pas simplement traiter l'homme au masque de psychopathe qui éprouve un plaisir jouissif à donner la mort et terroriser son prochain. Au fond de lui, il avait aussi une autre raison. Il devait l'admettre.

Jusqu'ici, la couverture médiatique des crimes de l'As a surtout été assurée par La Ligne de Myre, que vous connaissez peut-être. Cependant... la journaliste - qui a eu la malchance de croiser la route de notre homme - souffre du syndrome que je déteste et que vous avez pointé du doigt. Elle raconte une histoire, romance sa rencontre avec un criminel et finalement, dépasse le cadre de sa fonction de journaliste pour se laisser aller à un jeu mesquin de provocation. En clair, elle fait honte à la profession.

Il claque sa langue contre son palais. Sa rencontre avec Salwa lui restait toujours en travers de la gorge. Sa réaction immature et déontologiquement honteuse aussi.

Jusqu'ici, le Vox s'est justement contenté de relater les faits. Un homme attaqué, un autre abattu, la stricte vérité. Pour nous, il est temps de reprendre la main sur ce dossier. De replacer les faits au centre de l'actualité. Pas de provocations, pas d'insultes cherchant à piquer l'ego d'un criminel dangereux, pas de métaphores visant à terroriser les lecteurs. Les faits, les hypothèses, rien que ça. L'As est un homme dangereux, un criminel dont on ne sait rien. Voilà les différentes raisons qui peuvent le pousser à agir comme il le fait.

Il avait prononcé ses mots avec une résolution nouvelle. L'histoire de l'As défrayait trop la chronique pour être réduite à l'état de simple colonne dans un journal de seconde zone.

La vérité et la neutralité journalistique seront toujours au centre de nos préoccupations, au Vox. Mais il faut aussi se rendre à l'évidence. Cette histoire de l'As, elle fait vendre du papier. Beaucoup de papier. Je ne suis pas obsédé par les revenus que le journal engendre, mais je ne peux pas fermer les yeux sur cette réalité économique.
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Gabriel Gaultier
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MessageSujet: Re: L'Art de l'Esprit [Pv : Phineas]   L'Art de l'Esprit [Pv : Phineas] EmptyMar 6 Aoû - 13:44

« Je vois... mais à votre avis, si l'As tombe sur l'article comportant nos théories, qu'en pensera-t-il ? »

Peut-être serait-il amusé, peut-être serait-il contrarié. Difficile à dire, Gabriel ne le connaissait pas. Pour sa part, il n'aimait pas entendre parler de lui ; les gens se faisaient souvent une fausse image de lui. Oh. Parfois, cela était fort distrayant de constater à quel point ils se leurraient, mais cela le faisait surtout tiquer. Il termina sa deuxième tasse de café, et il en tapota le rebord tout en écoutant Monsieur Gold.

« Si vous voulez plus d'informations, je pense que le mieux serait d'aller voir les Prieurs. »

Souffla-t-il avec un sourire ennuyé. Il croisa les bras, et il lança :

« Malheureusement, vous n'aurez pas droit à tout, à part si vous acceptez de justement orienté l'opinion, non ? »

Gabriel voyait cela sous un regard pragmatique. S'il était Prieur, et qu'un journaliste venait à lui en voulant des informations sur un criminel de cette envergure, il lui en donnerait tout en influençant l'information. Son interlocuteur était le mieux placé pour savoir à quel point le contrôle de l'information était important, puisqu'il cherchait une forme de neutralité dans le Vox.

« Et vous ? Je ne parle pas du journaliste, mais de l'homme, n'êtes-vous pas un peu curieux ? Concernant la ligne de Myre, je suppose que cela est plus agréable de conter une histoire pareille, quoique je n'ai pas eu cet article entre mes mains. Vous souhaitez contrebalancer ce qu'elle a écrit avec une opinion plus neutre ? »

Demanda le jeune homme en jetant un coup d'oeil derrière lui. Il continuait de tapoter le rebord de sa tasse avec l'index, comme s'il battait la mesure. Il avait déjà lu, quelques fois, la Ligne de Myre. Cependant, ce n'était pas sa revue préférée ; justement. Il lisait le Vox pour se tenir vaguement informé de ce qu'il se passait au-delà de ses études, histoire de ne pas être surpris ou de tenir des conversations. Des conversations qui iraient plus loin que des théories universitaires, ou des débats idéologiques, où l'intérêt résidait à fatiguer suffisamment ses interlocuteurs pour qu'ils finissent par se ranger de son côté, désespérés plutôt qu'éveillés par le plaisir de l'argumentation. Gaultier-fils aimait avoir le dernier mot. Il se lécha les lèvres, puis il questionna Phineas sur la suite :

« Si vous pensez que nous avons fini, puis-je vous offrir autre chose qu'une tasse de café ? »

Une invitation, tout simplement. Pour sa part, si sa journée était finie, Gaultier-fils pouvait — enfin — s'autoriser quelques écarts. De l'alcool, quoiqu'il n'avait pas une excellente descente. Juste assez de maîtrise pour savoir quand s'arrêter, et ne pas finir suffisamment rond pour rouler sous la table. Peut-être se laissait-il aussi charmer par l'ambiance de la taverne, ça chantait plus loin.
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