Comme chaque année, la course d’aviron qui marque l’entrée dans la Saison de la Forge a rassemblé le peuple d’Excelsa sur les bords du fleuve. Si la maison des Navigateurs s’est adjugé la victoire chez les professionnels, la surprise est surtout venue du Prince Elikia Lutyens qui nous a gratifié d’une course amateur supplémentaire qui a vu la triomphe des Docket’s, mais surtout, pour sa première sortie publique, de son premier discours depuis son élection.
Toutes les occasions de s’exprimer en public sont pour les politiques de notre belle cité l’opportunité de mettre en avant les valeurs qui sont les leurs et le nouveau membre du conseil princier n’a pas dérogé à la règle en axant son discours sur plusieurs thématiques apparemment chères à son cœur.
Mais c’est la forme qui retient l’attention dès que l’on se penche sur cette allocution. Sous des allures de tradition mêlée de liberté voire de désinvolture, elle avait pourtant visiblement été préparée avec soin. Les mots en avaient été pesés. Les thématiques qu’il y a abordées ne devaient choquer personne en ce jour de liesse. Le ton s’est voulu enthousiaste voire lyrique comme pour un fervent défenseur de la cité que le peuple d’Exelsa attend qu’il incarne. Mais d’autres facette de son personnage sont aussi apparues, en particulier un regard ironique portée sur la société en même temps qu’une capacité à la charmer par des clins d’œil et des annonces de surprises festives.
S’il a entamé son intervention en se replaçant comme un des « Quatre », la suite a très clairement exprimé ses pensées et idées voire des projets qu’il nourrit pour notre belle cité.
Avec parfois une pointe d’ironie, le sport qui n’est sans doute pas le centre d’intérêt principal du Prince Elikia Lutyens a pourtant servi de métaphore pour mettre en scène la cohésion et la solidarité au sein des équipes mais également au sein de la société, invitant chacun à délaisser ses intérêts égoïstes afin de les transcender vers un but et un bonheur commun. Les thèmes d’égalité et d’équité sont revenus à plusieurs reprises dans ce discours avec à chaque fois un hommage appuyé à ceux qui travaillent « à la sueur de leur front, pour rien peut-être, sinon pour la gloire de la Ville ». La « consolation » qu’ils en retire pourra-t-elle perdurer ? Malgré la cohésion apparente de la société le prince n’a pas manqué de rappeler que les forçats du travail sont contemplés par d’autres dont les seuls efforts ne se produisent occasionnellement à certaines festivités hypocrites durant lesquelles il redécouvre certes le goût de l’effort mais tente aussi de persuader le peuple qu’il oeuvre à la grandeur de la nation au même titre que les dirigeants avant de retourner à leur condition une fois la compétition sportive finie.
Le sarcasme déguisé de notre prince sur les valeurs de notre cité sonne alors et doit résonner bien différemment dans les oreilles des dirigeants et des classes dites laborieuses. On ne peut qu’y entendre un plaidoyer pour l’égalité des chances et l’équité de traitement au sein de la société, de se trouver ensemble sur la ligne de départ avec les mêmes chances de vaincre. Et si « le sport est tout de même une bien belle chose » c’est en premier lieu pour jeter un regard différent sur les mérites et les rapports de force au sein de notre ville, quoique l’expression rapport de force ne soit pas tout à fait adéquate avec les appels à la cohésion et à la solidarité que l’on a pu entendre à plusieurs reprises. Aucun appel à la confrontation n’a pu être entendu, le nouveau venu parmi les « Quatre » a su garder une image de rassembleur dans ce difficile exercice qui était celui de rappeler les inégalités qui parcourent notre cité. Il est a voulu apparaître comme confiant dans les capacités à transcender les intérêts particuliers pour le bien commun, « au-delà des intérêts de chacun, des valeurs et des passions qui nous sont communes à tous. »
Il serait alors illusoire de penser que l’organisation d’une deuxième course étrangère à la tradition soit simplement, comme Elikia Lutyens semble vouloir nous le faire croire, « motivée seulement par le grand plaisir que lui inspirent les festivités ». Penser qu’il s’agirait de revenir aux sources du sport et des activités physiques serait pour le moins légitimes. On pourrait oser une analyse plus poussée sur l’impossibilité donnée au peuple de s’adonner sport ou encore l’opium symbolique qui lui est distribué à l’occasion des grandes compétitions sportive mais peut être dépasserions-nous les intentions de notre nouveau Prince.
Nouveau Prince qui a également voulu se montrer proche du peuple de sa ville adoptant à plusieurs reprise la posture d’un grand frère ou d’un camarade. La complicité a été instaurée avec les gens par des invitation à se souvenir de qui il est. Quelqu’un de simple aimant la fête qui n’oublie pas qu’il est issu des classes défavorisées de notre ville car nos lecteurs » ne sont pas sans savoir » qu’il a atteint la fonction de Prince après une ascension depuis les tréfonds de la misère jusqu’au sommet de l’état.
Son encouragement donc à le suivre résonne donc de façon ambigüe. Certes on pourrait se contenter d’y voir une simple exhortation à profiter de la fête, mais aussi à suivre son exemple de vie ou encore à soutenir un enfant du peuple qui ne l’a pas oublié, dans ce qu’il entreprendra. « S'arroger très impoliment une heure de gloire qui n'est pas la sienne » semble exprimer bien sûr un souci de modestie qui ne peut être que loué, mais aussi le rappel que sa prise de fonction est aussi celle de ses origines et il est facilement imaginable que ce dernier sera mis en avant lors de la mystérieuse fête d’investiture que nous ne manquerons pas de couvrir. Gageons qu’une nouvelles fois elle sera l’occasion de partager entre tous la culture artistique chère au cœur du Directeur du Conservatoire. Au passage, attendons-nous à ce que parmi les divertissements promis, nous soyons conviés à la première d’un nouvel opéra signé du Prince Compositeur très attendu tant du point de vue purement artistique que de son sens politique. Souvenons-nous de ses productions précédentes qui valent parfois tous les discours. Quelle meilleure occasion que son investiture pour poser les fondements de sa pensée devant tout Excelsa?
Nos lecteurs penseront sans doute que nous exagérons en poussant l’analyse de ce discours aussi loin et peut-être auront-il envie de lire ailleurs un sujet plus centré sur la course que nous avons fait passer au second plan de l’événement. C’est bien possible et sans doute légitime, mais pour leur répondre nous terminerons par une dernière citation qui dit toute la détermination du nouveau Prince qui, gageons-le, ne se contera pas d’expédier les affaires courantes de la cité. « Gardez en tête surtout que c'est en cherchant l'impossible qu'on a toujours réalisé le possible. Ceux qui se sont limités à ce qui leur paraissait simplement à leur portée n'ont jamais avancé d'un seul pas. ».